Premier
et ultime chapitre
Nina
Hagen lui avait tué le tympan droit. Guesh Patti lui acheva le
gauche déjà bien amoché.
Cette
fois Étienne en eut plein les bottes et n’entendit plus rien à la
raison. Il décida alors, face aux iniquités de la vie, une fois
passés en revue remords et griefs, de disparaître, tout simplement.
Mais,
disparaître n’allait pas de soi. Il fallait s’exécuter
dignement. Et, puisqu’on l’avait si souvent envoyé se plaindre
ailleurs, il résolut de se pendre ici, bien en vue. Résolution
qu’il appuya d’un « Na ! » infantile tout en
tapant du pied le sol qui ne lui avait rien fait, plongé dans un
sommeil que d’aucuns prétendent réparateur – je pense que ces
aucuns là ont dû confondre sommeil et atelier de mécanique auto.
Mais Étienne, pas moins que moi, n’en avait cure.
Comment
allait-il se comporter, le Étienne ? N’allait-il pas élaborer
un plan, avec le peu de raisonnement encore à sa portée ? Ou
bien alors ne lui prendrait-il pas la lubie de se balader en tous
sens entre les blancs et les gris du texte, exquis labyrinthe fomenté
au gré de l’humeur instable de son cerveau amoindri, jusqu’à
remonter à : « Cette fois Étienne ». Eh bien,
cette fois-ci, Etienne et moi-même étions déterminés à quitter
ce paragraphe par trop laborieux à notre goût.
Une
fois ce seuil franchi, il convient de rétablir l’ordre dans la
maison : Etienne le personnage, moi le narrateur. Mais là hélas
j’ai un blanc. J’ai perdu des notes et des brouillons. Quand je
dis perdus, traduisez fauchés. Oui ! Fauchés ! Je suis
convaincu que ce mauvais coup est l’œuvre de mon ex-secrétaire
Frina Désirzcü. Mauvaise habitude que j’avais prise de pendre ma
veste dans le couloir sans en vider les poches. La Désirzcü ne se
gênait pas de les fouiller, et disparaissaient parfois des tickets
de transport, tantôt un briquet. Une autre fois un calepin, qui me
fut restitué avec des pages manquantes de notes et brouillons, et
non des moindres. Un autre jour je surpris Frina mangeant
gloutonnement des feuillets de carnet. Lorsqu’elle m’aperçut
elle avala subrepticement sa boulette de papier avec une sorte de
gloussement qui aurait pu passer pour de l’admiration teintée de
concupiscence envers ma pomme. Mais je n’étais pas dupe.
Un
peu plus tard, je lui tendis un piège. Je laissai
un
carnet vierge dans ma veste, avec une enveloppe cachetée insérée
en son milieu. Sur cette enveloppe on pouvait lire : « Désirzcü
Frina : Rapport confidentiel », en gros caractères. Déjà
de quoi la faire flipper. A l’intérieur un pli la concernant. Il y
était énuméré un tas d’observations sur son comportement au
travail et pendant les pauses. Liste établie selon les rapports du
système de vidéosurveillance, prétendument installé par un mien
ami expert en la matière et en trompe-l’œil, depuis quelques
mois, alors qu’elle était en congé. Les charges étaient
lourdes !
J’aurais du me réjouir
du mauvais tour que je lui jouais. Mais il n’en fut rien, j’étais
plutôt préoccupé par le devenir d’Étienne. Il me fallait
retrouver les chaînons manquants de son histoire, les réécrire de
mémoire. Ce petit tracas me fit gargouiller l’estomac, de fait :
j’avais faim. Aller à l’épicerie du coin, acheter du chocolat
pâtissier. Sortir. Zut, il pleut… - vous pensez que je devrais
envoyer Frina ? Mais elle n’est pas ma bonne, et je ne me fais
livrer que par moi-même. Bon, sortons… clac !
Clic ! Le couloir. Vision fantasmagorique, les bras tendus vers le désespoir comme un naufragé du « Radeau de la Méduse », Frina, telle une molle épave que le ressac a abandonnée, à demi allongée s’accroche prostrée à la cimaise de bois, griffant de ses ongles le vernis déjà bien écaillé. Tableau pathétique, dérisoire ou érotique ? Pas le temps de choisir ! J’ai l’air de celui qui arrive trop tard pour brûler la cervelle de Marinette déjà morte. Vous avez compris : avec mon p’tit calepin j’avais l’air d’un con, ma mère !...
Clic ! Le couloir. Vision fantasmagorique, les bras tendus vers le désespoir comme un naufragé du « Radeau de la Méduse », Frina, telle une molle épave que le ressac a abandonnée, à demi allongée s’accroche prostrée à la cimaise de bois, griffant de ses ongles le vernis déjà bien écaillé. Tableau pathétique, dérisoire ou érotique ? Pas le temps de choisir ! J’ai l’air de celui qui arrive trop tard pour brûler la cervelle de Marinette déjà morte. Vous avez compris : avec mon p’tit calepin j’avais l’air d’un con, ma mère !...
[...]
Paru dans Niveau 8,
recueil collectif, Ed La Poussière Dit, Octobre 2012
Prix de vente : 13 €
Contact : Julien
Ferdinande (julien.ferdinande@hotmail.fr)
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