Le Journal de L’appartement moutarde
Le centre de gravité s’est déplacé, donnant à chaque volume de la présente édition une relative autonomie : « C’est étrange, parce que je ne l’ai pas vu venir, parce que c’est une certitude, une évidence ; je n’en ai rien su ou je n’ai rien voulu en savoir. Voilà. Avant, mes élans, mes émotions, toutes les composantes de ma vie, n’avaient qu’un but, qu’un écho, l’amour. C’était acquis et ça ne devait pas cesser. Aujourd’hui, je le sais, tout se rapporte à l’écriture, la mienne, et bien sûr à la création en général. À n’en pas douter, j’ai vieilli » (mars 86). Il n’avait pas tort, Thierry Dessolas, quand il affirmait, en décembre 85, que Michel devrait « faire de la critique littéraire » ! Il en fait, dans son Journal, et de plus en plus : critique non seulement littéraire mais musicale, dramatique, artistique, et critique de ses proches, car c’est la proximité qui crée les « points de friction » !
Et puis il y a la critique des œuvres pendant qu’elles s’écrivent, par exemple ce Journal dans le Journal qu’est celui de L’Appartement moutarde, dans le droit fil du Journal des Faux-Monnayeurs de Gide :
« Je travaille régulièrement au « roman ». Des images oubliées ressurgissent, blessantes. Je cherche les origines de la douleur. La perte du paradis. C’est un roman sur la pourriture, je peux le dire ainsi. La pourriture, la mort, la fin de cette éternité préalable, le fruit de la connaissance, le fruit véreux. Mais sans didactisme aucun, le moins possible, sans analyse, sans psychologie. Un récit allusif ; symbolique ? Symbolique : nous y revoilà !! » (avril 87).
Le « roman » semble naître du Journal :
« Je commence le « roman », une sorte de Journal très élargi. Il s’agira d’abord de retenir tout ce que d’ordinaire on laisse de côté. Je cherche une autre aventure, un danger neuf. Depuis deux ans, tout ce que j’écris n’est pas, certes, fait sur commande, mais répond à une demande. Il s’agit de franchir le pas, je n’abandonne pas pour autant L’oiseau, la charogne. Je le porterai longtemps. Je redoute de m’en délivrer » (octobre 88).
Peu à peu, le « roman » s’affranchit du Journal :
« Je ne parviens plus à avancer dans mon roman, la forme du Journal ne me semble plus convenir, est usée. Je penche pour un monologue puis renonce. J’ai écrit une page, une seule, qui révèle bien l’atmosphère de ce que je me proposais d’écrire (un moi qui se croit géant et ne peut exister que dans un monde étriqué) mais je lambine, traînaille, ajoute un mot, en retire un autre, envoie tout —le peu— promener et vais penser à autre chose, c’est-à-dire à la bonne formule qui me permettra de me replonger dans l’ailleurs de l’écriture, le seul qui me convienne » (12 novembre88).
« Commencé ce jour mon roman, avec cet exergue de Catherine Pozzi : "Quel quidam, quelle dame, acceptera le spectacle de ma vie, sans rire ? ". Commencé avec enthousiasme, en plongeur (sic) » (16 novembre 88).
« Mon enthousiasme du 16 est retombé. Certes, j’ai écrit quelques paragraphes mais dans le désordre, ce qui m’est insupportable. Je n’ai pas trouvé mon fil conducteur et j’enrage » (19 novembre 88).
« Terminé le canevas du roman. Je ne sais pas écrire sans un cadre défini, un espace précis, un temps donné » (29 novembre 88).
« Je veux écrire un roman et c’est la poésie qui surgit, en petite quantité. Je note ce que j’appelle "mes antiquités". Peut-être poursuivrai-je les deux textes de front. Je ne patauge plus, je fais encore du surplace » (5 décembre 88) .
« Le roman ( ?) prend un nouveau départ. Je ne disperse plus ma pensée, les revues m’oublient comme je le souhaitais, mais les lettres témoignent une certaine impatience à lire de nouveaux textes » (décembre 88).
« Mon existence manque de brillance et je ne parviens pas à l’éclairer de l’intérieur. Et j’ai fait fausse route avec ce roman qui m’empêche de me détendre et qui n’avance plus. J’ai misé trop haut. À reprendre à zéro, sur un autre territoire ; et se taire ! Ne rien annoncer ! » (janvier 89).
« Terminé le troisième chapitre du roman. J’ai pu dire hier à Claude : "J’écris au fil de la plume". Trois phrases mises bout à bout d’un seul allant » (2 mai 89).
Une concurrence s’établit entre le « roman » et le Journal, et il arrive que celui-ci prenne le dessus :
« Après moult tergiversations et de grandes décisions étouffées dans l’œuf, je décide de mettre de l’ordre dans l’ensemble de mes notes (depuis 1965) et de les recopier à la main » [en note, le même jour : "Vingt années (ou plus) me seront nécessaires. La mort devra attendre"], des milliers de pages de tout format (même des tickets d’autobus). J’exagère certainement l’importance de ce Journal, mais il fut, et il est le symbole de ma constance. Quant au roman, interrompu par la trop longue présence des visiteuses de l’été, il ne sera pas écrit. Je ne parvenais plus à resserrer le propos. Restent des nouvelles, des pièces brèves, une unité de ton (égotisme ironique). Au travail ! J’ai perdu trop de temps ». (janvier 90).
La mort n’a pas attendu. Michel a-t-il exagéré l’importance de son Journal ? Nous ne le croyons pas. Mais le « roman » reprend le dessus :
« Nuit d’insomnie. Le roman en est la cause. Voilà quinze mois que j’y consacre une grande partie de mon temps d’écriture ; certains paragraphes ont été repris plus de dix fois, dix et vingt fois. Mais je n’ai pas trouvé mon fil d’Ariane. Tout semble rédigé. Il faut organiser le chaos. Je ne sais pas si je parviendrai à un résultat définitif. Je me complais peut-être dans ces démolitions successives. Je ne me décourage pas. C’est comme la gale. Ça me démange. Je me gratte. (Titre possible : L’Appartement moutarde) » (février 90).
« Au moment où je renonçais au roman, j’en compris les articulations, et je me suis remis à la tâche avec un entrain peu commun. Il faut qu’un sujet me hante, que je m’endorme et me réveille avec un problème à résoudre, une phrase à polir, à déplacer, à supprimer. Laisser reposer la pâte est un mauvais conseil (en ce qui me concerne tout au moins). Je ne progresse que dans la saturation. La spontanéité est rarissime, même en poésie. L’image est donnée, elle, oui » (avril 90).
« Le roman, parfois je dis le massepain, avance lentement, très lentement. Mais j’y pense sans cesse. C’est comme une énigme, ou plutôt comme un champ de fouilles. Il y a des indices qui éclairent le sujet et d’autres qui m’orientent vers de mauvaises pistes. L’absence de dialogues, le style volontairement empâté, désuet, ne me permettent aucun allant, et j’ignore, je ne peux prévoir le moment où j’en serai délivré » (octobre 90).
« Au bout de deux années, j’ai sous les yeux vingt pages dactylographiées qui ne peuvent me satisfaire. Je voulais en terminer avant l’été 91. Mais je doute que cela soit possible. Je ne sais plus ce que c’est que d’avancer. Tout est trop pesé, mesuré. Je voudrais que le ton général ait une saveur, un son désuets (comme le narrateur) mais sans tomber dans le passéisme. La chronologie va à reculons et par sauts. Les thèmes et les situations se répètent comme si chaque fois le calque avait bougé » (novembre 90).
«Trois semaines sur le même paragraphe (une vingtaine de lignes), est-ce bien raisonnable ? Montrer plus qu’expliquer. Susciter l’image plus que la peindre. Susciter l’idée par un frottement d’images. Qu’on entende (au sens d’ouïr) l’image, qu’on entende l’idée. Il y a plus simple, je sais. Encore quelques mois de patience » (2 mars 91).
« Je suis toujours dans la "moutarde" jusqu’au cou. J’en aurai bavé, j’en aurai chié » (août 91)
François Huglo
Publié
par les Editions Les Amis de Michel Valprémy
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1 (1965-1980), 2015
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In Wikipedia : "Michel Valprémy est un poète français né le 3 juin 1947 et mort le 4 septembre 2007. Il vivait et travaillait Bordeaux où il enseignait la danse. Sa poésie, métaphorique, ample par ses images, parfois cruelle, vise à saisir certaines parts d'innommable dans le réel."
https://fr.wikipedia.org/wiki/Michel_Valpremy
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