Annie Wallois, Un poète disparaît

Longtemps, longtemps encore, Nestor se souviendra de ce jour d’été où il avait appris, dans un journal local, la disparition de Basile, une vieille connaissance, poète de son état, tout comme lui. Pas mort non, entendez bien : juste porté disparu. Introuvable. Invisible. Parti sans laisser d'adresse.

Retiré peut-être dans une Thébaïde au bord d'un lac gelé de Sibérie. On avait déjà vu ça. Ce ne serait pas le premier à filer à l’anglaise. Tant d’autres. On perdait leur trace, on finissait même par les oublier, quand, tout fiérots, ils refaisaient surface sans daigner fournir la moindre explication.

Un poète sans histoires, Basile, et qui n'avait jamais fait parler de lui jusqu’à ce jour.
Nestor en avait avalé son kir de travers et avait quitté précipitamment le café à l'enseigne 'Le Diplodocus' où il retrouvait chaque matin son cercle d'amis, rassemblés autour de ses petits carnets d'écritures étalés sur la table.

Bien décidé à mener son enquête personnelle, flanqué de Zouzou, son fox-terrier à poil roux, il avait marché vers la rue des Sansonnets où résidait Basile. Au numéro 78, il avait composé le sésame en six lettres du mot 'roupie' sur le digicode, et la porte de l'immeuble s'était ouverte. Au troisième étage, à sa surprise, il n'avait eu qu'à tourner la poignée pour entrer dans l'appartement de son vieil acolyte.
Comme on pouvait s'y attendre, celui-ci n'avait répondu ni à ses appels, ni aux aboiements d'un Zouzou très énervé,  tirant une langue verte, couleur pistache de la glace étalée sur le trottoir, aux pieds d’un pauvre gamin qui avait pleuré son cornet renversé, quelques minutes plus tôt.

Zouzou avait dû commencer à flairer l'embrouille car il s'était mis à gémir.
- What happens, what happens ? criait Nestor, qui, tout à son émotion, oubliait sa langue maternelle. It’s so strange !
Et de s’égosiller absurdement :
- Basile, qu'est-ce que tu fous, t'es où ? Reviens Basile, t'es pas tout seul, viens, on va aller boire un kir, ils t'attendent tous au Diplodocus et yaura des demoiselles !

 Au bout de dix minutes, Nestor avait fait le tour des trois pièces, fouillé les recoins à la recherche d’indices ; en vain ; l’appartement, bien rangé, semblait attendre sagement le retour de son propriétaire ; et Nestor s'était senti subitement désœuvré.

 Zouzou s'était tu et tous les deux s'apprêtaient à redescendre, mais Nestor avait soudain remarqué, tendu en travers du couloir, un fil de nylon auquel était suspendu, à l'aide d’une épingle à linge, une feuille blanche au format A4.  Elle n'y était pas quand il était entré, ça, il l'aurait juré.
En s'approchant, il avait pu lire ces quelques mots intrigants, en lettres rouges sang : « Ceci n'est pas un kidnapping. ». L’écriture ne lui était pas étrangère.  Interloqué, Nestor avait détaché, plié et glissé la feuille dans sa poche avant de sortir. Désorienté, pour le moins.

 Il savait que l'histoire n'en resterait pas là, mais il était loin de se douter de ce qui allait se passer les jours suivants.

« Zouzou, on s'en va, dépêche-toi » ; Zouzou lui avait emboîté le pas, tout en mordillant un petit objet en bois, que Nestor avait voulu lui arracher ; mais Zouzou n’avait pas lâché la pince à linge.





Texte paru dans L'Air du Temps, recueil collectif, juin 2012
Contact : anniewallois@gmail.com

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