Peau
de vache et autres peaux
« C’est
vous la Petite Renarde Rusée ?
– Eh
non, la petite renarde rusée c’est pas moi ! » Petite
renarde… ça me plairait, oui…
J’aimerais
aussi être une vache parfois. Entendons-nous ! pas une vache comme
on dit « quelle vache celle-là ! » non ! j’ai rien de
la peau de vache… ni de la langue de vipère d’ailleurs !
Une grande vache blanche et noire – ou une petite, mais grande ça
changerait – pour brouter tranquillement dans un pré des Flandres,
pour me prélasser solitaire dans un coin, pour rêvasser, écouter
de plus près le chant des oiseaux, regarder passer les nuages tout
au long de la journée, renifler les pâquerettes, me lancer soudain
avec mes camarades dans une course sans but jusqu’à l’autre bout
du champ juste pour le plaisir de courir ensemble, pisser debout dans
l’air frais, me laisser traire docilement à la nuit tombée…
Oui, voilà, une vache laitière, tranquille, paisible, une bonne
vache !
Ou
alors… une chèvre (mais pas une vieille bique !). Une chèvre dans
les collines de Provence (et pas de crainte à mon âge que le loup
cherche à me manger, ou un vieux loup mais ses dents alors !…).
Je grimperais sur les rochers, pas très hauts, je mâchonnerais le
thym parfumé, je me griserais de l’odeur des lavandes et du
romarin, je gambaderais dans le soleil et le mistral à perdre
haleine...
Certains
jours, comme tout le monde, il m’arrive de jouer les lézards
derrière les vitres d’une pièce ensoleillée. Je sais aussi être
chatte pour me faire câliner ou grimper aux arbres encore
quelquefois. Et je deviendrais volontiers tigresse pour déchirer les
mauvais, les fourbes, les faux, ceux qui se servent des autres pour
arriver à leurs fins, qui dévorent leurs semblables, mettent de
l’huile sur le feu, les fanatiques de tous bords …
Mais
sur la longue durée et en réalité je me fais l’effet d’une
sauterelle, à sauter sans cesse d’un côté, de l’autre, à
faire ci, à faire ça… « Tu es encore en train de
rhizomer !!! Arrête-toi un peu ! » dit-il le plus
souvent.
M’arrêter ?
On verra… Plus tard !
*
Jeu
de Paume
Je
suis planté là à quelques pas d’elle, blanche des cheveux
jusqu’au bout des pieds, couronnée d’une branche souple de
lierre qui tombe et s’enroule autour de son corps drapé de blanc,
arrêtée sur son socle en une pose attentive au centre du grand
cercle que forment les badauds devant l’austère façade de
l’ancienne halle à la viande. Bouche ouverte devant cette vision
merveilleuse je viens de découvrir que ses seins sont nus sous la
couche d’enduit blanc, que le sein gauche émerge comme une petite
lune bien pleine des plis du drap, qu’une lune pareille se profile
dans la large échancrure droite. Quel autre moyen alors pour lui
dire le bonheur que je ressens ? Je m’approche d’elle les
yeux baissés pour déposer une pièce dans l’assiette devant elle
mais ahhh ! au bruit que fait la pièce en tombant son corps
immobile se met soudain en action. Elle tend brusquement un bras
devant elle, remue la tête, pivote légèrement du côté par lequel
je m’éloigne déjà. Avant de sortir complètement du cercle je me
retourne et la vois non seulement me suivre du regard mais aussi
faire un signe en ma direction, un signe de l’index qui me demande
de revenir vers elle. Si je m’étais attendu à ça ! Je jette
un coup d’œil vers ceux qui sont devenus des spectateurs très
intéressés par la tournure que prend l’événement et je me mets
à rire bêtement sans plus oser bouger. L’index à nouveau s’anime
d’un geste lent : c’est bien ça, c’est bien moi qu’elle
invite ! Alors je m’avance vers elle de quelques pas…
L’index m’intime de venir plus près, encore plus près !...
Impossible de me dérober. Il me faut m’approcher à petits pas,
aussi loin que l’index le désigne, c'est-à-dire aussi près,
terriblement, des douces lunes jumelles, du beau visage dont les yeux
se confondent avec le ciel, très bleu aujourd’hui. Pétrifié à
mon tour je sens maintenant sur ma joue sa caresse, la peau rêche de
sa paume, de ses doigts recouverts de craie, rèche mais étonnamment
tendre. Vous êtes très belle ! et pendant cette seconde-là le
monde autour de nous disparaît. Puis je m’éloigne du moins vite
que je le peux à travers la foule en me gardant bien de croiser un
seul regard et laisse un ami m’entraîner dans les rues pavoisées
de la belle ville de Gand en fête.
*
Peau
de reinette
Un,
deux, trois, Soleil ! Imperceptiblement je m’approche du mur.
Ce ne sera pas pour tout de suite, pas pour demain, enfin je ne le
pense pas, mais il n’y a aucun doute là-dessus ça viendra. Et au
moment où ce sera à mon tour de le toucher je crierai « Soleil »
(c’est la règle). Ça a commencé par mes mains, d’abord des
taches brunes sur la peau claire, le grain devenu plus épais, la
peau comme un champ labouré, les veines en relief. J’ai pris ça
pour un avertissement, plus encore que tout autre signe que j’avais
eu jusque là. Alors un jour je l’ai écrit à un jeune ami que je
n'avais pas vu depuis très longtemps, que les rides sur mon visage
et sur mes mains me faisaient aimer ceux que j’aime, dont il était,
avec grande tendresse, que c'était comme un cadeau que je recevais
en échange du temps qui passait. (Est-ce dans le fond de quelque
importance que la lettre me soit revenue quelque temps après avec la
mention : N'habite plus à l'adresse indiquée ?).
Je
me demande si le moment venu je n’aurai pas laissé échapper trop
de choses ou pas assez regardé, écouté, donné, pris part, pris
parti et aussi si j’aurai été, un tout petit peu au moins, ce
lieu de passage dont l’idée me plaît, ce lieu où le monde reçu
se transmue en mots sur la feuille.
Ce
dimanche a été parsemé de ces petits bonheurs qu’il sait faire
naître, ces bonheurs à quatre sous. Le lever d'abord, puis le
départ à moto pour Wazemmes, la rue Saint-Pierre-Saint-Paul avec
ses bouquinistes et sur le devant du parvis de l’Eglise son vendeur
de vinyles à trois ou quatre euros, la brocante, les légumes, les
olives, la bière Iris, les nems…Et pour finir, le verre à la
terrasse de Chez Ben ou des Tilleuls. L'après-midi s’est passé à
préparer le repas en écoutant les disques achetés, à feuilleter
les livres…
Pelotonnée
au pied du lit je contemple maintenant le soleil qui se couche
au-delà des cyprès et sous le drap de lin blanc celui qui s’endort
profondément.
*
...tellement
dans la peau
« Je
ne vais sûrement pas aller voir le film sur la vie de Johnny Cash,
j’ai déjà bien assez à faire comme ça avec la vie de Zerbin
Buler… »
Ses
mots lui reviennent alors qu’elle est en train de prendre le
tournant de l’entrée de l’autoroute Lille-Dunkerque dans sa
vieille Twingo vert salade pour aller travailler. Elle éclate de
rire. Elle sait bien qu’il n’a pas beaucoup de temps, trop de
choses à faire et tout ça avance si lentement ! Des nuits à
dessiner minutieusement les petits animaux humains de sa BD et
quelquefois au lever : « – Bien dessiné ? –
Non, je ne suis pas tellement content de mes dessins aujourd’hui,
je ne les trouve pas réussis. » Il les lui montre. Il lui fait
lire aussi le texte qui les accompagne. Elle sait bien tout ça, ses
difficultés, ses angoisses, ses luttes, son acharnement, elle le
sait parce qu’elle l’a dans la peau. C’est aussi ça
l’éternité. Il se tient dans son horizon comme une tour de
veille, les yeux bien ouverts, attentif aux mouvements du monde, elle
n’aurait jamais voulu d’autre compagnon que lui pour sa vie.
T'as
Peau dire, 2007
En
collaboration avec Les Dé/mailleuses
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