Marie-Groëtte, Longtemps après que l'hiver

Longtemps après que l'hiver fut venu, mais alors que le soleil tardait à réchauffer l'atmosphère, vint un soir de débat présidentiel : les challengers étaient en piste et les téléspectateurs s'attendaient à un pugilat bien corsé. J'avais réussi à squatter le poste de télévision de la salle à manger et le fauteuil qui lui fait face. Non que j'imaginais décider de mon vote à l'issue de ce débat, mais pour estimer un peu mieux les chances de chacun des 2 hommes en présence.
Notre chatte Châtaigne la bien nommée, encore qu'elle fût de moins en moins teigne et eût la robe de de plus en plus automnale, sembla apprécier mon initiative : elle vint se pelotonner autour de mon cou et se mit à ronronner de plus en plus ouvertement.
« Le prochain président de la république, c'est une décision importante, grave, pour cinq ans »
« 5 ans, c'est vraiment long parfois. Et dans 5 ans, serai-je encore là ? » Hum hum répondait Châtaigne en me rassurant.
« En vérité c'est un choix historique, la France n'a pas droit à l'erreur »
« Au fait, venons-en au fait, pensai-je in petto. Aux fêtes ? Les prochaines s'annoncent bien remplies : 8 mai, Ascension Pentecôte, on aura du monde à la maison et il va falloir assurer ». Mia miamm… mastiquait Chataigne en passant sa langue râpeuse sur ma joue.
«Je parle de mon côté, je suis de gauche je l'assume. Vous êtes de droite vous pouvez l'assumer ou pas. »
« On n'avance pas beaucoup ; je vais feuilleter le journal resté ouvert sur la table ; tiens, j'ai mis du vert en l'attrapant. Dans le creux de ma main, le même vert ; Châtaigne râle parce que je bouge et l'interromps dans son léchage ; mais c'est elle qui a une langue verte. Où est-elle encore allée boire ?? Tant pis je n'ai pas le courage de chercher. On verra plus tard. »
«  la TVA pèsera sur les importations »
« La chatte aussi commence à me peser dans le cou, et elle me brouille un peu la transmission ;enfin on aborde les faits, on a un peu quitté la langue de bois mais on est encore loin de la langue verte ! » Comme si elle comprenait ce que je venais de penser et riait tout bas, Châtaigne ronronnait de plus en plus bruyamment.
« le pouvoir d'achat... pas assez de dettes en France ? … vous protégez les plus privilégiés... j'ai beaucoup réfléchi sur cette question... »
« Là pour ma part je ne réfléchis plus du tout, je suis de plus en plus enfouie dans la fourrure de Châtaigne, si douce, si chaude. Mes douleurs tout doucement s'apprivoisent .. »
J'empêchais mes muscles de se relâcher complètement pour garder encore un peu de sérieux et d'attention : « personnes entrant sur notre territoire ... en 2007 vous aviez dit je voudrais que la moitié soit de l'immigration choisie »
« Ah non, les voilà de nouveau sur un terrain glissant ; quelle plaie ce débat ! Tel que c'est parti je vais devoir le relire dans le journal ou revoir l'émission sur mon ordinateur demain... Après tout, j'aurai plus de disponibilité et de fraîcheur après avoir dormi. Allons Châtaigne, continue de me câliner... »
Les derniers mots que j'entendis ce soir-là furent : « moi, monsieur Hollande, je ne me suis pas bouché le nez avec une pince à linge »





Texte paru dans L'Air du Temps, recueil collectif, juin 2012
 

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