Philippe Lemaire, Dure dure l'amour

Longtemps… Depuis longtemps elle m’accompagne discrètement, toujours fidèle, toujours aussi efficace pour me rendre les humbles services qu’on attend de ses pareilles. Elle n’est pas de celles qui craquent, qui pètent un ressort sans prévenir, qui se cassent et vous laissent tomber au moment le plus inattendu.
Je la saisis par les bras, la pince, la malmène, rien n’y fait : elle ouvre toujours sa petite bouche avide, serre bien fort ce que je lui fourre dans le bec et se laisse caresser par le soleil. Je l’oublie pour un moment. Lorsque je reviens vers elle, c’est pour lui retirer sa proie et la renvoyer avec les autres, jusqu’à la prochaine fois.
Tout de même, son endurance finit par m’étonner. Quel âge peut-elle bien avoir ? Je ne saurais pas le dire exactement. C’est la plus ancienne, j’en suis certain.
L’autre jour, alors que mon regard flottait sans raison particulière vers le coin où elle niche avec ses sœurs, il s’est arrêté plus longuement sur elle. Elle tirait vers moi sa petite langue verte et j’ai réalisé que, décidément, elle n’est pas comme les autres.
J’ai oublié de vous dire qu’elle est verte, toute verte, d’un vert printemps à faire pâlir d’envie la plus verte des rainettes ! C’est un vert peu commun, comme on n’en fait plus.
Je reçois de notre amie Popofe un petit mot très touchant : « ...dure dure l’amour sous toutes ses formes. On commence par aimer ses parents puis les hommes, les femmes et on finit par les oiseaux, les arbres, les pierres, etc. »
Quelle est l’expression en anglais pour dire qu’on aime particulièrement quelque chose ? Good grief ! J’ai oublié. Je vais le dire en français : décidément, je suis bien accroché.
C’est Maman qui t’avait confiée à moi à une époque où je n’étais pas très bien équipé. Nous sommes habitués l’un à l’autre à présent, et je réalise combien je tiens à toi, après toutes ces années !
Oui, je crois que je t’aime, avec tes yeux couleur de rouille et tes petits bras si attachants !
Dis, tu ne vas pas me lâcher maintenant, petite épingle à linge ?




Texte paru dans L'Air du Temps, recueil collectif, juin 2012


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