Hermiana Zaïri, Dans le cabinet de toilette

Longtemps… Si longtemps… mais je n’oublie pas la langue verte des aïeux.

La katkouta de la Nona n’en perd pas une miette, là, dans l’encadrement de la porte du cabinet de toilette.
Le tricot de peau flotte un peu autour des bras amaigris par la fonte des muscles. Le pantalon gris à pinces est maintenu par une éternelle ceinture de cuir marron. Dans la poche droite repose un éternel mouchoir de coton immaculé, soigneusement plié. Les pantoufles en cuir noir ou marron ou bleu foncé les années de fantaisie frottent le carrelage à petits carreaux bleu ciel gris clair et gris foncé. La calvitie incomplète a sauvé une couronne de cheveux blancs bien peignés. Les yeux un peu opacifiés par la cataracte fixent leur image dans le miroir de l’armoire de toilette au-dessus du lavabo. Les doigts bruns aux articulations noueuses caressent d’un geste enveloppant le bas du visage à la peau hâlée parcheminée piquetée de petits poils blancs. D’un mouvement de va-et-vient sur la joue gauche, le dos de la main droite évalue la rugosité cutanée. Le blaireau au manche en corne usé par les frictions répétées tourne dans la boîte à savon à barbe Palmolive rouge. Ou verte. Une habile rotation du poignet étale uniformément la mousse épaisse et dense. Elle dessine une barbe de Papa Hanouka qui monte jusqu’aux pommettes. Un tour de vis entre le pouce et l’index resserre les mâchoires du rasoir autour de la lame Gilette neuve. Le non-coupe-chou moderne et sécurisé trace des chemins de peau nue dans le paysage de neige en produisant un doux feulement, le bruit unique du frottement de la lame sur le papier de verre de la peau. La souplesse incroyable du poignet évite toute coupure au moment périlleux de gravir la pomme d’Adam. Pas une goutte de sang. La lame s’attarde près des oreilles et reprend sa route. Deux doigts tirent une oreille puis l’autre. Des contorsions de la bouche et du menton assurent qu’aucun poil ne soit oublié au creux d’un pli. La peau maintenant entièrement déneigée encore poisseuse du savon à barbe est rincée à grands jets d’eau puis séchée. Le même geste du dos de la main droite sur la joue gauche ne produit plus qu’un bruit fin. La serviette qui a essuyé le visage demeure accrochée au fil par une épingle à linge.



Texte paru dans L'Air du Temps, recueil collectif, juin 2012

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