Niveau 8, recueil collectif de littérature, n°2 (parution)



(Dessin de couverture : Denis Ferdinande)

Parution de Niveau 8 n°2, recueil, 150 pages, aux Editions La Poussière Dit, 2012
Textes de : Denis Ferdinande, Mimosa, Julien Carré, Vincent Guesdon, Francis Duriez, Cedric François, David Van Robays et Hervé Fléchais, Julien Ferdinande
Sous la direction de Julien Ferdinande.

Prix de vente : 13€, port compris
Adresser toute commande à :
Julien Ferdinande (julien.ferdinande@hotmail.fr)





Denis Ferdinande, Une phrase, juste (extrait)


… la phrase dotée d’estomac avalerait la conscience humaine afin de lui survivre passée l’ultime seconde, voilà le rêve déclaré dit-il puis quitte la salle n° 714 afin de disparaître comme corps, un autre peut-être le relaie-t-il depuis le seuil de cette même salle or déclare n’avoir rien à déclarer puis se retire à son tour, disparaît, un autre, autre encore, tous se relayant en ces disparitions et la disparition n’annule l’apparition de ces corps que s’il n’en subsiste pas de mémoire, cette proposition est-elle juste ne procède-t-elle pas d’un étrange mnémocentrisme, et pourtant, et pourtant, un jour, un jour passée l’ère de l’homme qui fut l’ère de la mémoire il ne restera rien du monde y compris si ce monde se meut encore ou alors, ou alors cette mémoire de l’homme garde-t-elle ce qui lui survivra, telle fleur tel fleuve, sous la pluie, tel arbre tel rocher, un point, il faut un point, tel corps décrète en la salle des décrets n° 973 qu’il faut un point, en raison du caractère invivable de la phrase or aussitôt le décret s’effondre, le point équivalant au meurtre de la phrase, la phrase doit vivre encore murmure la totalité sauf un des corps en présence (il y a en effet corps en nombre formant une totalité moins un corps), la phrase doit vivre et le doit longtemps encore y compris si cette vie de la phrase est une vie sans raison, la raison sera celle seule trouvée par les corps que la phrase se sortira du ventre sachant qu’ils sont le vent de ce ventre, qu’il n’est pas de raison à attendre du vent il y a ici comme une profusion de points, épars, ponctuant invisiblement la phrase, la phrase contenant ainsi en elle plus d’une phrase mais aussi plus d’un spectre, en elle, elle seule, elle en sa solitude de phrase dont l’étirement ne fait qu’accroître sa solitude étirement dont elle peut déclarer se mourir disant je me meurs mais c’est alors se jouant de la déclaration voire plus souterrainement de la mort, brusquement saisie d’un rire depuis lequel il devient possible de l’identifier au-delà du savoir qu’elle ne serait qu’une phrase, distillant autour d’elle les indices qu’elle serait plus que cela seul, une phrase, contenant plus d’une phrase mais aussi plus d’un spectre, les spectres sont ici les séquences en la phrase ayant constitué tour à tour autant de pistes futures pour elle mais aussitôt effacées puis oubliées, or effacées oubliées une mémoire d’elles subsiste, figures de ce qui resurgira en d’autres temps de l’oubli même, s’il y a lieu, la phrase s’étire encore qu’est-il à voir en une phrase, que veut dire « en une phrase », à l’intérieur d’elle tout ne se tient-il pas, au contraire, en surface, pour toujours, avec l’écriture, n’est-elle pas ce qu’il y a de plus superficiel au monde, pourquoi, à ce titre, son insistance, tant de siècles, qu’était-il à inscrire, en vertu de quel leurre d’une possible pérennité des choses, rien, tout au plus le geste d’inscrire fut mémorable, or rien, cela est tellement évident, rien, un jour rien ne restera quel jour, et rien pour constater ce rien, donc rien de ce rien, rien de rien, ils rient, rien, tiens, qui, qui rit, quoi de risible, le rien risible allons donc, bien sûr, un jour donc, quel jour, quel terrible jour, à la fois cendre, poussière, de toute inscription, ce qu’il restait encore du monde depuis la destruction du dernier homme laquelle, conjecture, fut un suicide, mémoire du monde trop lourde à porter, l’hypothèse il va sans dire est inepte, l’homme, le dernier des hommes se sut seul, certes, aussi seul que le premier des hommes mais avec cette fois le monde non plus devant lui mais derrière, et cependant nulle tristesse, il lui fallait non pas mourir mais vivre, seul détenteur du sens du monde détenant la mémoire du monde, saisi par des pensées enfouissant le monde encore visible par ses yeux, encore audible par ses oreilles, encore touchable par ses mains, on suppose qu’il quitta toute ville or peut-être s’établit-il en l’une d’elles parce que l’ensemble des rues empruntées regorgeaient de spectres d’êtres chers côtoyés naguère, les spectres n’étant rien que la remémoration de ces êtres, car voilà ce que sont les spectres, tributaires chacun de la mémoire d’au moins un homme, il faudra aux spectres toujours au moins un homme, il fallait que restât sur terre au moins un homme pour la survie de l’ensemble des spectres, cet homme défunt, les spectres disparurent aussitôt, pas de survie des spectres hors l’homme accepter « la mort dans l’âme » cette défaite, cette chute des spectres une fois survenue la mort du dernier des hommes, et ça n’est que depuis ce dernier que l’on pourra dire, de ce dernier, qu’il a rêvé le monde, [...]




Extrait paru dans Niveau 8, recueil collectif, Ed La Poussière Dit, Octobre 2012
Prix de vente : 13 €
Contact : Julien Ferdinande (julien.ferdinande@hotmail.fr)


Mimosa, C'est le jour de mon mariage


c’est le jour de mon mariage
et j’épouse en première noce
la jeune fille de Berlusconi
elle s’appelle Maryline elle
serait presque discrète elle
n’est pas comme l’autre elle
n’éclate jamais dans le ciel
ses cheveux s’enroulent dans
une natte brune qui s’écoule
jusqu’au mitant de ses reins

vêtue d’une jaquette côtelée
en polyamide noire avec deux
bandes blanches qui tournent
autour des poignets grimpent
sur la fermeture éclair puis
s’enroulent sur le col façon
sport ouvert sur une chemise
triulée de fleurs des champs
oranges comme l’été qui dort

au dessus de sa tête un cône
de carton tout plat en forme
de chapeau chinois de farces
et attrapes avec des franges
roses fantaisie agrafée à la
pointe qui volent dans l’air
précédent le printemps c’est
la mi-mars elle marche parmi
les enfants avec un tuyau de
sarbacane dans la main comme
si elle tenait avec grâce le
soyeux glaïeul d’Oscar Wilde

longeant ma fenêtre les yeux
perdus dans le gravier l’air
d’humilité de Dorothée de la
Monteau pas comme les autres
qui passent aussi les yeux à
terre tertous des fiers culs
qui défilent depuis le matin

il y aura des photos dans le
journal ils feront une drôle
de tête à l’Université je ne
saurai pas quoi leur dire ce
n’est que le destin qui mord
les amis comprennent tout ça
les amis savent que ce n’est
pas par malice puis Maryline
nous a toujours fait tourner
la tête le plus discrètement
du monde même si on ne parle
jamais d’elle de crainte que
les échos de nos errances n’
effacent nos songes de sucre

les amis sont arrivés depuis
hier je leur ai installé une
petite structure pour passer
le temps on sent la joie qui
accélère aujourd’hui tertous
bénaches chacun a pu trouver
ses marques si bien que j’ai
construit une rampe qui leur
permet de sauter à leur aise
les amis sont contents c’est
du bonheur sur notre mariage

j’entends la crémaillère des
transmissions les gros pneus
crissent puis les gros pneus
buquent sur la tôle chauffée
par le soleil je meurs de ne
pouvoir les rejoindre car je
sens les familles aux aguets
et je dois garder contenance

chaque homme est un triangle
ils sont tous là aujourd’hui
les vivants et ceux revenant
du royaume des morts tertous
chacun retrouve sa place sur
le sépia entouré du cadre de
dentelle sur la photographie
qui avait dû être tirée tout
en bloquant son souffle pour
qu’elle ne soit pas floue et
que les enfants sachent nous
revoir dans notre vie passée





Extrait - Paru dans Niveau 8, recueil collectif, Ed La Poussière Dit, Octobre 2012.
Prix de vente : 13 € port compris
Contact : Julien Ferdinande (julien.ferdinande@hotmail.fr)


Julien Carré, Julien Carré en Christ (extraits)

IV

Une heure de ma vie vaut un peu plus de trente-cinq francs. Net. C’est ce qu’on m’en donne. C’est ce que ça vaut.
Partout où j’ai mis les pieds, on m’a proposé ce troc, une heure de ma vie, trente-cinq francs. Un travailleur honnête.
On avait eu de grandes espérances. Pour moi. A ma place. On m’voyait déjà en haut de l’affiche. Mais j’ai choisi d’échouer. Choisi. Regards condescendants sur un pauvre type. J’ai entendu le mot gâchis. Gâchis. Cela me mit en colère. Gâchis pour qui ? Pour le Monde ? Le Monde n’existe pas. Pour la Société, pour son système de production et autres saloperies ? Pour moi ? Moi. Qui s’en soucie ? Si je n’étais pas là, je n’existerais même pas. En fait, celui qui a prononcé le mot gâchis ne s’apitoyait absolument pas sur mon sort. C’était juste sa façon de dire qu’il ne comprenait pas. D’habitude, l’humain tente d’exploiter à fond son matériel, ce matériel fût-il lui-même, mais là, il se trouvait face à un type qui sans lui adresser le moindre reproche, par sa simple présence, condamnait son bon système. Il valait mieux parler de gâchis. C’est plus simple et tout le monde sera d’accord. Et avec un peu de patience, on parviendra même à faire croire au type en question que tout ça c’est du gâchis.
Dit à Marie.
On ne peut pas demander à un être humain qui a un minimum conscience de sa qualité d’être humain de ne pas regarder avec haine l’homme qui lui achète trente-cinq francs une heure de sa vie. Ce n’est pas une question politique. Ce n’est même pas la lutte des classes. C’est juste mon humanité qui refuse. Je ne vaux pas plus qu’un humain patron. Pas moins. Le rapport qui fait de moi une heure de travail, à trente-cinq francs, aux yeux d’un autre humain est inacceptable. Toutes les conséquences doivent en être tirées.
Marie m’écoute à peine. C’est ce que je pense. Elle signe un tableau. Il est ensoleillé. Devant le soleil, une main du Christ, que l’on voit de dos. La main et surtout le bout pointu du clou. Un bout acéré. L’autre main s’abat sur l’œil d’un homme qui doit être un patron. L’homme va hurler, le clou du Christ dans l’œil. Elle hésite, pour le titre. Me les propose. Le Christ Pointe, Le Christ Et La Pointeuse. Je préfère le premier.


V

J’avais dit que je n’y retournerais pas. Jamais plus. Et m’y voici à nouveau. La faculté est neuve. Cela y sent l’hôpital. On y est malade comme à l’hôpital. Je les regarde et me dis que j’ai été parmi eux. Comment ai-je pu ? Un gros mou me salue. J’ai oublié son nom, lui, pas le mien. La bonhomie incarnée dans une énorme serpillière. Un jovial. Il parle, a des choses à dire. Pose une question. Je m’apprête à répondre, prends mon souffle. Mais lui est reparti. Sa question, c’était juste un procédé oratoire, comme il dirait. S’il parlait seul contre un mur, on murmurerait "il est fou", alors il parle seul face à un autre, à la manière d’un chien qui va de réverbère en réverbère pour pisser. En veut-on aux chiens pour cela ? Je réverbère donc. Et je dois bien réverbérer puisqu’il fait durer son jet. Dans son urine, il y a des bouts d’Histoire, de politique. C’est un type engagé. Me dit qu’il a du sang juif. En a l’air fier. Moi j’ai du sang de navet. Il ne plaisante pas avec ces choses-là. Me regarde courroucé et me sens petit garçon. C’est à peine s’il me gronde. Il doit penser que j’outrepasse mes fonctions de réverbère. J’attends le moment où il remontera sa braguette. Mais il se lance sur le "problème juif ". Je lui fais remarquer que les juifs ne me posent pas problème. Décidément, on ne peut plus pisser tranquille. Des amis à lui arrivent. Me serrent la main. Certains me reconnaissent, vaguement. Décident d’aller boire un coup. M’invitent. J’accepte.


[...]




Paru dans Niveau 8, recueil collectif, Ed La Poussière Dit, Octobre 2012
Prix de vente : 13 €
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Vincent Guesdon, Accroché à la vie comme une tique (extraits))



Accroché à la vie comme une tique
Je fume ma cinquantième cigarette
perdu dans les eaux troubles
je consume ma santé
dans les clopes et le café,
et si je continue dans ma narcolepsie
ma vie sera bien courte.



Ma liberté s’envole dans les volutes de fumée
il faudrait que j’arrête de fumer
et que je prenne mon Solian
et que je me lave les dents
voilà un soir de cafard
qui résume un peu l’histoire
de toutes mes inepties d’un soir.



Je bois des cafés toute la matinée et à part ça rien à signaler
enfin, pas sûr
pas certain
pas compris
pourquoi l’espace de mes sensations me déréalise comme de la gélatine de bœuf
lyophilisé



Chaque jour de la semaine, j’attends ce moment d’intense émotion avec fébrilité et impatience
ce jour-là je vois dans les yeux de la stagiaire infirmière une lueur signe d’une connivence sensuelle
j’attends pendant 15 jours
c’est un supplice d’attendre ce moment de grâce, de félicité, de complicité

et puis arrive le fameux jour
d’abord elle me prend la tension avec toute son attention
et elle prononce avec une voix sensuelle que ma tension est bonne
elle prend soin de moi
puis elle prépare l’injection dans un rituel immuable
cela dure au moins 10 minutes
ensuite vient le moment sublime où je baisse mon pantalon
et montre ma fesse gauche
et là elle injecte le produit en intramusculaire

je n’oublierai jamais ces moments de complicité
ces moments inoubliables d’un érotisme torride

bon ok j’arrête mes conneries, je déteste ces piqures à la con mais j’en ai besoin





Ma vie est sporadique c’est un mélange de boursouflure pédantesque et

de parcimonie grand guignolesque c’est aussi un flegme tonique qui s’alanguit
sur une
plage de sulfure bucolique
si vous ne comprenez rien à ce que j’écris, c’est normal, moi non plus
j’aimerais pouvoir incommuniquer quelque chose de communicable
qui serait un léger palliatif de mes sentiments qui restent bloqués par un miracle
quelconque
dans une mare noire ou dans un sillon rouge de sang
les étudiantes passent toujours à la même heure dans ma rue mues par une sorte
de contrôle
horaire divin
mais non je suis bête elles étudient






Les déluges artificiels des flâneries de dentelles

constituaient le délire passager de Roger
C’était un homme humble et chauve
il écoutait ses sentiments qui se perdaient dans
un océan de tourments.
Par quel bout commencer ?
Quel choix stupide inventer ?
Que faire lorsque rien ne semble briser cette velléité dormante ?
Regarder une série télévisée en pensant à ce que sera
le jour prochain sans penser au lendemain
Paradoxe puéril des doryphores mercantiles
sphère juteuse d’une mélopée sensorielle et surannée.
Protocole standard noyé dans un cafard aux accents de café noir
Soliloquerie butée mais partagée.
Opinion exacerbée dans un mélange subtil de pistil parfumé redingote et pommes
de terre dans la cafetière
trou noir dans la mémoire.
Désastre du lent mouvement de l’essuie-glace, énumération trop longue, ennui et
mélancolie, dualité en apostrophe,
texte débile et logorrhée usagée.
Signé furax !





Extrait - Paru dans Niveau 8, recueil collectif, Ed La Poussière Dit, Octobre 2012

Prix de vente : 13 €

Contact : Julien Ferdinande (julien.ferdinande@hotmail.fr)


Francis Duriez, Vous n'êtes pas obligés... (extrait)



Premier et ultime chapitre

     Nina Hagen lui avait tué le tympan droit. Guesh Patti lui acheva le gauche déjà bien amoché.
    Cette fois Étienne en eut plein les bottes et n’entendit plus rien à la raison. Il décida alors, face aux iniquités de la vie, une fois passés en revue remords et griefs, de disparaître, tout simplement.
    Mais, disparaître n’allait pas de soi. Il fallait s’exécuter dignement. Et, puisqu’on l’avait si souvent envoyé se plaindre ailleurs, il résolut de se pendre ici, bien en vue. Résolution qu’il appuya d’un « Na ! » infantile tout en tapant du pied le sol qui ne lui avait rien fait, plongé dans un sommeil que d’aucuns prétendent réparateur – je pense que ces aucuns là ont dû confondre sommeil et atelier de mécanique auto. Mais Étienne, pas moins que moi, n’en avait cure.
    Comment allait-il se comporter, le Étienne ? N’allait-il pas élaborer un plan, avec le peu de raisonnement encore à sa portée ? Ou bien alors ne lui prendrait-il pas la lubie de se balader en tous sens entre les blancs et les gris du texte, exquis labyrinthe fomenté au gré de l’humeur instable de son cerveau amoindri, jusqu’à remonter à : « Cette fois Étienne ». Eh bien, cette fois-ci, Etienne et moi-même étions déterminés à quitter ce paragraphe par trop laborieux à notre goût.
    Une fois ce seuil franchi, il convient de rétablir l’ordre dans la maison : Etienne le personnage, moi le narrateur. Mais là hélas j’ai un blanc. J’ai perdu des notes et des brouillons. Quand je dis perdus, traduisez fauchés. Oui ! Fauchés ! Je suis convaincu que ce mauvais coup est l’œuvre de mon ex-secrétaire Frina Désirzcü. Mauvaise habitude que j’avais prise de pendre ma veste dans le couloir sans en vider les poches. La Désirzcü ne se gênait pas de les fouiller, et disparaissaient parfois des tickets de transport, tantôt un briquet. Une autre fois un calepin, qui me fut restitué avec des pages manquantes de notes et brouillons, et non des moindres. Un autre jour je surpris Frina mangeant gloutonnement des feuillets de carnet. Lorsqu’elle m’aperçut elle avala subrepticement sa boulette de papier avec une sorte de gloussement qui aurait pu passer pour de l’admiration teintée de concupiscence envers ma pomme. Mais je n’étais pas dupe.
   Un peu plus tard, je lui tendis un piège. Je laissai un carnet vierge dans ma veste, avec une enveloppe cachetée insérée en son milieu. Sur cette enveloppe on pouvait lire : « Désirzcü Frina : Rapport confidentiel », en gros caractères. Déjà de quoi la faire flipper. A l’intérieur un pli la concernant. Il y était énuméré un tas d’observations sur son comportement au travail et pendant les pauses. Liste établie selon les rapports du système de vidéosurveillance, prétendument installé par un mien ami expert en la matière et en trompe-l’œil, depuis quelques mois, alors qu’elle était en congé. Les charges étaient lourdes !
    J’aurais du me réjouir du mauvais tour que je lui jouais. Mais il n’en fut rien, j’étais plutôt préoccupé par le devenir d’Étienne. Il me fallait retrouver les chaînons manquants de son histoire, les réécrire de mémoire. Ce petit tracas me fit gargouiller l’estomac, de fait : j’avais faim. Aller à l’épicerie du coin, acheter du chocolat pâtissier. Sortir. Zut, il pleut… - vous pensez que je devrais envoyer Frina ? Mais elle n’est pas ma bonne, et je ne me fais livrer que par moi-même. Bon, sortons… clac !
   Clic ! Le couloir. Vision fantasmagorique, les bras tendus vers le désespoir comme un naufragé du « Radeau de la Méduse », Frina, telle une molle épave que le ressac a abandonnée, à demi allongée s’accroche prostrée à la cimaise de bois, griffant de ses ongles le vernis déjà bien écaillé. Tableau pathétique, dérisoire ou érotique ? Pas le temps de choisir ! J’ai l’air de celui qui arrive trop tard pour brûler la cervelle de Marinette déjà morte. Vous avez compris : avec mon p’tit calepin j’avais l’air d’un con, ma mère !...
[...]





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Julien Ferdinande, Des réincarnations en tortue (extrait)



Des réincarnations en tortues-alligators qui se passent mal. Les déchets mâchés. La chair des autres n’est que de la barbe à papa. Dans l’après-midi d’un après-guerre, le paria va d’un orgue de Barbarie à un autre. À chaque fois on veut voir Miss Univers se déshabiller, l’araignée-scorpion de son sexe. La femme à barbe pousse son propre cœur dans le landau. À quoi bon revenir à la chair de la véranda si l’on ne peut pas dire j’ai vu la fin d’un monde arraché à la chair ? Ce n’est l’anniversaire que de celui qu’on va immoler, qui s’avancera donc ? Miss Univers mange la barbe à papa piétinée. Résignations traversées. Le vent me pousse à transformer un sentiment d’abandon en landau pour poupon difforme. Je me rappelle j’étais dans mon corps comme au début d’un ciel athée où tout était facile. Même le soleil est dans l’ombre, celle d’une autre pensée. La monstruosité, on ne peut jamais en être content. Avec nos panamas brûlés et nos landaus sans roues on arrive au présent aux plus beaux Orgues de Barbarie. Même l’herbe-aux-femmes-battues vient se refaire une beauté sur les ruines du palace Paradis. Vent mort dans les vérandas. Tout au bout d’être des fous bariolés les cartes du tarot ne savent pas nous expliquer notre laideur.

Les signes par terre sont déjà des signes qui ont l’air écrasés. Mur derrière le soleil barbare. Miss Univers le voit dans sa tasse de thé qu’elle a le tétanos. Je vais jouer de l’Orgue de Barbarie ailleurs, plus près des Orgues de Barbarie cassés des salles lépreuses. La barbe à papa me dit de ne pas penser à trop d’araignées-scorpions en même temps et de laisser la musique lépreuse me dévorer le corps. Soleil taré. À quoi bon articuler, chacun est occupé à enterrer ses propres ossements ? Le parabellum troue la lumière pour voir la femme à barbe se déshabiller. Je retrouve plusieurs années après des araignées-scorpions dans ma barbe battue et traînée dans les ruelles. Un sang imaginaire coule dans le canal irriguant des orchestres mécaniques. De l’autre côté du pont en fer toutes les femmes à barbe encore vivantes cherchent de la barbe à papa acharnée. Corps à corps d’un esprit contradictoire. La carne des réincarnations, les miséricordes pilées, des charniers de barbarie accrochée à des pieux. De la véranda je tire sur les tortues-alligators de la véranda. La Pensée est le seul palais. N’allez plus leur faire du vent aux esprits du charnier, n’allez plus leur jeter vos chansons.


Par les canaux du paradis la saleté arrive à la maladie de qui veut être diseur de bonne aventure. En temps d’atterrement le seul soleil est celui d’une carte de tarot cornée. Je vais aller poser tout au bout de ma folie une tasse de thé que je ne boirai jamais. La chair de l’anniversaire pourrit sous les cloches en verre du festin futur. Des femmes à barbe se perdent à traverser le jour. Tortues-alligators à rentrer au charnier et l’herbe-aux-femmes-battues à la folie. Jour charnier, cloches en verre divines mais sales, robes de barbarie laissées sur les déesses dans la barbe à papa. Je montre à Miss Univers mes verrues, elle n’a pas voulu venir à mon anniversaire. Ce que je suis grouille ; le paradis brûle derrière de plus grands asiles. Bougies oubliées déifications ratées tortues-alligators mangées sur le mot paradis. Chiffonné comme du papier-cadeau mon esprit s’énerve au mur qui le retient. L’amnésie ne fait pas autant de kilomètres pour laisser le soleil à d’autres. Mon imagination pour passer se transforme parfois en araignée-scorpion. Le côté imaginé du monde, pas retenu, par des pilotis, pas cautérisé. Une bougie qui ne bouge plus a le droit de douter de moi. On ne peut plus remonter les versants du charnier.

[...]


Paru dans Niveau 8, recueil collectif, Ed La Poussière Dit, Octobre 2012

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David Van Robays / Hervé Fléchais, extraits


Avec leurs gros sabots

    Pénétrer l’âme du peuple à la chignole, c’est le fantasme de tous les candidats à la députation. Ces argousins, qui ont au menu autant de gros mots que de longues intentions - ouille ! -, devraient pourtant savoir qu’on n’entre pas dans la carafe d’un électeur via la trompe d’Eustache ou le gros intestin avec une mèche de 16 et un tube de vaseline - aïe !

Selon toute apparence une idée transmigre
de noumène en noème couve, germe et mûrit
comme le sentiment éprouvé lors du premier baiser posé
sur le calice de la première fleur cueillie
(elle s’appelait Rose
et avait un grain de beauté bien placé)



La doxa ksava, ksava… une valse contre la sarabande. Péronistes de tout poil 
– il y en eut de gauche, paraît-il –
alors dis, les bravaches* c’est un type n’est-ce pas !
Atermoiements pénibles, il faut s’attendre à voir les jours tanguer sous le poids de l’expertise.
Bilan globalement positif, disait l’autre.

*il faut laisser les bravades aux comanches et enlever les commandes aux bravaches.



#

Big-bang
Les étoiles qui tapissent la nuit
sont comme ces fleurs qui tapinent dans le noir
frissonnantes car pleines de crampes
lasses d’être perchées depuis des lustres
sur des talons trop hauts
fatiguées d’attendre le passage
improbable
de la comète cyclopéenne
qui d’un coup de queue les projettera
loin des trottoirs glissants de la Voie lactée




Subito al cielo… il n’aime pas les ragots, ce gars-là. C’est une performance, évidemment ;
si vous n’y voyez rien qu’une romance (ou une chanson sirupeuse), tant pis on vous aura prévenus.
Amphibologie, j’aime bien les mots, les eaux troubles, David itou.
Nous sommes perdus ; la lumière extatique, nous attendons l’obscurité d’êtres perfectibles, à jamais éloignés.


#

Deux communistes

   L’onaniste rejette la conception hermétique de l’acquis, du capital. Il disperse aux quatre vents son trop-plein d’humanité par petits paquets.
   L’exorciste ne tolère aucune possession, aucun usufruit. Il extirpe au forceps le trop-plein d’altérité des âmes en peine.
   Ces deux jouisseurs ont brisé le dernier verrou moral que la force des choses avait élevé depuis belle lurette au rang de vertu économique :
l’impossibilité de sortir de soi et de donner

À ma connaissance surgie de nulle part, le dessein de la servante
comme il existe une façon unique de dire que quelqu’un me regarde. Front contre front,
quelle tendresse parmi les gouttes de la sueur ? Il y a du travail,
ce tribut aux accès de découragement et – sauf à ne rien laisser paraître –
une apparence trompeuse dans l’externalité du savoir.

 #

En vase clos
À corps perdu
dans son intégrité
l’hermaphrodite
se trompe de sexe
se gratte la tête
relit Freud et Lacan
(en cachette)
puis tourne en rond



Tu parlais – il y a un instant – puis tu t’accordes maintenant au silence en résiliant le contrat.
Tous les bateaux se tournent vers toi et à ce moment, alors qu’encore immature,
tu règles les derniers préparatifs du voyage, 
plusieurs têtes sans corps prennent place à l’intérieur de tes pensées.
Le chaos est souvent improvisé, on dit que la musique se promène de mât en mât.


#


L’euro tue l’amour

J’avoue
j’ai manqué à la bienséance
en proposant à Ophélie
un soir d’été
une banane contre une pipe
derrière l’église
Heureusement pour moi
elle accepta sans broncher
l’échange
puisqu’il ne s’agissait pas
au bout du compte
de la transformation d’un sujet
en objet
par l’entremise
d’une devise

Malgré qu’on en ait, la transformation – nettement allégée – de cette nourriture va. 
Frêle Majesté, une fois les pieds dans l’eau ; immobilité parfaite et les insectes forment une gaze
et donnent l’assentiment. Ça n’est pas une charge, le nom reste utile pour un temps dévolu.
Le charme de la rose est accentué par les détours du discours.
Cela existe, cela est un ordre ; une démesure expiatoire.
 #


Poste restante
Sachez que les nuits de grandes manœuvres métaphysiques je pousse mon identité vers la sortie, je la mets à la porte à coups de pied dans le derrière, je la bannis de mon froc, je la flanque loin, très loin, au-delà des pôles, chez les Hyperboréens, aux antipodes de la revoyure, oust, du balai, face aux monades sonnantes et trébuchantes je dois être seul et épluché, débarrassé de mon stuc, sans lisière ni confins, débordant de partout, impérativement HORS DE MOI, la luxuriance des déserts ne se révèle qu’à ce prix, à bon entendeur, salut.

Sachez aussi qu’après un tel effeuillage c’est une gageure de la reprendre au facteur.



Puisqu’il n’échappe à personne que le mot « échapper » ne s’utilise plus de nos jours,
je doute que vos écarts, vos écartèlements ajouterai-je,
ne figurent nulle part dans le registre des identités. Aucune trace sur la neige.
Allons-donc ! C’est aisément élucidable…



#


Promenade

    Jouir de son reste, voilà un consensus fort intéressant. J’entends par reste l’exutoire d’où s’épanchent des torrents de glu, le Paraclet. Car si le fétichiste jouit de sa chaussure (ou de la chaussure d’autrui), ce n’est pas parce qu’il est cordonnier (les cordonniers sont les plus mal chaussés), mais parce qu’il fait corps avec son pied, le pied d’autrui. Faire corps pour ne pas perdre la tête, faire fi de l’absence de corps d’autrui puis rouler un patin au premier cor venu, voilà un clivage rondement mené.
    Ah, le pied de cochon du vendredi soir, avec du sel et des petits oignons, quel simulacre…



C’est le premier paragraphe, il redonne du fil à la rangée supérieure. 
Le professeur se sert de son pied droit pour administrer les voyelles, puis avec son pied gauche, 
il secoue le tapis à l’intérieur duquel gît une image, belle image, illustration d’une digestion parfaite.







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Paru dans Niveau 8, recueil collectif, Ed La Poussière Dit, Octobre 2012
Prix de vente : 13 €
Contact : Julien Ferdinande (julien.ferdinande@hotmail.fr)