Mimosa, Vie et mort du Tarzan

Longtemps, le Tarzan s’est comporté comme un casse-cou. Son tempérament avait été façonné par la jungle où la moindre cime ne descend pas sous le décamètre. Durant la première période de sa vie, il se nourrissait exclusivement de haricots à longues tiges, ce qui lui permettait de se ravitailler en vol. Cette habitude finit par sceller son destin au-delà des nuages. En effet, la végétation, qui n’était jamais piétinée par le Tarzan, ne cessait de se densifier et de se fortifier sous l’effet de l’engrais produit par la digestion des haricots. Son existence s’engouffrait dans une densité de langues vertes. Il était condamné à s’élever toujours plus haut jusqu’au moment où ce ne fut plus possible. Son front ne tarda pas à heurter la coque en résine de l’ionosphère. Il n’eut d’autre échappatoire que de se laisser glisser sur le toboggan du ciel pour tomber au hasard, sans parachute, comme un pot d’échappement de Soyouz.
Le dépaysement est le premier symptôme du déracinement. Le Tarzan atterrit dans la ville. Une page se tourna, dessinant un arc dans le ciel, comme le saut à la perche de Sergueï Bubka. Le Tarzan a rapidement reconstitué son espace vital. Il édifia son logement à trente mètres au-dessus du sol, à partir des matières premières de la ville. Il construisit plusieurs tours, suivant le même modèle, afin de pouvoir emprunter les voies de déplacement aériennes en se suspendant aux câbles métalliques qui sont, selon la pratique urbaine, des canaux de communication. Bientôt, l’horizon fut encombré par une multitude de tours semblables en apparence, différentes néanmoins par leurs coulées de rouille et zones de peinture délavées, conséquences de leur exposition aux vents du Nord et de l’Est, comme la mousse sur les arbres. Ce fut l’édification d’une jungle en territoire redneck, ainsi nommé en raison des chipolatas dont les indigènes raffolent et qui finissent par plisser et rosir la peau de leur cou comme le boyau d’une saucisse.
Léopold Bloom dit : « Cochon tu manges cochon deviens. » Les cochons sont roses et potelés comme des anges. Ce sont des anges que l’on mange, de peur que leur innocence ne nous mette en défaut. Les cochons sont nos masques de fer.
C’est en saisissant une branche de saule pleureur trop fine que le Tarzan chuta sur les fesses, ce qui lui causa le même étourdissement que s’il était tombé sur la tête. L’étourdissement par les fesses est le premier symptôme de la vieillesse. Le Tarzan compris dès lors qu’il lui fallait se sédentariser au ras des pâquerettes, dans un lotissement, un clos, l’inévitable antichambre du cimetière des éléphants. Le Tarzan élut domicile dans un cul de sac, au fond d’une raquette occupée par des rednecks comme il faut, qui circulent en voiture à moteur diesel. Il conserva néanmoins l’habitude de grimper sur la plateforme de la galerie Coop implantée au cœur de la ZUP, une jetée surplombant les voies de circulation comme celle de l’aéroport d’Orly, zone de rencontre entre présent, passé et futur, avec vue sur la multitude des tours, du sommet desquelles on voyait forcément la mer, puis l’Afrique, faute de quoi la vie serait une farce.
C’est en fin de matinée, dans le carré pénitencier de son jardin, à l’ombre humide de son barbecue de brique, qu’il fut pris de l’irrésistible envie de se balancer en s’agrippant à la corde à linge. La corde céda sous son poids. Sa tête cogna contre le muret de béton en ployant son cou. Sa vue se brouilla comme si son crâne s’était soudain rempli d’eau. Une heure durant, les compresses de vinaigre et d’eau de Cologne apaisèrent son agonie.
Au bout du quai Branly, dans une perspective pédagogique, son corps est exposé comme le journal d’une vie, parchemin marqué de griffes de fauves, d’inconséquentes morsures de frères gorilles et, au niveau de l’occiput, d’une intrigante empreinte rouge en forme de pince à linge.






Texte paru dans L'Air du Temps, recueil collectif, juin 2012




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