Didier Morel, Mélodie à m'mode

 Longtemps je me suis couché de bonne heure en comptant les moutons avant de m'endormir. « Il pleut, il pleut bergère, rentre tes blancs moutons » chantonnait dans son lit, le garçon de neuf ans et demi que j'étais. Avec toute cette laine, j'aurais pu ouvrir un grand dépôt de tricot, chaussettes, gilets, vestes et autres tapisseries de Bailleul. Mais je fus bientôt propulsé dans la frénésie joyeuse des sixties. J'écoutais à la radio le phrasé obsolète de la chroniqueuse politique Geneviève Tabouis dont je ne comprenais aucun des propos. Eddy Mitchell reprenait avec ses Chaussettes Noires sponsorisées par Stem :
« Tu parles trop, j'entends du soir au matin
Les mêmes mots, toujours les mêmes refrains
Tu fais : « Bla, bla bla bla bla bla »,
C'est ton défaut. »
... alors que je n'avais pas encore ouvert la bouche. Gagarine faisait un tour dans l'espace à bord de Vostok 1  et le Telstar des Tornados tournait bientôt, en même temps que les autos tamponneuses de la ducasse.
  J'ai rêvé d'un groupe de rock and roll qui s'appelait « Les Tapissiers de Bailleul » : guitare en formica et son stratosphérique à la Shadows. Et pourquoi pas ! Il y a bien eu les Bourgeois de Calais, les Chacals de Béthune et plus exotique El Toro et les Cyclones de Jamaïque. Non, non, non, trois fois non ! Le Bourreau de Béthune, bien après Alexandre Dumas père, fut un catcheur des années 50 et 60 au même titre que l'Ange Blanc, Ben Chemoul, le Petit Prince,  Delaporte et Bollet, Bobby Duranton accompagné par son valet. Lino Ventura avait déjà quitté le ring pour monter sur les planches.
  Les années rock étaient ponctuées de fêtes familiales où les générations musicales s'affrontaient. Le grand-père se lançait dans une complainte mélodramatique et interminable comme L'angélus de la mer. Mon père et son plus jeune frère faisaient les pitres en pastichant une chanson folklorique de Patrice et Mario. Ma mère susurrait :
Frou-frou
Par son jupon la femme,
Frou-frou,
De l'homme trouble l'âme.
Tandis que me venait aux lèvres les paroles d'une chanson de Marcel Amont que je n'osais articuler :
Un mexicain basané
Est allongé sur le sol,
Le sombrero sur le nez
En guise, en guise, en guise... de parasol.

  Mais je m'aperçois que ce texte ne va pas tenir compte de l'une des contraintes collectives imposées : à savoir un format A4.  Alors, foin des musiques préférées des années postérieures ! Adieu à l'évocation de Dan Ferdinande en corsage à jabots rouges en hommage aux Kinks tandis que résonne leur « Dedicated  follower of fashion » ! Parler de langue verte va jurer dans l'assortiment de plats blancs et rouges chez Annie Wallois, 16 Rue Delvau. Et bien sûr, je n'ai pas pu respecter la contrainte que j'avais édictée moi-même : écrire un texte sans consonnes ni voyelles. Alors, je me suis contenté d'accrocher, au fil de la vie, certains de mes souvenirs musicaux, avec des pinces à linge.





Texte paru dans L'Air du Temps, recueil collectif, juin 2012
Contact : anniewallois@gmail.com

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