Dan Ferdinande, Trois fois rien c'est tout (recueil)



Dedans...

Du soleil se glisse dans la chambre
La chatte guette à la fenêtre
Tu veux du thé ? (rituel)
Oh chouette ! Chouette cet homme !
Thé posé sur la table de nuit
Merci !
De rien !
Mais si ! De tout !

Et même du ciel
uniformément bleu
cet après-midi de décembre
et des ailes d'oiseaux
ombres chinoises
sur les murs dorés de la chambre

M'endors un moment
la chatte à mes côtés
Quand je m'éveille
le soleil a disparu
Je le remplace par les deux lampes
qui bordent notre lit

Pendant ce temps
à l'étage au-dessous
la musique ne s'est pas arrêtée

Atchoum ! crie-t-il
Atchoum ! je lui réponds





Dehors…

D’un côté à l’autre du petit jardin
le vent brusquement levé
a fait gonfler le feuillage nouveau
l’a balancé furieusement l’a soulevé enlevé
a couché puis dressé l’herbe déjà haute
jusqu’à saturer l’espace d’un tourbillon de vert
effacer toute trace de ciel
accélérer les battements de mon cœur
de la même façon
que lorsque surgit à l’improviste
au détour d’une rue de la ville proche
la silhouette de l’un ou l’autre de nos fils





Dedans…

La nuit s’est révélée
de lait et d’étoiles
quand j’ai soulevé le store
pour mieux te voir
toi
ton corps pâle
sur le drap clair

Notre chambre sous le toit
flottait au-dessus du village
semblait fendre le ciel
au rythme de notre balancement
moi dessus toi
toi dessus moi
sens dessus dessous





Dedans...

Dans l'escalier ce matin
une odeur subtile
pas immédiatement reconnaissable
puis tout à coup :
l'odeur des pommes rouges
rapportées de la ferme hier


Minette me mordille
attrape mon stylo
perd la marque de mes pages
se lance dans une toilette minutieuse
Je sirote un thé vert du Japon
brûlant




Dehors…

Vous faites le défilé ?
Oui je manifeste… Je fais grève et je manifeste.
Vous allez où ?
On est partis de la Porte de Paris, on est passés par la gare puis ici par la rue Nationale et là on va remonter la rue Solférino jusqu’à la Préfecture. Et vous qu’est-ce que vous faites là toutes les deux ?
On vous suit. Vous allez faire quoi après ?
Après ?
Oui, après le défilé, vous allez faire la fête ?
(Zut alors quelle belle idée ça, la fête ! est-ce que quelqu’un y aurait pensé ?)
Non… pas la fête… (Non, mais quel regret !)
Quoi alors ?
On ira juste boire un petit verre entre amis puis on rentrera à la maison...


Les deux petites curieuses et souriantes ne me demandent même pas une pièce. Elles me quittent en sautillant, s’avancent dans la foule jusqu’à d’autres manifestants à qui elles se mettent à parler comme si elles les avaient toujours connus.





Dedans...

La maison est silencieuse
sans musique sans bruit
Il est sorti
Je préfère entendre les touches du clavier
de son ordinateur
ou un air d’opéra ou un morceau de rock
Je n’aimerais pas la maison sans lui
La nuit est tombée depuis une heure
Je guette le ronflement de sa moto
Qu’il revienne vite !
Que la fête recommence !







Trois fois rien c'est tout
Recueil Les Dé/Mailleuses, 2009




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