CHEZ LES AGOSILS
Ce n’est pas parce que le ciel leur est une direction,
Un sens s’il faut les en croire, qu’ils regardent en l’air,
Ils savent aussi faire profil bas quand, le grand âge
Les prenant au dépourvu, ou alors l’indicible désir
De jeter cette éponge à quoi leur conscience
Aux quatre vents finit par échoir, ou échouer,
Ils mea-culpabilisent comme de dégoûtants gérontes.
Qu’est-ce d’autre qu’une direction dans une direction,
Le Ciel ? S’ils semblent maintenant rivés à l’évocation
De leur nébuleuse, à l’ineffable, à la dilection, c’est
En raison, irrémédiable dans les détails, de la cuirasse
Dont ils sont devenus le défaut. Aucune supplique n’a
Rectifié la pernicieuse action de ce qu’ils comprenaient
Par
vie. Ils ne s’avouent pas vaincus, ce sont les héros.
–
Monologue
de sourd
La belle comateuse
procède par réveils successifs,
Sa giboyeuse fulgurance
en dépend.
Autant dire qu’elle nous
zappe ça en 4ème vitesse,
C’est pourquoi l’éternité
paraît si brève.
Mais aujourd’hui ça va
être une bonne journée,
Une bonne journée pour
perdre son pucelage.
Je l’ai déjà
perdu ?... Je ne peux pas réessayer ?
Pourtant, je n’ai rien à
perdre. Dites,
Pourquoi les choses
doivent être si définitives ?
S’est-on jamais demandé
« À quoi ça ne sert pas ? »
À quoi ça ne sert pas l’amour ?
À quoi ça ne sert pas de
chercher à comprendre ?
La Manif pour tous
pourrait descendre dans la rue ?
Bon Dieu, quand se
posera-t-elle la question
À quoi ça ne sert pas ce
pucelage ?
Puisque ce pucelage ne
sert pas à ne pas le perdre.
Je ne dis pas ça pour
moi, juste pour causer, hein !
N’empêche, ce doit être
rudement bon de le perdre.
...
— Heureux perdants !
Bougeant
le petit doigt
Que ce soit pour diverger ou pour converger, éviter ou
rencontrer, associer ou dissocier, l’existence est le terrain de prédilection
des petites manœuvres qui l’habitent, ainsi cette mince lapalissade.
Délégué par quel lointain
organe, mon auriculaire entreprit-il
De me rappeler à son bon
souvenir ? Petit doigt ou poème,
Peut-on jamais dire au
nom de quelle planète ça vibrionne ?
L’au-delà ne communique
que par indices insondables.
Connecté à l’intestin
grêle comme au mouvement des astres,
La pulpe de la phalange
distale, entre drap et polochon, se mit
À me procurer une petite
gêne qui à n’en pas douter était signe,
Tandis que de son côté
l’oreille émettait un cliquètement dont
La régularité rythmique
démentait le morse qu’il semblait :
La voix des dieux
papillonne mais ne se pose pas sur la langue.
M’étant retourné, mon
petit doigt se retrouva pulpe en l’air
Et se tut. L’un
expliquant l’autre, c’est suite à cet oracle que
Me voilà maintenant dans
le creuset de ta lecture sourcilleuse,
Ami proche et lointain,
et que je te souhaite une bonne journée.
–
Du
temps où trop n’était jamais assez
D’une part, il n’en
finissait pas, d’autre part, il filait ventre à terre,
Le temps. Et moi j’étais
trop fatigué : terre trop basse, chaleur
Trop humaine, rues trop
longues, escaliers trop hauts,
Gosses trop nombreux,
pauvres trop décharnés, vieux trop beaux,
Villes trop violentes,
autos trop totémiques, évidence trop évidée,
Intelligence trop
artificieuse, air pur trop cher, froid trop piquant,
Dieu trop occupé, réalité
trop poisseuse, guerres trop lasses,
Trottinettes tropicales
et conscience flatulente. Enfin,
Tout ça vous le savez.
Aussi me fallut-il émonder
Le trop, confiner
l’excès, le forclore dans son rien
Principiel et refaire,
tant que faire se pouvait,
Le peu qui en est la
forme la plus éloignée.
–
Aubade
(De
l’inéligibilité pure)
Le ver du fruit dans nos
murs, nous le savons ; le besoin de parler a priori
Indifférent à l’envie
d’entendre, nous le savons ; la pantoufle de verre et
Les pieds de plomb, nous
le savons ; la morale de l’histoire antinomique
De l’histoire de la
morale, nous le savons. Au cœur des choses la bruyante
Vis sans fin que nous
savons, nous en avons pris l’hébétude.
De toutes nos veines et
déveines, nous régurgitons ce brouet, sang de navet
Et eau de boudin, afin de
fertiliser la commande sociale.
Et pourtant, le soleil
filtrant entre les branches du pommier et les ailes
Des papillons, une odeur
de romarin fraîchement coupé combinée avec
Le chant et l’ardin de
Coumbane mint Ely Warakane nous transporte.
Sans dénier au ciel sa
réputation d’harmonie héritée de tant de guerres lasses,
Cette aubaine (r)appelle,
comme à corps perdu, la vie apéritive.
–
De l’illégitimité en poésie
Je déambule dans cette
rue de Béthune aujourd’hui si déparée.
J’écris que j’y déambule,
ce qui en effet est fort inventif,
On n’a encore jamais
écrit et, en même temps, déambulé,
Outre le fait que je ne
vais plus depuis perpète, rue de Béthune.
Personne n’étant censé
ignorer la complexité du monde,
C’est davantage chez moi,
à Lompret, qu’ont pris l’habitude de
Jouer à ce que le démon
soit un autre, mes grandes espérances.
Rien de sorcier à cela : le simple c’est
le casse-tête.
En tant que pourvoyeur
d’illusions, ou plus prudemment de
Fictions, j’écris que la
rue de Béthune prolonge la rue
Raymonde Peschard à
Constantine. Et pourquoi pas ?
La terre est ronde, après
tout ! Écrire, déambuler, c’est kif-kif.
Poursuivons. Je
me promène rue Raymonde Peschard à
Constantine, en train de
m’imaginer flânant rue de Béthune,
Une des rues les plus
revêches qui se puisse imaginer,
Mais le fait est là et
bien là : rue de Béthune... à Constantine.
–
En Sautoir
Une fois arrivé, je ne me souviens pas
avoir vu autre chose qu’une surface immaculée très lisse, une plaine enneigée à
perte de vue, et cet oreiller sur lequel j’aurais pu lire quelque chose comme
« Bienvenue » ou « Welcome », « مرحبا بكم », « ողջույն », « добро пожаловать »,
« בברכה »...
si mon oreille avait eu la faculté d’objectiver la sensation qu’il me
procurait. Sur ce blanc se révélèrent des traces que j’eusse été bien en peine
d’identifier, traces qui peu à peu s’apparentèrent à des signes dont le déchiffrage
ne m’était pas encore acquis.
Et comme on
se figure que ça va durer, et comme on aimerait que ça dure, ça ne dure pas.
Très rapidement ça arrive à ras bord, ça déborde de choses et d’autres autour
de soi. Les autres, tiens, parlons-en ! Quel étonnement ! Ils
viennent du sud, ils viennent de l’est, ils vont vers l’ouest, ils cherchent un
pays et courent les rivages ivres de patience et d’impatience mêlées, pleins de
bonne volonté et boueux : les hommes ! Ce sont les hommes et ce sont
leurs visages qui n’en finissent pas de m’interpeller.
Parmi eux, un visage non moins
étrange dans lequel je suis tenu par le recours au miroir d’en reconnaître un
bout. De quelle étrangeté parlons-nous ? De celle d’être moi au milieu des
autres ou de celle des autres autour de ce moi dont j’évite de dire
« c’est tout moi » ? Ils ont mis tant de fois les petits plats
dans les grands ! Et tout ce bon vouloir dont ils ne cesseront jamais de
faire preuve... Or vivre est un vacillant acheminement au fil de limites happées
par leur maelstrom. Santé, intelligence, amour, connaissance, liberté, tissent
le cilice. La vaste prairie n’excède pas l’étau du désir rivé à la maigre
pitance.
–
Éclisse
Je suis loin de trouver la langue française
si luxuriante que cela. En amateur de néologismes que je suis, je me suis
souvent demandé pourquoi tel ou tel mot qui me manquent quand j’écris,
n’existent pas. Prenons le mot apatride,
dérive-t-il du mot apatrie ? Que
nenni, le mot apatrie n’existe pas,
et c’est regrettable car dans bien des cas « Allons enfants de
l’apatrie » aurait plus de sens que cette obsolète version ânonnée les
soirs de matchs de foot. Dans cet ordre d’idée, l’indécidabilité phonique entre
« la poésie » et « l’apoésie » me convient. Le
« a », directionnel (s’il vient du latin) ou privatif (s’il vient du
grec), n’efface pas le mot, il le déplace dans une antériorité ou une
extériorité, et ce avec d’autant moins de scrupules que pour grande part
désormais le poème se survit avec les e-poets.
Est-ce céder à l’inauthenticité que de se
décréter apoète ? Être poète implique une appartenance nécessitant
d’écrire comme les poètes — de la poésie, parfois — et c’est surtout un métier.
Il n’en demeure pas moins que si les apoètes n’écrivent jamais comme les
poètes, il est fréquent de rencontrer des poètes qui se risquent à écrire à la
façon des apoètes pour cette raison, j’imagine, que les apoètes ont une
évidente filiation avec les Zapotèques. L’apoésie comme antépoésie ?
D’anciens documents font état de zapoètes (sans majuscule) qui, à l’instar des
Zapotèques conquis par les Toltèques, refoulés par les Mixtèques et défaits par
les Aztèques, furent soumis par les Poètes (avec majuscule) en dépit du fait
que l’apoésie était à l’éclair ce que la poésie est à la pensée courte.
–
La
Gale y pète ses plombs
La Littérature
(sélections vénales, camelots,
Épigones, souscripteurs
comme actionnaires,
Tiroirs à double fond,
miroirs aux alouettes,
Écornifleurs, monopoles,
hommes de paille,
Stratèges de notoriété,
jurys, girouettes, etc.)
Est bannie de mon
horizon.
Je n’écris pas au nom de
ses légataires.
L’idée de sniffer la
culture qu’elle refourgue,
Me fout la pécole. Aussi,
ni ne la fréquente
Ni ne lui dit merde, la
savoir loin me suffit.
Je n’écris ni pour la
bigote ni pour la bêcheuse,
Les petits airs éthérés
qu’elles affectent,
Leur abyssale conjecture,
elles se les carrent.
Et pas davantage pour
l’avenir ou le vieux Fritz.
J’écris pour que
Rintintin puisse enfin jouer
À chat perché avec Milou,
pour Cunégonde aussi,
Pour l’engoulevent au Cap
de Bonne Espérance,
Pour Hannibal Barca. Que
dise que je n’écris pas
Qui veut, moi je brûle
toutes les ficelles !
–
Manne du siècle
Ça
court les rues, cette gêne d’être ce que nous sommes. Cette gêne
des
petites certitudes que nous sommes, du corps que nous sommes,
de
l’ignorance que nous sommes, du désordre que nous sommes,
des
pensées que nous sommes, des masques que nous sommes,
de
la fragilité que nous sommes, les livres que nous sommes,
de
l’esprit que nous sommes, de l’amour que nous sommes,
Faire
état de notre embarras, déshabiller Pierre, rhabiller Paul...
Qui
ne dirait qu’il a déjà versé ?
Cette
gêne des frusques que nous sommes, de l’indifférence que nous sommes,
de
la boustifaille que nous sommes, des pieds et les mains que nous faisons,
des
yeux doux que nous sommes, de la drôle de bouille qui est la nôtre,
de
la langue que nous sommes, de l’enflure que nous sommes,
des
doutes et de la mauvaise conscience qui lui fait cortège.
Toutes
les gênes concourent. Bien sûr, ça rase les murs,
Ça
n’en finit pas d’aller se rhabiller...
Moi, je m’abstiens de
n’être pas gêné, non pas « aux entournures » : gêné à la façon
des animaux quand ils s’effacent. Moyennant quoi je prie qu’on m’excuse :
« je ne fais que passer ! »
–
Vers
la néologie de la morale
Dans la
prison dorée de la langue,
La fluette
désuète, cris brodés et bris collés à la
Va-comme-je-te-pousse,
se résout à n’être qu’un va-tout,
« On ne sait jamais » passant le témoin à « jamais ne saurai »,
Quand bien
même l’intention ne serait pas perdue, mais
Toucher du
bout des doigts le je-ne-sais-quoi qu’on
Voulait
percer à jour, ça, on ne le peut pas.
C’est
énorme, la langue. Avec son poids volumétrique
Le poème ne
laisse aucun doute : il s’agit de plumes !
Tous
masques épointés et polysémie en trompe-l’œil,
L’échange
ne sera que fort peu sa mince affaire.
Les
bouteilles à la mer elles-mêmes répugneraient
Au
face-à-face avec si petite énormité. Ainsi
En ira-t-il
de ce qui tient encore à la fibre,
Tête de
pioche ou pet de lapin,
Pour toute synchronie.
–
La plus belle de tout l’quartier
Tout te convie à gravir : le premier sentier escarpé venu, l'Everest, le poirier de la maraude, l’ascenseur social, la transcendance, la tour Eiffel... dépasser d’une tête ou deux la cantonade pour s’élever – l’hallucination n’est jamais trop belle. Sans parler du point de vue : plus tu es haut perché plus l’opinion porte loin, prend du poids, confère de l’autorité, assure. Que la tête dans les étoiles s’ensuive si tu es enclin à la rêverie ! Gare, pourtant, aux cumulonimbus gloutons qui des naines blanches font une chère de roi !
Un jour, tu n’y seras plus mais, ton assiduité ayant fruité, il se pourra qu’un effet résonant te prolonge. Par contre, avant d’en arriver là, possible aussi que tu n’y sois plus tout en y étant toujours. Il n’est pas donné à tout le monde de signaler sur quelle rive de l’Achéron il se trouve. Dans le grand vestibule de la vie, c’est loi que ce que, par pudeur, nous nous retenons d’appeler « pas gagné » finisse par faire défaut. Les pas perdus, pas perdus pour tout le monde, nous engagent à un autre va-tout.
–
Jackpot the ripper
J’ouvre la porte des toilettes : rien.
Je ferme la porte du purgatoire : paradis. J’entrouvre la porte du
raz-de-marée : putain ! J’ouvre la porte de l’enfer : paradis.
Je ferme la porte du rien : merde ! Je referme la porte de
l’enfer : in extremis. J’ouvre la porte du clapier : cabine
téléphonique. Je ferme la porte du placard : Ornette Coleman. Je toque à
la porte des toilettes : toc, toc, toc... J’ouvre la porte du
paradis : rien. Je ferme la porte du paradis : rien de plus. Je
rouvre la porte fermée : ouverte. J’ouvre la porte du placard :
paradis. Je ferme la porte de la cabine téléphonique : merde ! Je
claque la porte du paradis : raz-de marée. J’ouvre la porte de la cabine
téléphonique : oublié !... Je ferme la porte du clapier : enfer.
Je referme la porte du paradis : Lester Young. J’ouvre la porte de Lester
Young : Ornette Coleman. Je ferme la porte d’Ornette Coleman : rien.
Je change la porte du raz-de-marée : rien. Je ferme la porte du raz-de
marée : quoi d’autre ? J’ouvre la porte du rien : enfer. Je
condamne la porte des toilettes : merde. Je rouvre la porte du
rez-de-chaussée : toilettes. Je ferme la porte des toilettes :
purgatoire. J’ouvre la porte du purgatoire : rien. J’entrebâille la porte
du purgatoire : raz-de-marée. Je ferme la porte du rez-de-chaussée :
eurêka ! J’enfonce la porte ouverte : bingo !
–
S’élancent-ils dans la nuit parmi les chiroptères
pour mieux
Pénétrer ces secrets que les éclairages ordinaires
couvrent
De leurs brouillards ? C’est leur défiance à
l’égard de
La transparence opaque que leur faisait la lumière
qui a incité
Le trafic des luminaires à obstruer l’entrée de
leur grotte.
J’en appelle à ma table de travail où le fil
d’Ariane se rompt,
Où l’esprit devient la pièce à conviction égaillée.
L’oubli de la langue des souvenirs, fatal, tombe
sous un sens
Qui n’est pas le mien, perd au change, referme le
caveau.
Car se souvenir est chose difficile ! Les
morts n’ont rien dit,
Être mort n’était pas une excuse, et les vivants
n’ont rien dit.
Ni les morts ne sont morts en paix ni les vivants
ne vivent en
Paix. Les uns chantent à tue-tête, les autres
déchantent à fendre
L’âme. Mais la paix ne se fait désirable qu’à
l’heure du coucher.
Les morts ne sont pas heureux, les vivants ne sont
pas heureux.
Ils ne se réconcilient pas. Leur manque-à-être n’a
pas trouvé
À qui parler ni leur chaumine chemin d’accès à son
chevet.
Le petit sourire de ceux qui ouvrent une fenêtre
n’empiète pas
Sur le désintérêt de savoir qui du sourire, qui de la fenêtre est
Premier. L’oblitération du bonheur n’est pas à l’ordre du jour.
–
Je
ne suis pas votre faire-valoir à plate couture
Pourquoi me faites-vous
passer par cette gouttière ?
Il n’y a donc pas de portes
chez vous ?
Pourquoi n’y a-t-il pas
de portes dans ce bled ?
Non, ça n’ira pas, je ne
suis pas un chat !
Rien que ce monsieur, là,
debout dos au vide
Ça me haricote. Ne me
tenez pas par la manche !...
Je suis d’un âge où pour
combiner les contraires
On mettait des portes.
Ouvrir, entrer, fermer, sortir
Constituaient le
mouvement de balancier. Vous,
Vous mettez de la
gouttière avec du vide
Autour pour apporter la
preuve que le format
Ne résulte pas d’un
quelconque chéneau manquant
Cette comédie de garage,
jouez-la sans moi
Ne m’y dégotez pas de
rôle, je ferais faux bond
En escogriffe, je viens
d’un temps où l’on confiait
Aux voies les signes
mnésiques exsudés
Des vantaux. Là, je
rentre chez moi
Je ne passerai jamais par
aucun chas d’aiguille.
–
Tout chant chancelle
Tout chant chancelle. L’insomnie file
l’utopie, le rêve veille au grain, le grand dessein auquel ils tendent aux
heures indues décline des croquis propitiatoires. Une ombre fuyante essaime ses
tors crissements de filigrane dans un ciel clair, un tableau peut-être. Les
rêves ne font pas trêve, prêtent un statisme haletant aux pieds de grues.
Tout chant chancelle. Dans aucun pays l’eau
n’a le même goût, le paysage le même horizon, l’air la même transparence, la
cuisine les mêmes papilles gustatives, l’art les mêmes canons, les voix des
femmes le même grain ni leurs regards les mêmes yeux. La même absence de
liberté, la même histoire, le même sol, et puis... Les démons ne sont jamais
exclusifs les uns des autres.
Tout chant chancelle. La rivière qui sépare
les démons de la crédulité et de l’incrédulité n’a qu’un pont, les 36
chandelles que dispensent les démons de la santé et de la maladie éclairent à
part égale, les démons de la poésie et de la métaphysique font des flaflas de
part et d’autre du bel abîme philosophal, ceux du bien et du mal inspirent
Nietzsche, ceux du vice et de la vertu Sade.
Nous, farfadets des pierres de lumière qui
rapportons nos rêves les plus périlleux au simple appareil d’un lit moite, sommes
venus dans un monde occupé des monstres. Du point de vue du mouchoir, tous fil à la patte et fil d’Ariane tissent un QR Code en tous points identique, suffisant
à la mouchure. Ce qui est celé ne mérite aucun sceau !
Tout chant chancelle. De la sentine au
marigot, l’illusion d’abord rutile puis perd sa voie royale avant que de
s’effacer devant la gueule du loup. La gueule du loup fait la différence :
muflier n’est pas néflier ! Au déclin du jour, quand le tapis du ring se
couvre d’un suint aigre, victoires et défaites conjurent leur dieu de jeter
l’éponge. Toucher au but, avait-ce donc été ça le but ?
–
Lâcher le morceau
Où
l’Espérance, comme une chauve-souris,
S’en va battant les murs de son aile timide
Et se cognant la tête à des plafonds pourris
Charles Baudelaire
On n’écrit pas pour être aimé ; en
dépit de ses avances l’écriture n’attend rien de l’amour ni l’amour quoi que ce
soit de l’écriture, on écrit en situation de handicap, dans une langue qui ne
s’y prête pas, pour tâcher de lâcher le morceau comme — je m’excuse — on lâcherait
Médor.
C’est pourquoi, ne pouvant dire avec exactitude ce que sont l’amour, la vie et tant d’autres choses, il est toujours si navrant d’entendre déplorer qu’il faille la mort de celui qui écrit pour saisir ce qu’il en fut, comme si, tel le bifteck, ce qu’il a cuisiné n’était pas tout à la fois bleu, saignant, rosé, bien cuit et à point.
Et qui, de l’écriture, hormis la mère de la fille de Mme Angot qui n’ignore rien des ressorts de l’humour, peut clarifier ce qu’il n’a pas dit ? L’écriture, comme l’amour, erre, tâtonne, se heurte, tend à éclore et, quoiqu’il n’en paraisse rien, elle non plus n’a jamais, jamais connu de loi.
La loi,
la seule, c’est de faire bifteck sur le grill, le mort. Pour le trip, beau gymnote
dont la frêle écriture est une proie de choix, je te vois encore prescrire la
tempête dans un verre d’eau ou une goutte d’eau dans l’océan pour nous inonder.
Agrippée aux os de la folie, c’est le mort qui sauve l’hallali de la noyade.
Grand
rapiéçage d’être
D’abord le champ visuel s’est enclos à
mesure qu’avec les verres progressifs mes yeux se sont mis à reconsidérer le
monde plus distinctement. Il en a résulté que j’ai pris peu à peu l’habitude de
me baisser pour éviter de me prendre la tête dans les branches. Qu’on ne croie
pourtant pas que c’est à cause de cela que mon dos s’est mis à se voûter, non,
même si l’habitude de marcher à petits pas en scrutant les chausse-trappes du
trottoir s’est ensuivie.
C’est surtout avec le concours présumé de
l’arthrose cervicale que l’échine a entamé la déclinaison au long cours dont
s’autorisent les croulants pour faire ostentation de cette chose dégoûtante
entre toutes qui consiste à être ce qu’on est. C’est ainsi qu’au moindre
pivotement de tête les vertiges se sont mis à sévir, ajoutant à la
contemplation de mes grolles la nécessité de me tenir aux dites branches. Dès
lors, envisager de ne plus faire qu’un avec soi-même...
J’ai eu 20 ans, et je les ai perdus. J’ai
eu 30 ans et je les ai perdus. J’ai eu 40 ans et je les ai perdus. J’ai eu 50
ans et je les ai perdus. J’ai eu 60 ans et je les ai perdus... J’en ai perdu
des propriétés ! La matière grise, tiens ! l’ambre gris donné à
l’homme fin. Pour ne rien dire des connaissances qui vont avec et qui
nécessitent comme les cheveux ou les dispositions à la langue d’être brossées
et shampooinées pour être douces et soyeuses... On perd au change, c’est
certain !
–
Ce que cache la cuculle
C’est parce que l’habit ne fait pas le
moine que j’ai prié tout à l’heure un capucin, Frère J. pour ne pas le nommer,
de bien vouloir lever le malentendu en ôtant sa cuculle et en me montrant la
chose intrigante susceptible d’authentifier le moine une fois enlevé l’habit
qui, dit-on, ne le fait pas. Je sais, il y a la zigounette, ça peut être
gênant, mais la zigounette est chose suffisamment attendue pour que quiconque
pourvu d’un peu de plomb dans la cervelle n’en retire de mécréante intention.
Allons, allons !...
Toutefois, ne doutant pas qu’à brûle-pourpoint
une telle requête avait de quoi déconcerter, voire choquer, je m’empressai de
lui donner des gages : il s’agissait pour moi de témoigner en tout bien
tout honneur de la forêt soupçonnée une fois écartée l’interposition de
l’arbre. Frère J., sous ta cuculle quelle plage, quelle forêt, quelle clairière
enfin ? Ce n’est pas vous qui allez me dire que ça ne vous intéresse pas.
Depuis le temps qu’on se traîne cette fatalité.
La vérité n’est jamais la chose prosaïque à
laquelle nous serions tentés de nous attendre, pour être vraie, la vraie vérité
au nom de laquelle, croix de bois croix de fer, nous sommes si attachés, doit
être et surprenante et évidente : ce qu’on appelle une révélation (la
vérité ne tombe sous le sens qu’après être sautée aux yeux !). Une fois la
cuculle chue à ses pieds, miracle du signifié passé au signifiant, je lus en
caractères gothiques sur la révérende nudité de ce bas ventre capucin : À Marie pour la vie.
–
S’il s’avère possible de prêter deux réalités
à un même objet c’est que cet objet n’est pas.
En empruntant la rue du Calvaire à
Rubrouck, Rubrouck commune flamande qui se fait le 14 juillet mongol comme on
se ferait la malle aux petits oignons, je songeai à la France — ce n’était pas
la première fois — après avoir bu Chez
Patricia ma première Pelforth après trois ou quatre ans de sobriété.
La France... son être et ses avoirs, ou les
moitiés pleine et vide de sa dive bouteille, ou l’indécidable antériorité de
l’œuf et de la poule, ou cette certaine idée qui est au phlegmon ce que
l’enfant Jésus est au cougnou, ou la pauvreté qui ne doit prêter qu’aux riches et les œufs d’or pour régler
l’État d’ébriété.
Être plein aux as convie aux cent raisons
de se mirer dans les yeux d’une marâtre prodigue, mais ne l’être point ?
L’être, l’arbre à l’être, c’est d’un tronc peu commun ! Quelle mère
poufiasse s’est jamais targuée d’être une patrie ? Faut-il ne pas répugner
à manger de ce pain-là pour demeurer son enfant !
–
Sommeil levant
Face
à moi, l’écran, ce que je suis en train d’écrire, toute raison entendue sous
son angle éclairant. L’instance d’une issue à son ouvrage de validation veille
au grain. L’écriture ne saurait tendre quelque filet de sens que ce soit en
dépit de cette instance. Sans issue, nulle raison, et vice versa.
(La cause projette la
conséquence, flèche et cible la convoitent.)
Pourtant,
il ne tient pas qu’à la psychanalyse de dire que cette instance n’est pas face à mais derrière, très loin
derrière, machinique à la Wells pour explorer le temps où Morlocks, Argonautes
et Homo Sapiens continuent de faire refuge.
(La conséquence projetée,
flèche et cible se la partagent.)
Mettre de l’Homo Sapiens
devant soi, tiens ! lui serrer la pince, le presser de choses qu’évidemment
il ne comprendra pas, soit ce à quoi je m’emploie, ô sapience ! Voilà ce
que j’appelle avoir du flair. L’issue est rare où se démarque le pas.
–
Ma souricière bien-aimée
Empêtrés dans des vêtements qui ne vêtent
pas, dans des tentations prises pour des tentatives, dans une langue
chewing-gumisée, en compagnie de pisse-froid hilares et de boit-sans-soif
sevrés. Nous y sommes, nous y voilà : dedans, dans ces tas de passe-droits
pour fins de mois ratifiés à l’encre sympathique.
Nous nous démenons comme nous pouvons avec
le congé au gîte, le congé au couvert, le congé au ciel, le congé à l’écriture.
Les soudoyés vendent le dernier mot que les victimes n’ont pas dit. Aux cours
du soir du zapping où nous décrucifions nos diables, nous leur ouvrons nos
escarcelles.
Nous n’en pouvons plus, nous en voulons
encore. Bien sûr, personne n’attend de ne pas se réveiller, pourtant, il y a de
ça. Notre cul entre deux chaises musicales, qui d’entre nous se le retrouvera
par terre au prochain tour ? Ce n’est pas louable mais c’est loi que
cela n’arrive pas qu’aux autres.
Notre patience va continuer à paraître
infinie. N’aimons-nous pas faire durer ce qui nous pend au nez et qui ressemble
à s’y méprendre au désir ? Entre ne pas renoncer et ne pas s’illusionner
tout embarras du choix se leurre.
–
La
Cibiche
Cette Cibiche est un froid souvenir depuis
longtemps déjà. La Seita vaporisait la ville alors. Comme l’alpiniste s’en va
par l’avalanche ou le plongeur avec le dernier tourbillon, c’est en fumeuse
volupté qu’un beau jour la Cibiche nous laissa en plan. Tant de cendriers pour
des clopinettes ! Et pourtant, dire que nous nous y adonnâmes est peu
dire.
Prendre un verre avec un ami sans que cela
n’impliquât d’en griller une n’était guère concevable ; aucun attablement
n’eût été digne de ce nom sans que la Cibiche n’en fût l’adjuvant. Ne disait-on
pas qu’au saut du lit c’était la meilleure de la journée ? Et le soir,
avec la petite dernière, que le temps de lire encore une ou deux
pages était souverain.
Quel concert de rock aurait eu le front de
la décréter intruse ? Lee Brilleaux vapotant ou Barry Masters fleurant la
clope à l’eucalyptus, cela eût confiné à l’absurdité. Si nous souscrivîmes ad
nauseam à cette mythologie enchantée, c’est en vertu de soirées qui
s’annonçaient aussi longues que la vie ne serait pas interminable.
Que le paquet se révélât vide, d’un coup de
moto d’un seul, hop ! quelle que fût l’heure, droit au Versailles ; les buralistes étaient
les gardiens d’un temple d’âcres volutes dont la Cibiche était tout à la fois
houlette, goupillon et grigri. C’est pourquoi aujourd’hui encore des poèmes lui
sont redevables des illuminations qu’elle leur insuffla.
–
Doux
nœud que nous deux
Je n’étais
que la moitié de moi-même, alors, la musique occupait l’appel d’air.
Le
gargarisme révolutionnaire pour ne pas s’écorcher la bouche,
l’ignorance
pout toute besace, la Gauldo quand même.
Des grosses
bottes et des trous comme mon poing à mes chaussettes.
Pas de
petits sous, sous le sabot de Pégase, cela allait de soi.
— Et cette
putain de Mobylette qui ne démarre pas !
Un temps où
la curiosité poussait à la roue.
Si nous
sommes deux, c’est parce que nous ne nous suffisions pas
d’être la
moitié de ce que l’on est.
Il faut
deux pour faire un, deux yeux, deux bras, deux jambes.
Deux
ventricules pour faire un cœur.
— Il faut
être deux pour faire corps.
–
Le Sens de la vie
C’est le suc qui coule d’un déclic marqué
d’une pierre blanche comme un premier baiser à l’orée de la vie. C’est quelque
chose dont on dira que ça avait du sens ou que c’était du sens, même que ça a
encore du sens et que ça ne se supportera jamais d’aucun pari pascalien. Fatche
de con, le sens c’est le sens !
C’est aussi impalpable et c’est pas plus
compliqué que ça puisque justement la vie c’est l’insignifiant quelque chose
que l’on fait d’elle sans trop savoir, ce frémissement générique qui ne tient
qu’à un fil pas plus épais qu’un cheveu. Au regard de la vie encombrée de sens
moraux et immoraux, c’est rien !
Rien... Bien peu vous diront que rien c’est
quelque chose, que si rien n’a jamais engagé à ne rien faire c’est parce qu’il
ne dépend que de lui que notre big bang accouche d’un univers. C’est comme avec
« jamais » qui veut dire « toujours » et non pas « ne
jamais » qu’il faut entendre « ne toujours ».
Les enfants qui sur votre pierre tombale
vont faire graver « À notre très cher pour son sens du sens » vous
ont-ils dit : « aujourd’hui on n’a rien mangé à la cantine » ou
« on n’a rien fait en classe » ? Vous les avez écoutés sur vos
deux oreilles, ce qui n’est pas rien n’est rien, mais le sens, lui, quel
ready-made !
–
Le bon débarras
Les règles sont relatives, les exceptions
absolues, et les exceptions ce n’est pas ce qui manque. Il n’est pas si
estimable d’avoir fait beaucoup de choses. Tout un chacun a fait beaucoup de
choses, à commencer par tous ces cœurs que de seconde en seconde on s’emploie à
faire battre. Et puis ce que nous défaisons n’est pas moins honorable. Les
lacets de nos chaussures au bord de la mer, les nœuds coulants de nos défaites,
les illusions clefs en main, le couvert après le repas, le temps que les
bracelets électroniques scellent aux poignets, les bonnes pensées du soir que
le sommeil emporte et ne rend pas.
Pour aujourd’hui, je suspens l’écriture. Il
y a trop de groseilles, de framboises, de cassis à cueillir au jardin
résolument invitant avec ses airs de sous-bois miniature. Ce serait un péché
que de s’y soustraire. De toute façon, il faudra bien qu’un jour il n’y ait
plus le feu, je veux dire l’écriture, le dessin ; les gens qui écrivent ou
dessinent ne manquent pas, et je tiens à ce que le jardin garde un bon souvenir
de moi. Parfois, je me dis que si une catastrophe emporte la terre, les deux
îlots qui demeureront seront, là-bas en Sibérie et en Mongolie, Altaï encaissé
dans ses monts, et ici notre jardin blotti dans son feuillage.
–
Il faut se souvenir aussi de celui qui
oublie où mène le chemin.
Héraclite d’Éphèse
Chemins
(...) que l’on dirait avec art de leur but détournés...
Rainer
Maria Rilke
Il
n’y a pas de poème heureux ! Toute voix est ontologiquement nouée
À
un grattage générique. Celui qui parle s’expose à l’exhibition du sien,
Ce
qui lui vaut d’être regardé de travers, moqué, rayé de la liste, ostracisé :
Grattage
qui ratatouille, grattage logique, ratafia générique, ratafiente !
Montrer
son poème, c’est, ou montrer patte blanche ou montrer son cul.
En
tant que grattage, le grattage peut faire un effet bœuf, un hit, un tube,
A
contrario, il n’est pas rare qu’un tube réussi ne soit qu’un bouton de fièvre.
Mon
grattage il est à moi et rien qu’à moi, on n’touche pas à mon grattage !
L’écueil
est une écuelle, gratter son bon dos n’est pas donné à tout le monde,
Il
n’est pas de dictame qui n’en fasse sa terre d’accueil, son p’tit lopin,
Sa
permission. De ma hune, dévisageant l’horizon, je m’écrie « crotte alors ! »
Ma
rature c’est ma littéralité perso, ma friture donnée pour l’œuf d’Aristote
Ou
mon blé pour du beurre. Il faut avoir un but dans sa vie, disait le gardien,
Il
faut gratter pour poursuivre, pour continuer à exister, répondait l’écho.
–
J’ai connu et aimé le temps de l’homéopathie. Il y avait, en ce temps-là, Bob Dylan et les Rolling Stones, le new age et des babas cools, la culture bio et la psychanalyse, des potes à tout-va, des bécanes en veux-tu en voilà, etc., mais c’est fini, sur le versant occidental de la conscience, l’épochè n’a duré que ce que durent, le temps de refleurir, les lilas blancs, et la notion de médecine douce, de douceur même, la mode s’étiolant, a fini par être bannie.
L’homéopathie, comme les églises, on n’avait
pourtant pas été tenu d’y croire pour que ce fût là ; hormis auprès des
braves gens qui n’aiment pas qu’on suive une autre route qu’eux, elle faisait
partie des alternatives sans se faire remarquer. Moi-même je ne me suis jamais
demandé s’il me fallait y croire pour y avoir recours. Ce temps de
l’homéopathie n’incombait pas qu’aux seuls granules mais à une sorte
d’homéopathisation du possible. Il ne lui suffisait que de l’air du temps.
Or l’insidieux possible était déjà
allopathique — et cybernétique à l’avenant. L’impossible lui aussi réclama sa
part de possibilité. Si le désordre des choses qui poignait n’avait pas tout
bousculé, les gens auraient pu s’accaparer les morceaux, en faire une fois de
plus l’histoire qu’ils se sentaient aptes à transformer à force d’obstination
et de patience. Et alors ? L’histoire n’ayant pas totalement dilapidé ses
ressources et résolu ses convergences, il est trop tôt pour estimer qu’il est bien
tard...
–
Ma table
Ma table est le pire des garde-fous. C’est pourtant à elle que je me tiens, tant le vide, sous elle, se diffuse à vue d'œil. Les mots n’y disent jamais si leur sombre traversée tend à l’oasis ou à la clairière, ils ne rechignent à rien, sauf à la syntaxe réparatrice, ils ne tiennent pas ensemble, ils tombent comme des mouches. Charroi bas de gamme. Ou alors c’est qu’ils sont comme nous, qu’ils sont nos mots, nos bien grands mots.
Ma table partage avec l’illustre Studio 54,
à New-York, il y a bien longtemps, mais plus durablement que lui, d’avoir vu et
entendu passer, onde consonante courant l’épiderme, une mirifique compagnie
d’artistes aimés. Ma table ne confond pas la bouteille à la mer et le chant du
cygne qui se jette à l’eau, elle se tient fébrilement à l’émulsion qui accorde
le feu de Saint-Elme avec la trompe tibétaine. Nous ne sommes pas quittes avec
le pire...
Et c’est ainsi que, chevauchant le creux de
la vague, je campe un spirite qui ne déplore pas que l’esprit ne soit pas las.
Ma table, ma veilleuse, ombre consolante et vertige sur le zénithal orgueil, ne
demande jamais « de quoi je me mêle ? », elle ne se souvient pas
des hommes qui oublient que les souvenirs sont aux mouchoirs ce que les nœuds
sont à son bois, mais souvent, la nuit venue, elle s’afflige.
–
Ma Chaise
À en juger par sa housse verte élimée
jusqu’à la trame, comme s’il lui fallait maintenant faire état d’une existence
attablée, on est tenté de se demander si sa contribution à l’homme debout n’a
pas pris fin. Il semblait pourtant qu’avec cette mine de rien que faisait la
langue à son titulaire, la vie dans les plis pouvait encore prétendre à de
beaux jours.
Rappelez-vous, le monde était une pente
savonneuse, si vous parveniez à la gravir c’est que, dans ce sens, elle était
déterminée par une cime, si au contraire vous la descendiez cela validait la
thèse du savon, comme si le savon de la pente savonneuse avait pu dédouaner nos
salades ! Pourtant, se souvient-on si facilement que les bulles de savon ce
sont nos rêves ?
C’est parce qu’il est noir que le monde est
un savon : le savon du savoir grâce auquel, au lavoir du manoir, mon linge peut
être encore plus noir que le noir. La langue n’était ni du saponé ni du
javanais mais de la spontanéité, de l’enthousiasme, de la musique, de l’amour.
Alors le savon s’est fait monde, un monde apprêté à l’éponge jetable avec l’eau
du bain.
Que celui qui porte la responsabilité que
sa chaise-monde n’ait pas été musicale jette sa dernière dent. Pour moi, c’est
pour n’être jamais clarinettiste que je me suis mis à la clarinette. À l’instar
des orpailleurs qui cherchent l’or d’un temps perdu, le rempailleur bourre de
paille la prescience d’un lendemain qui n’a d’yeux que pour sa poutre.
–
La
Néologie de la morale
Si
le canard crie, c’est signe de pluie.
Proverbe
Je leur ai concédé que je
n’ai jamais été artiste mais que j’ai toujours
Cru que je l’étais.
Remarquez, ils ne m’ont pas convoqué pour m’en
Faire le reproche,
seulement, ayant fini par me repérer, pour me
Proposer le stage de
reconversion établi à l’intention de la grande
Fratrie des
désœuvrés : retraités, bipolaires, chômeurs, demandeurs
D’asile, crève-la-soif,
etc., afin de les faire crier. C’est un fait que
De nos jours on doit
souvent crier. Oui mais, que crier ? « Ouille,
Ouille, ouille ! »,
en venant de se coincer les doigts dans la porte ?
« Grâce », à
bout d’interrogatoire ? « Victoire », à la fin d’un match ?
Il y a tant de choses à
crier... « Ce que tu as envie, qu’ils m’ont dit.
On crie tous ensemble et
à 18 h chacun rentre chez soi ». « O.K.,
Que je leur ai dit, crier
c’est mieux que de rester là les bras croisés,
À condition toutefois que
ce soit moins fort que les autres, car je
N’ai plus de voix :
crier, oui, mais à voix basse ». « Aucun problème,
Tu dégoises comme tu l’entends ! »
(N’entendant pas ses cris, ils ne
Sauront
pas que l’auteur de ces lignes ne dégoise pas : il regoise !)
–
Vitesse
Tout poème dit ce qui le
dépasse, infiniment certes
Mais aussi, aux abords,
la petite abstention qui le vêt
D’indifférence. Ce qui
l’excède c’est ce qu’il recèle.
Tout poème dit la
différence sans laquelle il serait
Une pierre, et qu’il fait
sienne afin de se parer contre
La bise ordinaire. Le
poème ne fait pas la pierre,
C’est une pierre !
Extraordinaire, avec une échine
Sur laquelle il rapporte
le monde des infrapensées
Qu’il va patiemment
pétrir pour en faire un milieu.
Tout poème dit, dans le
chétif langage qui est le sien,
L’espace des gestes
amoureux, la vérité sur le désir,
L’insu — son ciel —, les
bêtes, le temps, l’odeur
Du café qui passe,
l’intolérable solitude prise de
Vitesse, de divagation
peut-être. Il serait très tentant
De dire de lui,
témoignant de ce à quoi il ne se réduit
Pas, qu’il ne suffit pas,
qu’il est insatisfaisant...
Laissant la distraction
finale à ses basses convictions,
Tout
poème n’arrête jamais de répéter l’autre chose.
–
Le
Transuranien attaque
Cirrhose du transalpin, Rose du transcaucasien...
Titres possibles pour le poème auquel
Je
souscrirai quand j’aurai rabattu le caquet
Du dermatophyte tout à son envahissante
Propension à l’ongle. Pendant que j’y suis
Je pourrais en profiter
pour m’enlever les
Gros orteils, et même les
autres. Il y a tant
De choses dont on devrait
se défaire et
Dont on ne se défait pas
alors qu’à l’ombre
Est concédé le droit indu
du précipice.
Sabine raide comme un
passe-lacet et Léa
Souriant aux anges
dansent ensemble, c’est
La fête. Comment ne pas
remarquer que la
Syllabe est au vers ce
que le pied est au fox-
Trot ? Sans pied ou
sans syllabe, macache !
J’eus pourtant l’ongle de
pied marin. Ne
Pas confondre ce qui ne
veut rien dire
Mais qu’on entend et ce
qui veut dire
Mais qu’on n’écoute pas,
à moins que,
Lamproie comme anguille
au vert,
L’exercice de la
couillonnade ne fasse
Appel
à mon sabiro-volapunk rock.
Mon
gilet jaune
à Fiorina
Mon gilet jaune ne prise
guère le col blanc, mon gilet
Jaune, ça tombe sous le
sens et ça tombe bien, est
Jaune. N’est pas gilet
jaune, jaune qui veut ! Mon
Gilet jaune est rouge
quand il chante L’Internationale,
Rouge du sang des gilets
jaunes ! Bleu également,
Bleu comme l’orange de
Paul Éluard par l’adjonction
Du cobalt sur mon cahier
d’écolier. Tout caca d’oie
Qu’il soit en outre, mon
gilet ne doit rien à personne
Et n’est pas à vendre.
Jaune sur fond jaune, ainsi va
L’actualité de mon gilet
jaune par la lutte des classes
Advenu. Ne jamais faire
d’omelettes sans se mouiller
Le gilet ! Le jaune
de la lutte des classes est partout !
Vieux comme le monde, mon
gilet jaune est resté
Vert, vert et pistache
comme à vingt ans : mon gilet
Jaune est jeune, pas de
ces jeunes au sang de navet
Ni
de ces jaunes en peau de lapin : intraitable et fier !
–
Plomb
dans l’aile pour l’immarcescible désir de justice
La beauté du geste, le
chant des communards et la France,
Du nom du plus grand des
EHPAD qui se puisse trouver.
Dès 17 h chacun est
convié à se bousculer au portillon
Avec sa chaise roulante.
Oui, on va manger sa soupe,
Mais pas tout de suite,
d’abord on s’assied. Mr Gérard va
Allumer la TV,
l’autoroute y sera saturée et la campagne
Normande. Oui, comme
d’hab’ : J’irai revoir ma Normandie
C’est le pays qui... qui... qui... qui... qui... Ce n’est pas grave,
Ça bouchonne sur le câble
mais le technicien va voir ça.
On connait l’air,
n’est-ce pas ! Le pays qui m’a donné ?...
Oui, le jour ! Avant
de reprendre ça en chœur avec Léonie
Et Zoé on va s’essuyer la
bouche, parce que la France va
Bientôt passer... À quoi
elle va bientôt passer la France ?
Non, non, non, Jean-Luc,
pas à l’acte ! Elle va passer aux...
Aux toilettes, c’est
ça ! La pastille Républicaine
prévient
Contre
tout va-tout, et contre la constipation. Bravo !
L’Imaginal
au pouvoir !
Les mots à la pointe de
mon fleuret, je suis
Le poème masqué, si
précieux pour soudoyer
Les plis du miroir où
toute âme qui prête
Ses yeux aux mirages,
renverse leur ordre.
Tout chargé de beaux
sentiments, me voilà,
Ou plutôt me revoilà,
frappant d’estoc dans
La bedaine de
l’inspiration ou, zouinnggg !
d’un
Coup de taille dans le
minois de l’imagination.
Alors, si je suis Mr Hyde
ou le comte Dracula,
Ou Jonathan Harker, ou le
comte Zaroff,
Ou Victor Frankenstein,
ou Peter Cushing,
C’est que je ne suis pas
celui que tu crois.
La biologie arpente le
plus profond du vivant
La physique le plus
élémentaire de la matière,
Mais c’est moi qui,
masqué, plus intimement
Que toute psychologie,
fond sur tes abysses.
Et ça continue : Dorian Gray, Éros,
Charlotte Corday,
Benoît-Joseph
Labre, Villon, Screaming Jay Hawkins,
Brahmā, Rachilde, Rocky Volcano, Peter
Lorre
Barbara
Stanwyck, Gegene, Germain Nouveau, etc.
–
L’Étambot
Avant d’être le métier,
et Dieu sait que le métier
C’est le métier, L’Étambot est le titre du poème où
Il est question des
Peigne-culs et des Gratte-culs
Qu’à mon avis vous ne
pouvez pas ne pas connaître.
Le chef charismatique des
Peigne-culs c’est celui
Qui a dit qu’il fallait
sortir du faux dilemme fond-
Forme, précisant que le
fond c’est la forme dans les
Abysses en allée (le gros
malin !) afin d’apprendre
À faire n’importe comment
le n’importe quoi qui
Jusque-là se faisait au
pif. N’ayant aucun pédagogue
Disponible pour assurer
cet apprentissage, il engagea
De preux Pieds Noirs et,
boutés hors de Hollande,
Des Sans-Dents qui
n’eurent plus les crocs très
Longtemps. À n’en pas
douter, une déclaration de
Guerre. Soupçonneux, les
Gratte-Culs achetèrent
Aux Grecs l’Arsinoé qui
leur restait et l’enchaînèrent
Nue sur l’étambot éponyme
à des fins de tractations.
« Aïe, aïe ! Ça
me démange, par pitié, grattez-moi ! »
La suite, vous la
connaissez, l’eunuque Ganymède
Libère Arsinoé, la forme
que devait prendre l’affaire
Tombe à l’eau avant que
de rebondir et devenir
Le fond abyssal posé en
préambule. Les uns disent
À la façon de Magritte
que ceci n’est pas un poème,
Les autres disent que
s’ils disent que c’est un poème
C’est un poème. Et vous
qui êtes dans le commerce
Ne
pensez-vous pas qu’il est temps de dire aïe, aïe ?
–
Attraction
terrestre vs loi de la pesanteur
On l’appelait Ciel parce qu’il était infiniment
là-haut
Et qu’étant immatériel il
était théoriquement pur.
Seuls les oiseaux et les
anges avaient l’autorisation
De s’y frotter sans nul
risque de piquer du nez.
Personne n’avait jamais
dit l’abîme qui séparait
Le ciel et l’essieu, or
le ciel était par-dessus et
L’essieu par-dessous où,
de liaisons dangereuses,
Émanait parfois un
adultérin « Ciel, mon mari ! »
Au temps qui
inexorablement s’écoule, toujours
La supplique adresse ce
recours : « Sois cool,
Accorde-moi une prolongation
pour clore en
Beauté ma tendre
cueillette de roses de la vie !
Pas plus tard qu’hier,
Ronsard me l’a redit :
Ce n’est pas parce que tu
as soixante-dix-sept ans
Et que tu vas bientôt
gagner l’infiniment là-haut
Que,
leste encore, tu ne peux t’envoyer en l’air ! »
–
Le
Terrien, s’est fait à l’idée d’être moins seul qu’il ne lui
Semblait,
qu’il y avait amplement place dans l’univers
Pour
receler d’autres formes de vie, sous-entendu, d’autres
Dissemblances,
son besoin de chercher noise étant infini.
Et
sinon d’autres formes de vie du moins d’autres hypothèses,
Celle
d’une instance transcendante n’étant pas la moindre.
Après tout, l’intuition de l’au-delà ne date pas de la rencontre
De l’homo sapiens et de l’homo neanderthalensis, pas de
Celle de Christoph Colomb et des Taïnos, sans parler de
La nôtre avec les virus que le dégel du pergélisol ressuscite.
Moi, je crois que la Terre est unique, que sa solitude, et partant
Celle de l’homme, au sein de l’univers est irremplaçable.
J’y crois parce l’homme,
être de croyance, a besoin de croire
Et que je suis un homme,
mais j’ignore pourquoi. L’Agosil,
Lui, c’est pour n’être
pas l’homme du grand plongeon qu’il tire
Des failles de ses
croyances les vers du nez dont le ciel abonde.
–
Ecce mortuus est
“We were — waist deep in the Big Muddy
And the big fool said to push on”
Pete Seeger ~ Waist deep in the Big Muddy
Homme, Homme with a big H, souverain et blanc comme
Neige,
toujours tu chéris l’amère thune ! Le fric était ton miroir,
Tu entendais
ton âme dans le tintement infini des ducats de ta
Chère
cassette, mais c’est plié, peste et choléra t’ont emporté.
L’avez-vous
rencontré ? L’avez-vous connu ? Entendu parler ?
Oui et non,
dites-vous ? Par quelle bouche cet être essentialisé
Pouvait-il
bien parler ? Celle de Dieu ou celle des hommes ?
Mais Dieu ne
dit rien. Quant aux hommes, ce qu’ils parlent gît
Tout là-bas,
inarticulé à jamais dans les ruines de la tour de
Babel. Homme
des droits inféconds et des empires, avec, sur
Ton T-shirt ce big H gros comme une dent creuse, tu n’es plus,
Tu es mort tétanisé, mort pour avoir eu peur de ton nombre.
–
C’est
dimanche
Ce n’est pas parce que je
ne me dis pas poète
Que je ne puis l’être le
dimanche. Poète du
Dimanche c’est bien
aussi, c’est autre chose...
Et même, à la réflexion,
c’est mieux.
Démonstration : aujourd’hui c’est
dimanche
Je n’oublie pas que c’est
le jour où,
Étant enfant, je vais à
la messe, même que
L’odeur de l’encens me
fiche le tournis.
Et avant la messe, la
confesse. Là, les péchés
Ça y va à la manœuvre !
Tout dans l’impro !
Dieu qui voit tout a
exonéré la carabistouille :
La gourmandise. Également
la gourmandise.
Sinon la
gourmandise ! Que ne dis-je alors :
« Mon dieu, mon
dieu !... ». Quel massacre,
Mais bien plus fastoche
que la récitation !
Sait-on ce qu’est la
lassitude à cet âge ?
Pour l’heure, c’est le
jour du vol-au-vent et du
Merveilleux. Ne pas
confondre merveilleux
Merveilleux et dimanche
d’enfer qui signifie,
Sauf
à regarder Rintintin à la TV, faire tintin.
–
Ode
au cerveau
Il fonctionne en binôme
avec ce
qui lui passe par la tête
au grand
dam de la suite dans les
idées...
pour ne rien dire du
triphasé !
D’une part, ce qu’il a
fait jus-
qu’à il n’y a pas cinq
minutes
D’autre part, ce à quoi
il
va s’occuper plus tard
Tandis que sur le gaz ce
qu’on appelle réalité est
en
train de déborder.
–
A fake good news
Que sais-tu du malheur
d’aimer ?
Il n’y a pas d’amour heureux
Louis
Aragon
Après que je lui eus
demandé « Ça va ? »,
Elle me répondit :
« non, c’est pas le top ! ».
M’enquérant alors de la
cause de ce coup
De blues, elle me dit
qu’elle était tombée
Amoureuse. Amoureuse... La sachant maquée,
J’entrevis qu’il ne
pouvait s’agir de son mec.
« Je suis amoureuse
d’un poète », finit-elle
Par m’avouer visiblement
fort troublée,
Ce à quoi je jugeai
prudent d’opiner du
Plus gauche des
« ah !... » qui me vint.
« Tu sais,
l’évocation du vent sur la lande...
Ce lointain murmure... Le
subtil accord
Entre l’âme et les
bruyères odorantes...
Et ce cœur tumultueux...
Cette félicité
Océanique me parle
tellement !... »
Tandis que l’énumération
d’images
Laissées à son émoi, et
qu’elle avait eu
À cœur de retenir,
finissait de me rassurer,
Je me surpris à sentir sa
main me pétrir
Inconsciemment
le haut de la cuisse...
–
Prééminence
du signe, etc.
Les grandes croyances
sont toutes nées d’un signe :
Croyance en dieu après
que les dieux se fussent
Tous rués l’un sur
l’autre comme un seul homme,
Croyance en ses prêtres
qui malgré dérogations
Au ministère ne sont que
des zobs après tout,
Croyance en un roi qui, à
condition d’avoir pu le
Clamer haut et fort (nous
en tenons un), soit roi,
Croyance en l’ordre s’il
en est la démonstration
Spectaculaire,
Croyance dans les mots du
pouvoir
Dès que la maîtrise de
leur diffusion en est l’article,
Croyance doublement
antécédente et subséquente
Dans le nerf de la
guerre,
Croyance en l’amour au
premier clin d’œil (quand
Même, malgré tout, quoi
qu’on en dise, surtout...)
S’il faut en passer par
là, j’en passe et des meilleures,
Bref, je mets en vente un
certain nombre de signes
Collectés lors
d’expéditions dans ma vaste cafetière.
Tous ne sont pas
complets, beaucoup ont nécessité
De recoller les morceaux,
c’est ce qui les authentifie,
Vintage
garanti !
–
Impudence de la broutille
Dix sept heures au
clocher, je prends mon café (... compris qu’il
Ne faut pas le faire trop
fort).
La chatte de ma mère qui,
maintenant que ma mère est placée, est
Devenue par la force des
choses la seconde chatte de la maison,
M’énerve. Cette façon
ostensible de filer doux, de ne pas rétorquer
À Picchu qui persiste à
ne faire montre d’aucune amabilité à son
Égard est-elle signe de
commisération, d’intelligence ou une ruse ?
À l’évidence, elle sait y
faire, et jusque dans son bac où son obésité
Donne matière à de
copieux séjours (bon, elle a commencé à
Dégonfler, c’est
vrai !). Dorénavant, elle s’appelle Bouboulina (cf.
La rondouillarde
Bouboulina de Zorba le Grec, non
Laskarina B.,
L’héroïne nationale).
Gagne-t-elle au change ? Tout ça reste à voir.
Je ne m’avance pas. La
nuit dernière, elle a à nouveau pissé dans
Le
pot du pachira : chiera-t-elle dans mes pissenlits ?
–
Va-t-il courir le risque de l’éblouissement, le
cormoran ?
Pane, giochi e ragazze
facile
Poésie,
poésie !... On les connaît ceux-là qui n’arrêtent pas de parler
Poésie,
ils n’ont que ça à la bouche, considérant que, sous couvert d’
Abracadabrantesques
incantations à côté desquelles le volapuk est d’
Une
totale limpidité, le monde avec eux est plus beau. Dites-nous,
Histrions,
bonimenteurs des quatre jeudis, fanfarons : quel monde ?
Celui
des albatros, des mouettes, des goélands, des hiboux ou
Celui
de nos entrepreneurs providentiels, héroïques et fiers ?
Ces
sermonnaires feignent de ne pas entendre les “pas de ça Lisette”
Que
le monde normal s’évertue à leur adresser. Un temps durant
Leur
art fut l’alibi langagier d’un déficit de paradis, mais ce temps-là
Est
révolu. Avec le gîte et le couvert, l’eau courante et l’électricité,
L’iPhone
et la BMW, quel poème répondra jamais du temps que
Sa
rédaction nécessite au détriment d’occupations plus utiles ?
Profondeur,
rêve, esprit : qu’ils se les gardent ces dictames ! Leurs
Antiennes
sont piquées des vers, c’est le cas de le dire, outre qu’elles
Emmouscaillent
le téléspectateur avec leurs airs entendus. Gardien
Du
saint égoïsme, jaloux de sa force armée, celui-ci n’a nul besoin
De
poésie, de beauté, de justice, de citoyenneté, seul l’intéresse
Le bien d’autrui, en l’en dépossédant au besoin, et de
librement
Vibrionner
en se gardant de lui faire confiance. Mais c’est aussi
Ça,
la vie ! Oui aux LBD, non aux LGBT, si vous préférez !
–
Le Rire jaune de l’origine
À
l’aurore de l’être, il n’appartient qu’à l’origine d’être
si
violemment originelle, si frontalement originaire
et,
si définitivement originale, elle qui se situe entre
l’avant
navrant et l’empêtré après. Car s’il est donné
d’appeler
origine l’origine, nul n’a jamais su
désigner
par
son nom ce qui résidait à l’orée, soit pour la pré-
céder,
soit pour lui succéder. L’aurore, arête entre
deux
orées, alternativement australe et boréale, per-
mise
et possible, inaugure la propension de l’irration-
nel
au rationnel à quoi s’attache si bien la raison bifide
du
sens. De cette façon, s’élucide le caractère insignifiant
de
l’inextinguible poème cardiaque. Cette propension
s’explique
par la présence d’un élastique, souple jadis
dans
l’intendance du va et vient entre l’âge doré à l’or fin
et
l’argent blanchi au lait de chaux, au lait de chaumage,
le
vrai chaumage du rêve ! Nous ne dépendons pas
de
l’origine par un harnais originel, originaire ou même
original,
nous dépendons de l’élastique que le logos
astiqua
jusqu’à ce que l’inextinguible poème cardiaque,
hélas,
ne tombe en morceaux ! Ce qu’il y a d’horripilant
dans
cette prétention à l’origine c’est l’absolue absence
de
pilosité, de porosité, de pot aux roses, de patatras.
Cette
exvagination ex cathedra, cette impénétrabilité,
cette
pose angélique et même évangélique, sont tout à
fait
exaspérantes. L’inextinguible poème cardiaque eut
aussi
une origine, une origine tomahawk traumatique
originée
dans l’absolue certitude que tout vit et meurt.
L’absolue
certitude y serre les souples tics de va et vient
qui
font l’élastique. S’il y a un début, un début de tabacs :
belles
raclées, beaux succès, il y a une fin naturellement
tyrannique
et titanesque et tragique, une fin tannique
comme un vin fin, comme une feinte à la nique.
–
Pas-de-Patrie
Comme ils chantaient Allons enfants de la patrie, émus
d’arborer
L’invincibilité
bleu-blanc-rouge d’une raison obsolète ! Entendant
Cela la marâtre leur
lança : « Ah non, ne me mêlez pas à vos salades !
Je suis la Thénardier,
non la mère patrie. Je n’ai jamais mis quelque
Enfant que ce soit au
monde. Monde que j’ignore bien, d’ailleurs.
J’ai beaucoup d’amis
influents intéressés aux bénéfices, des corps
De fonctionnaires et
d’armées à la solde de mes amis maquignons,
Des marchands d’armes,
des institutions, des tricheurs assermentés,
Et puis j’ai mon cul. Comment
jouirais-je et ferais-je jouir sans lui ?
J’ai beaucoup d’amis
excellemment placés, mais d’enfants point ! »
À mi-course entre l’idéal
et l’usurpation, l’idéal pour le désir de ceux
Qui n’ont pas de patrie,
prolétaires, artistes, saints, esprits libres,
N’est
pas une terre due, pas un exil, pas un espoir, pas une chimère.
–
Jupiter,
2917 mètres au-dessus du niveau de la mer
Que les pieds soient de
plomb tant qu’ils veulent, mais
Les couilles, saviez-vous
qu’elles étaient cotées en bourse ?
Au premier scintillement,
quand bien même la verroterie
Eût prétendu que tout ce
qui brille n’est pas or,
L’Olympe les inscrivit
dans le Livre Guinness des records
Tant elles brillaient de
mille feux, les couilles de Jupi’.
Pour nous qui déplorâmes
la crucifixion (pour rire)
Du christ de Montfavet,
les bourses de Jupi’ sont en or,
C’est indéniable,
d’authentiques bourses picardes qui font
Drelin drelin drelin à
toute volée quand il part en vacances.
Qu’importe la teneur du
plastique dans l’alliage ! Jaloux !
Et ses foudres, avez-vous
vu les foudres de Jupi’ ? Non ?
Ô Jupiter, fais-nous voir tes foudres ! De fort belles
Foudres de guerre en alu
pour ne pas rouiller quand,
Par temps de pluie, tu
lâches Médor sur l’adversité,
Et aussi tes couilles en or. Fais-nous part de tes trésors !
Sur le devant, on a passé trois plumes de paon, sur le côté,
Un amour d’paltoquet, pour être originales, elles le sont,
Ça j’vous le jure. C’est pas la bibine de n’importe qui la
Jupi d’la cuisse de Jupi’ ! À te voir si beau, tout Paris
Se tue à répéter : avez-vous vu dorées à l’or fin, chacune
Sertie d’un gros rubis, les roupettes,
les roupettes de Jupi’ ?
–
C’est bien ce qu’il me semblait
Je
monte et descends l’escalier, je vais où il me mène.
Ce
n’est pas parce que je n’attends pas que l’inspira-
Tion
me vienne que ça me vient,
l’entreprise est lâche et
Ce
n’est pas une sinécure que de convoquer le ça
de l’in-
Spiration ;
aller m’aérer serait plus inspiré.
Monter
et descendre l’escalier, salutaire pour le cœur,
À
leur façon, ses marches rythment ma condition.
Et
puis je refais du café que j’emporte là-haut
Où
je ne m’attends pas à ce que ça
échoie.
Ça passe si vite. Surtout
quand vient la veille du jour de
La
semaine où à nouveau je trouve que ça
a filé très vite
Et
que mon pauvre cerveau n’a toujours pas capté.
Quel
jour sommes-nous ? Quel jour êtes-vous ?
Je
descends et remonte, mets un CD dans le lecteur
Et
encore le café. Pour ce qui est de l’âme, ça
va
Ça vient ; l’ayant
retrouvée attifée en poupée gonflable
Dans
le ventre d’une baleine échouée, j’en suis encore
À
me demander si elle est la conscience de la mort dont
Je
n’ai pas conscience.
–
Quel
confusianisme
...
selon Rapin et ses collaborateurs (Rapin, 1996 ; Rapin et Allen,
1998 ; Rapin et al. 2003), le SSP (syndrome
sémantique-pragmatique) correspond à une altération sélective de la pragmatique
langagière, de la formulation et de la compréhension du “discours connecté” (i.e. interlocution,
échange verbal, récit) avec une préservation relative de la pragmatique non
langagière
Laurence Béaud et Clément de Guibert, La Psychiatrie de l’enfant
Ai-je été fautif
d’abstrusions, responsable d’abs-
Consités, coupable
d’amphigouri ? Oui, trois fois
Oui ! Tout ce qu’il
fallait ne pas écrire, je l’ai écrit !
C’est que, avant tout
poème, il y a compulsion
Du beau bas art de
vivre que l’on nomme poésie,
Bazar qui n’est jamais en
reste avec moi et, donnant
Donnant, vis-à-vis duquel
il m’est impossible d’être
Jamais quitte : qui
a poétisé finira chèvre, c’est loi.
Poète celui qui, tournant
autour du pot à mots,
Proroge la dette qui veut
qu’il n’est de poème
Qui n’ait à charge
infinie de refaire celui d’hier.
En aucun cas le pot à
mots n’est un pot aux roses,
Car s’il se perd en
lapsus, confusion, dénégation,
Logorrhée, aphasie,
dysphasie et s’épanche en
Maints troubles
intestinaux, il n’en est pas moins
Ce
destin qui me laisse confus d’être si confus.
–
Les
choses profondes sont affaires d’abysses. Pour les atteindre,
Au
prix de bien des naufrages, il faut des mots lestés de plomb.
Leur
vie est une aile, le vivant en est le prix. Or, quelle aile
S’encombrerait
de mots-bouées ? Dixit le poisson-plastique.
Notre
Monde c’est ce qui est dans le champ. Si le hors-champ
Rentre
dans le champ, il rentre dans le Monde, devient Monde
Mais
perd le hors-champ, le hors-monde. Ce qui est hors-champ
N’est
pas le Monde. Même les galaxies lointaines, les trous noirs,
Quand
ils rentrent dans le champ deviennent Monde, c’est
Pourquoi
le Monde est le centre infini de l’univers, est le temps
Devant
lequel le temps s’impatiente, s’inonde, s’immole, tout
Le
temps, et même à contretemps, afin que nous continuions
De
respirer les particules qui le composent et le décomposent.
Plus
il va, plus il a la fulgurance de l’emploi et du contre-emploi,
Plus
il remue, rumine, opine, rapine, culmine et nous largue au
Bout du compte. Obsolescence programmée, ô notre essence !
–
Prométhée
Pour lui, homme d’esprit,
gentilhomme de la brise
Marine venu de nulle part
et n’allant nulle part,
Rien n’a jamais été dit
qu’afin d’inciter à l’effraction.
C’est pourquoi son
histoire s’arrête où débute l’histoire.
Étonnant point de
chute ! Si son histoire démarrait où
L’histoire s’interrompt,
ou était une histoire de vases
Non communicants, ni d’un
côté ni de l’autre il n’y aurait
D’histoire, mais au moins
n’en ferait-elle pas mystère.
Est-ce que dans son
inconstance la vie lui fut bien assez
Ressassée ?
Commencée plus tôt, elle aurait été plus longue
Encore que la corde du
mât de cocagne du Kon-Tiki.
Au contraire des birbes à
la grise mine qui pédalent dans
La durabilité et
rétropédalent dans la sénilité, il se contente
D’attendre
à l’ombre attentatoire des primevères.
–
Course à l’échalote
Il
s’est agi d’une course : The Big race !
LA course !
La
grande des grandes,
La
seule qu’on te priât jamais
De
ne pas chercher à gagner.
Tu
étais jeune, avec ce fier t-shirt tricolore qu’ont
Aujourd’hui
encore les compétiteurs des 4 jeudis,
Ton
dossard numéroté 17 867 493,
Ton
guide Michelin et tes lunettes en verre pilé.
Et
comme tu chantais Lola fait un tabac tralalalala
Lola fait les poussières
tralalalalère !
Tu
n’es pas parti en même temps que les autres
Telle
était la clause, impérative,
Cependant
tu étais libre de t’arrêter de courir,
Libre
de te plaindre si tu en ressentais l’envie
Et
même de décrocher quand tu voulais.
À
l’arrivée tu as chanté à leur demande
La Versaillaise qu’ils t’ont payée en fricadelles
Et puis tu t’es raccroché à l’altière vieille lune
Après avoir sauvé les meubles
Et rangé toutes les chaises
–
Mes fils à retordre
(ou comment ne pas faire poème)
Les rêves
ne sont pas que ce qu’ils sont, leur souvenir,
Et très
prosaïquement ce qu’on en fait, les projette au réveil.
J’étais
dans un rêve qui, comme on dit tendre une perche,
Me suggéra
un fil. Dans ces cas-là, immanquablement,
Hop !
Je me réveille et me lève pour filer l’opportunité.
Hélas,
n’ayant pas traité à temps l’information, j’ai perdu
Le fil. Se
lever n’est pas tout, encore faut-il saisir l’aubaine.
J’en déduis
que ce fil tenait lui-même à un fil moins fil que
le fil ou,
en renversant l’image, plus fil que le fil : deux fils !
Mon rêve me
proposait donc deux fils, ça me revient :
un fil
majeur et un fil mineur, ledit mineur étant un fil altéré
et non pas
de moindre importance (on aimerait dire
« Forcément » si
mineur n’était si souvent déprécié).
À soi seul,
aucun fil ne relève d’un bon bout, le bon bout
N’est pas
plus attenant au fil majeur qu’au fil mineur. Pour
Retrouver
le fil je dois simultanément pouvoir tenir compte
Du fil dont
le fil est fonction. Pour autant qu’un bon bout
Fasse
jamais clé, la clé implique l’autre fil. Sinon, R. A. S.
–
Nell’articolo d’amore
Sur le gril qui siège au
sommet du rocher de Sisyphe,
Le vent du nord
soufflait, soufflait, soufflait.
Oh, comme il
soufflait ! quand je vis en contrebas
Cette vie dont les trous
nous dispensent du récit.
C’est en histoire
culottée à quoi manque la culotte
Qu’elle avait jadis
décrété qu’il ne resterait plus d’évidence
Existentielle qu’au
courant de la plume : cinq minutes.
Le temps d’un poème et
d’une frite à la gare.
Est-ce le vent qui la fit
choir ou la matraqueuse raison
Du plus fort ?
Quoique bien abîmée, je reconnus
Ses assourdissants
surgeons et ses chicots d’antan ;
L’impermanence de l’âge
n’est jamais que de façade.
Elle et moi sommes de
vieux amants. Les chiens de faïence
C’est du plâtre à côté.
Et toujours foutus de nous mater
Des heures entières comme
deux cornichons,
Nos
cinq dernières minutes n’en finissent pas de retarder.
–
L’Oubliothécaire
J’étais né pour vous
perdre
Dans d’obscures venelles,
J’étais fait pour ça, —
j’ai vécu pour ça !
Mais la vie étant ce
qu’elle est,
Il me faut me repentir de
n’avoir fait
Que de vous envoyer aux
pelotes
Sur les grands boulevards
Avec vos cris perçants de
fourmis.
Si au moins j’en avais
profité pour m’égarer...
Mais faire l’oubli n’est pas
oublier,
Le malpropre c’est moi.
Le vrai poème pour celui
qui en écrit
N’est pas le même que
celui que vous lisez.
Le vrai poème pour celui
qui écrit,
Tout entraperçu qu’il
soit,
N’a toujours pas été
révélé
Et ne le sera
probablement jamais.
Tandis que le lecteur,
lui,
Il lui suffit de savoir
que le vrai poème
Exulte au plus profond de
son fourbi.
Du coup, je me rattrape
en faisant
De
l’oubli versicolore à longueur de temps.
–
En train
avec entrain, ma non troppo
Dans un de ces trains
d’hier pour Avesnes-sur-Helpe
Qu’étais-je en train de
lire quand, à Templeuve
Je crois bien, elle prit
place en face de moi ?
John Cleland ? Abbé de
Choisy ? Apollinaire ?
Nous n’étions qu’elle et
moi dans le compartiment,
Et peut-être même dans le
train ; pulpeuse beauté
À qui Russ Meyer n’eût
pas manqué de proposer
La vedette d’une
trépidante historiette ferroviaire.
Il faisait chaud, l’été
liquéfiait la chape de matière.
Comme elle avait ôté sa
jaquette, il me sembla
Furtivement que chaque
bouton de sa fine chemise
En dentelle pouvait
craquer à tout moment.
Mais ce sont choses dont
il ne faut parler qu’avec
D’infinies précautions,
il ne s’agit pas de gâcher
L’émoi. Très vite la
belle s’endormit et moi
Je
me replongeai dans ma lecture un instant dévoyée.
–
À
une indécente
Qu’es-tu devenue
demoiselle qui, tenue pressée
Contre moi par la forte
affluence du métro,
Mettons entre Passy et
Denfert-Rochereau,
Me pelotas les génitoires
par un jour d’été 71 ?
Il vient parfois aux gens
de ces idées !...
S’il se peut que tu t’en
souviennes, n’aie crainte
Il y a prescription, je
ne porterai pas plainte.
Et puis, hormis dire que
je te trouvai charmante,
Ce qui en aucun cas n’eût
été une excuse,
Comment te reconnaîtrais-je maintenant
?
Sois tranquille, ceci
n’est pas pièce à conviction :
Un poème c’est un poème,
nom de Dieu ! et
Cet écrit n’en est pas
un. Un poème doit faire
Poème à la façon dont le
zouave fait le zouave,
En
aucun cas le mot couilles n’y aurait
droit de cité.
–
À Morphée
(matutinale
sérénade)
Comme il est vain
De vouloir avancer
l’heure du réveil
Afin de mieux te ruer sur
ce poème
Laissé en plan hier
soir !
Qu’il soit à la
va-comme-je-te-pousse
N’infirme rien. Fous-lui
la paix !
Le litige vient davantage
de
Ta carcasse qui voudrait
dormir
Encore un chouia. Aussi
laisse choir,
Ferme les yeux,
rendors-toi,
Nul n’est plus libre
qu’au doux instant
De regagner son paradis
familier.
Laisse la chair de ton
verbe se reposer,
Personne n’attend de
poème de personne.
Retourne à tes lagons où
sont baladins
Les
puffins et ménestrels les pétrels.
–
Mourir, dit-il
C’est moi le guilledou,
je vais y passer. Inéluctablement. Mardi je décanille,
Je dis : je meurs.
Ou alors dans deux heures. Après quoi je clamse.
Ce n’est pas parce que je
ne suis pas le seul que c’est une raison.
Je vais mourir comme un
dératé, je sens ça, bougre de moi !
Mourir sur pied,
aujourd’hui peut-être, ou alors demain.
Sans cathéter. Et si tout
à coup je ne mourais plus...
Camarde, chère camarade
par je ne sais quel manque d’imagination !
Dans quinze jours j’aurai
dégagé. Lundi prochain ce sera fait.
Une mort fatalement avant
terme. Ou alors mercredi.
Je n’en ai plus pour
longtemps à ne pas claquer.
Aurai-je seulement le
temps d’aller pisser ?
Il n’est pas possible que
je ne meure pas (il n’est pas impossible
Que je meure : du mors
aux dents à la mort aux trousses.
Je ne suis pas mort
d’hier ou Les Cinq dernières minutes.
Avant de caner j’ai dû me
dire que j’allais crever.
Dans un mois ou deux je
serai allé me faire lanlaire.
Si, à ce qu’on dit, il y
a une mort après la mort
Dans ma vie j’ai dû
mourir bien des fois.
J’en ai vu qui
n’arrivaient pas à mourir.
D’ici trois semaines ou
plus j’aurai calanché.
Du transhumanisme à la métempsycose.
On verra bien ce qu’on
verra...
À marée basse, amor fati
Fatigue tes
amarres !
Mort,
où est ma défaite ?
–
N’en pensant pas moins
Qui a jamais éprouvé le
besoin de tout dire
A-t-il seulement entendu
Long John Silver
Péter sa cargaison de
fayots
En braillant hisse et
ho ?
J’avais toutes raisons de
supputer que
La proximité des verbes
s’enlacer et s’en lasser
Déjà prise en otage au
rayon du prévisible
Amour, s’en balançait.
L’Homme c’est celui qui
fait le singe.
N’étant pas enclin au
partage
J’ai préféré ne rien trouver
à ajouter
À cette fatalité pour
l’humanité.
Un poète qui écrit est
moins intrigant
Qu’un poète dont on ne
sait pas
Ce qu’il n’écrit pas.
Avec suppurer je n’aurais
rien fait de bon,
Je ne suis quand même pas
bête au point d’écrire
Ce
que j’écris.
–
Les Pieds dans le plat
Elle met tous ses pieds
dans le même plat.
Depuis le temps qu’il
était sur le gaz,
Tout ce qui était
bouillon s’est évaporé,
Les bigorneaux se sont
tous fait la valoche
Et là, sous le fenouil,
rien ne va plus.
Mais que le simple fait
d’avoir pu ôter
Ses vieilles chaussettes
toutes raides
Ait incité les voisins à
ressortir de l’oubli
Leurs antiques
instruments de musique
Donnera peut-être envie
de s’enquérir
De l’endroit où trouver
douce billetterie.
Ça ne clapote plus mais
ça ne capote pas,
L’espoir luit comme un
brin de paille et,
À 14 h 44 précises,
l’ombre de l’oasis
Préexiste toujours aux
déserts.
Au
fond, Hortense n’a pas mis les bouts.
–
Humus (Platon) & Humérus (saint Augustin)
Humus :
Et si on l’arrachait de là par la force, dis-je, en le faisant monter par la
pente rocailleuse et raide, et si on ne le lâchait pas avant de l’avoir tiré
dehors jusqu’à la lumière du soleil, n’en souffrirait-il pas, et ne
s’indignerait-il pas d’être traîné de la sorte ?
Humérus : Au lieu d’aller dehors, rentre en toi-même
Humus :
Et lorsqu’il arriverait à la lumière, les yeux inondés de l’éclat du jour,
serait-il capable de voir ne fût-ce qu’une seule des choses qu’à présent on lui
dirait être vraies ?
Humérus : C’est au cœur de l’homme qu’habite la vérité.
(Humus : République, livre
VII / Humérus : Confessions, livre X)
L’ennui, j’y ai fait mon
trou
J’y ai fait, des pieds et
des mains
Et aussi bec et ongles,
Mes nuits illuminées.
Ce trou d’être, au plus
je le creusais
Au plus mes pensées
s’éclaircissaient,
Les choses devenant à
mesure
Plus transparentes, plus
préhensibles.
Ainsi, de limpidité en
lucidité,
de tréfonds en argent des
tréfonds,
un ultime ho hisse, mais
inaugural,
me fit aboutir là où
toute lumière noire
irradie l’esprit et
l’initie :
au journal TV de 20
h !
Chez les Agosils (avril 2019)
QUI DIRA L’ODEUR DU VENT
QUE L’ON SENT VENIR
Où est passé l’esprit
Un
groupe de folk rock chante Wild mountain
thyme, les Byrds... et à mes pieds, qui me fixe, la chatte. Ces abscisse et
ordonnée en forme d’état d’âme n’ont pas plus de rapport que ciel et mer n’en
ont, si ce n’est une ligne tout là-bas. Entre penser ce que je dis et dire ce
que je pense, bien entendu, je peux toujours fumer la peau de la banane.
Les
mots sont les esprits qui animent la forêt vierge de la langue, écoute-les : tradescantia, fourmi-lion, fougère,
bananier, scolopendre, euphorbe, piranha, belladone, harpie, alocasia,
anaconda, aconit, etc., mots nocturnement habilités par la ligne imaginaire
que leur rayonnement projette sur les champs lexicaux.
Mots-esprits/suicidés-vivants : la bacchanale des états d’âme !
Suicidés-vivants :
George A. Romero ne les a pas mis en scène en particulier, Antonin Artaud a
brossé les traits de l’un d’eux : Van Gogh, Bram Stoker les a allégorisés
dans la langue littéraire de la fin du XIXème siècle tandis que Paul Verlaine
en a dressé un profil romantique aujourd’hui bien assimilé. La figure du
suicidé-vivant reste à faire.
Ligne
imaginaire, ligne imaginale là où ça tangue, là où ça danse, de dendrites en
synapses... Là où ça bascule. Qu’il faille à l’homme atteindre le repos sexuel (on
peut dire existentiel) pour écrire des poèmes n’est pas une excuse. Vivre est
un révélateur de poésie, la poésie est en retour un révélateur de cette vie
sous la vie où vibrionnent les mots-esprits.
Il
y a chèvre, il y a chou comme jadis maman et papa comme cul et chemise me
rappellent quelque chose. Souviens-toi qu’il fallut trouver langue sur le fil
du rasoir entre vide et vide. Nous aurions pu nous tromper de fanaux.
Acmé
psychédélique de notre candide jeunesse dispensée par les mots-esprits au peu
de prise que nous avions sur ce qui nous frôlait. Une sombre éclaircie de derrière
le fretin de la conscience y croqua brièvement notre projection
appelons-la céleste, ou océanique, ou cosmique. « Ce monde n’est pas clair ! »,
disions-nous. Ni le temps, irrésistible passe-temps.
–
La Bourbe
« We were... knee deep in the Big Muddy,
But the big fool said to push on. »
Arriva un temps où le monde extérieur et le
monde intérieur, acculés l’un à son rétrécissement physique l’autre à son expansion
virtuelle, se confondirent : que le monde me pensât ou que je pensasse le
monde, l’indécidable était devenu le décidé, le décisif, la réalité. C’est
ainsi qu’avec la wifi, le consommateur de pensées solubles dans l’air du temps
que j’étais, découvrit la poubelle à laquelle il était assigné. En toute
logique, je n’y étais pas seul, la vie m’ayant octroyé une très profuse
compagnie d’asticots.
Est-ce un paradoxe que dans une poubelle on
puisse vivre et s’y sentir chez soi ? Diogène de Sinope n’a jamais déploré
d’avoir élu domicile dans la jarre où il mena à bien son activité
philosophique. Au dire des tonneliers, la décomposition des détritus, sésame de
tous les recyclages, n’altère en rien la qualité du concept, qu’elle ait lieu
dans une poubelle, une jarre, une caque ou même une tonne à purin, la puanteur
n’étant d’ailleurs qu’une objection temporaire, tant il est vrai qu’on
s’accoutume à tout : concept et compost ne s’y firent pas dire leur
prédestination.
Ainsi en va-t-il de nos avoirs conscience,
discoureurs et présomptueux. Et jusqu’à la poésie, petite vérole quintessenciée
du verbe, qu’il faut aimer mais qui, après avoir tant chanté la rose, n’en
évoque plus aucun parfum quand elle devient leur affaire. Pour sortir de la
poubelle quand il était temps encore, il eût fallu savoir qu’il était
temps et n’y être pas jusqu’au cou. Or, avons-nous idée, ici et maintenant, de
quoi il est temps ? Le temps passe à l’as, la vie passe le témoin et le trépas
sonne la fin de partie.
Sans
même avoir payé leur coup à boire, ceux qui discourent répandent la rumeur d’un
pays exemplaire depuis l’extinction des lanternes rouges des bouics,
concomitante, disent-ils, de celle des lanternes rouges de l’émancipation
sociale. La lumière du jour n’éclaire pas tout. La fragrance des poubelles
infondées se rit des réveils levés matin, se rit de la giroflée, des fenaisons
et des champs lexi-cocoricos, se rit du tiers comme du quart. Le chevet des
puanteurs érectiles achèvera lui-même ses vœux de bon vent.
–
Et la concomitance fut
Que ce soit dit : m’abstenir de parler
de ce que je ne sais pas — question de prudence élémentaire. Et comme je
ne sais pas grand-chose, je ne parlerai que de pas grand-chose. C’est un
premier pas, parce qu’après ça je parlerai brièvement le rien du tout, avant
que de me taire. Parler le rien du tout sera ma grande expérience (entend
« espérance » qui veut).
Ce que j’ai découvert en pataugeant dans le
pas grand-chose que j’observe avec une circonspection de vieux Cheyenne chenu,
c’est que souvent bien des gens sont comme moi à pieds joints dans la
choucroute. Plus besoin de regarder où l’on met les pieds ; d’une part le
rien envahissant ce qu’ils disent, d’autre part le débordant, ils y sont, ils y
tiennent !
Les chrétiens voient le mot « Dieu »,
les musulmans le mot « Allah », les hindouistes le Veda, et
encore les mots du bouddhisme, de l’animisme, du judaïsme et même celui de
l’athéisme. À chacun son mot de passe, tous, mains jointes, disant et répétant
le leur car ces mots légués par tant de mamans, papas, tontons, tatas, cousins,
cousines, voisins, voisines, leur semblent chemins balisés loin des gouffres
plus profonds que l’univers.
Pourquoi
entends-je les uns plaindre les autres supposément moins disciplinés, moins
éclairés, moins « croyants », de ne pas avoir recours à la même
souscription qu’eux ? À l’origine l’imprononçable, ce fameux rien qui ici même
me fait parler à tort et à travers, puis aussitôt la foultitude des
exclusivités incroyables. Pensées copiées-collées, êtes-vous si
dissemblables ?
–
Règlement
de compte
Écrire lisiblement qu’il eût été vain
d’estimer que la vie n’engage à rien. Sitôt dans le ventre de maman, elle
t’engage déjà à faire ton lit comme tu feras bien de te coucher. Si tes parents
t’ont conçu ce n’est pas pour que tu ailles leur demander ce qu’implique de
vivre après avoir balayé devant sa porte. Pourquoi ? Parce que la vie est un
éternel recommencement. Parce qu’après avoir balayé devant ta porte il te faut
de toute façon remettre ça, dixit Héraclite, Nietzsche et toi aussi Sisyphe.
Si tes parents t’ont conçu c’est, d’emblée,
pour que tu n’ailles pas leur casser le peu de sérénité qu’il y a à tenir sur
ses jambes en dépit de ce genre de questions à la gomme. Ce n’est même pas pour
que tu trouves par toi-même : nul n’est là pour trouver ; on est là, on fait
avec, on aime à croire qu’on cherche, et c’est vrai qu’on cherche puisque les
mots sont là pour ça. On ressasse aussi, c’est sûr. Tes parents ne se rendaient
pas compte qu’ils ne s’en souciaient guère quand tu étais dans le ventre de
maman, c’est maintenant que tu leur en causes qu’ils commencent à s’en rendre
compte.
Il
faut écrire lisiblement qu’il est inutile, et même outrecuidant, de t’obstiner
à les tarabuster avec ces protocoles antédiluviens, qu’il est préférable
d’inventer pour son compte un bourdonnement d’abeille, un hennissement de
cheval, un désert revenu de loin, un refus obstiné de ne pas inventer quoi que
ce soit, une forêt vierge de tout quiproquo, un arpent de paysage au bout de sa
tête.
–
Pays à vendre
Naître à bout de cordon, prédisposé à faire
figure de figurant à ses risques et périls... Imperturbablement, chavire la
chaloupe et bascule la terre. Effectivement, on est libres de crier « Cor
au pied ! » avec les vaches.
L’homophonie de naître et n’être
vaut bien un rasoir puisqu’on tranche à tous flûtiaux utiles. Libres de devoir
acheter de quoi se loger, de devoir acheter de quoi manger, de quoi se
chauffer, de quoi se soigner, de quoi se vêtir. Libres de devoir acheter de la
liberté en promo à la petite semaine.
La dualité langage-pensée est indécidable,
seule la liberté qui n’existe qu’à condition d’être vénale est libre, sans elle
les hommes n’existeraient quasiment plus.
Le manant qui dit qu’il est libre de
ne pas être libre a-t-il le courage d’être riche ? Qu’alors le seigneur à
qui incombe la morale de l’histoire ordonne à la maréchaussée de l’éborgner.
Cette morale n’est jamais la morale au sens
où lui, manant de l’histoire, voudrait qu’on lui dise le mal qu’il a fait.
Indécidables, la langue censée ouvrir la pensée et la pensée le langage ?
Envoi :
Heureux celui qui a pris le temps d’écrire sa poésie à petit feu, il aura fait
son impossible.
–
Vagues mouvantes
Du nid-de-pie de l’embarcation qui nous
mène tout là-bas, on peut s’escrimer heureux à scruter l’horizon en quête de
crêtes et d’adversité, pourtant ce ne sont que vagues faisant des vagues. Ensuite,
chaque soir au rapport de ce qu’on n’a rien vu d’autre, repassant par ce que le
peu d’originalité que nous essayons d’instiller pour nous tenir en éveil ne
soit pas indéfini. Admiratifs d’un mouvement qu’ils aimeraient le leur, les
hommes font des hommes comme moins rarement qu’on ne le croit les chiens font
des chats. Et quelle patte souveraine téléguide la morve des puissants !
Les vagues procèdent par hauts et par bas
qu’elles roulent, déroulent, gonflent, dégonflent, allant, venant et revenant dans
leur souple alignement. Elles chantent et « houlent » (puissent les
ourlets d’écume qu’elles font justifier ce néologisme !) les avatars, ou
plutôt hurlent, quand elles se déchaînent sous l’œil d’Hokusai, de Turner et de
Vernet. À moins que ce ne soit le vent qui hurle — on est bien infoutus de
caractériser la voix des vagues. Sur le pont, plus on tend l’oreille moins on
s’entend, on n’en persiste pas moins à douter que là-bas ne soit encore ici.
Est-ce que revenir sur ses pas ne serait
pas prendre le risque de marcher dans ce qu’on a eu la chance d’éviter ?
Contrairement à nous qui avons largué les pleins et les déliés de nos pensées,
les vagues dont il y a peu à dire d’elles qu’on ne sache, sont invariablement
belles, quel que soit leur élan : coup de tabac ou mer d’huile, il n’y a
de laides vagues que les non-vagues. Chez nous aussi, il n’y a d’hommes laids
que les non-hommes, à ceci près que les non-vagues n’existent pas, tandis que
les hommes laids, si.
–
La Crotte
L’éminence grise du trottoir des faubourgs.
Ne pense pas, gère les transferts de fonds, expédie les affaires courantes.
Dans ses quartiers de prédilection, battant le pavé, le façonnant, le
pétrissant, le minant et le transfigurant, ce trottoir, littéralement elle le
fait afin que tout chaland en tire prompte esquive ou fatal patatras. L’âme des
derniers décrottoirs m’est témoin qu’elle est loin d’avoir dit son dernier mot,
rendu son dernier souffle.
L’accorte aphasie dont elle fait preuve,
c’est sa façon de parler, sinon d’elle, du moins pour elle, mais cela ne veut
pas dire qu’elle ne parle que d’elle ou qu’elle ne parle que pour elle. Il
faudrait la diversité de modes des musiques modales pour prêter à l’invite,
parce qu’au fond du pissepot il n’est pas simple de laisser filtrer les codes
de l’autre quand on parle de soi. La crotte n’en a cure, le mode versaillais
est d’une trop blanche perruque.
Du temps où il n’était pas permis de mettre
son doigt dans son nez, du temps où Lys Gauty chantait Les petits
pavés, du temps où l’on disait « mince ! » pour
« m... ! », la polysémie jouant beaucoup de son entre-dit,
autant que caca, la crotte pouvait être en chocolat. Ah, fallait-il qu’au bruit
des bottes succédât le flic flac des écrase-merde, au chocolat le choc jupitérien
des flics ! Crotte, crotte, comme ton bon souvenir nous colle au
cul !
À la naissance, n’y point naître
Ce que j’écris, en un sens qu’à mon seul
usage je proclame poétique, n’a strictement aucune importance, ne prétend pas
être compris ou ne l’être pas : ici, en effet, que je me figure avoir des
choses à dire ou non, la question de sa validité a statutairement cessé d’être.
La question, la question !... Où est
passée la question qui très péremptoirement prétend ici n’en être pas
une ? Passée sous les fourches caudines ? Sous cape ? Sous le
manteau ? Sous le tapis ? Sous le nez ? Sous silence ?
Si j’estime avoir des choses à émettre,
c’est dans la mesure où il me faut savoir le type de bruit que ça fait en
retombant puisque, tout exclu de l’espace littéraire que je suis, il me faut
continuer à éprouver mon appartenance à la langue.
Le type de bruit peut ne pas faire
question, ni même forcément du bruit, il n’en demeure pas moins un de ces types
auquel toute figure de silence se doit de répondre. Le temps n’est pas au beau
fixe, les questions ont plus d’une poussière dans l’œil.
Toute chose sensée ou insensée que
j’écrive, ce bruit dont je ne puis préjuger des personnes qui y seront
sensibles ou insensibles, c’est mon imagination. Il y a de multiples clairons à
cela : apparentement, mutisme éditorial, nombre exponentiel de postulants
aux strapontins, etc.
De
même que la ligne finit toujours par passer à la ligne ou l’homme de vie à
trépas, la question nous passe notre réponse. Aussi, le fait que la
persifleurette qui persifflote fasse écho au lasso du lazzo n’a aucune
importance.
–
Je n’ai pas encore trouvé
ce qui justifie qu’il faille un titre ou
qu’un titre s’impose, certains titres peuvent faire partie de l’écrit comme
c’est ici le cas, mais en général, pour ce qui me concerne, le titre est un
intervenant extérieur on ne peut plus arbitraire (dans un des tapuscrits que
j’ai sous le coude je les ai tous supprimés). Il se peut qu’il ne soit pas trop
tard pour s’intituler « La canopée », ou « La canopée des braves », ou «
Canopée sur terre aux hommes de bonne volonté », bien que, aussi
luxuriante qu’elle soit, la canopée n’est pas précisément un lieu de
villégiature. À plusieurs dizaines de mètres au-dessus de la jungle mondaine,
elle n’est ni une tour d’ivoire ni un petit nuage, plutôt un service raréfié du
vivant réchappé des ténèbres socio-sociétales, avec risques et périls ne
différant pas de ceux attachés à la terre ferme.
Le
type même du survivant d’une lointaine apocalypse est, en ces lieux, le
bradype, animal surtout connu sous le nom de paresseux, bien que sa « paresse »
physiologique ne soit en rien redevable à celle dont Paul Lafargue fit l’éloge.
Atone mais vaillant dans l’escalade, le paresseux m’apparaît comme étant la
transposition, en 2020, de l’albatros, ce prince des nuées déchu selon
Baudelaire. Les airs de ressemblance de sa canopée avec notre monde posthume,
lui aussi suspendu au-dessus de l’abîme, n’échappent pas à l’observation.
À
l’extrême siccité que son altitude lui inflige s’ajoute le surplomb sans
garde-fou d’un monde de ténèbres, la méprise entre appel du vide et appel d’air
étant désormais agréée par l’Académie Posthumière. Et puis ce titre qui,
soi-disant tenu à l’écrit, fait tout pour s’en démarquer, n’a-t-il pas l’air
fin, tiré à quatre épingles, avec ses majuscules ? Plastronnant, minaudant,
n’en étant pas un tout en en étant un — roublard, va ! Évidemment que tu es un
titre, et de la plus vile espèce ! Tu ne mérites que le torpillage du texte
auquel tu prétends. Garde-les pour toi tes capucins, harpies, margays et autres
perroquets. Et puisqu’il n’est pas trop tard, tiens, prends celui-ci : «
Canopée de lapin ! » Il est libre de droits.
–
Tandis que l’odalisque se tire avec le cadet d’eau douce
Aujourd’hui, il pleut à verse. Pour qui a noyé
son chagrin ou crié « Terre ! » en désespoir de cause, le monde
plein d’eau est très pratique pour jeter son dévolu sur la mer. Justement, les
terres sont inondées et ce n’est pas peu dire qu’avoir les pieds sur terre
c’est les avoir dans la gadoue.
L’eau c’est la vie, et sans la vie on ne ferait
rien, ou sinon rien en tout cas pas grand-chose. Par exemple on ne respirerait
plus, on ne pêcherait plus la sardine ou le hareng, la crevette et le petit
poisson, on ne traverserait plus le Channel ni on ne persisterait à débarquer à
Arromanches. Ce serait la cata.
L’eau n’est pas seulement irremplaçable
pour faire le thé, la lessive, la vaisselle et même pour essuyer avec l’éponge
ce que la maîtresse d’école a écrit au tableau, elle sert aussi à balancer par-dessus
bord ce dont l’homme ne se sert plus et qu’on décrète vétuste : bandes molletières, postes à galène,
brodequins, etc.
Que le quai fasse machine arrière, que le
ciel revienne sur ses pas, que certains objets s’obstinent à faire la planche entre
roulis et tangage, l’eau reste très demandée pour naviguer à vue, ramer sur les
gouffres amers, sous les ponts Mirabeau de la mélancolie ou se préparer un ultime
potage avant de boire le bouillon.
–
Envie de dormir
« ... dormir, rien de plus... et dire que par ce sommeil
nous mettons fin aux maux du cœur et aux mille tortures naturelles qui sont le
legs de la chair : c’est là une terminaison qu’on doit souhaiter avec
ferveur. »
(Hamlet)
Oh, souffler la chandelle !...
« La forme c’est le fond qui remonte à
la surface », a dit le vieil Hugo. C’est pourquoi toutes les violences
d’État, aujourd’hui partenaires d’un même maelström mondialiste, se copient,
s’échangent, s’équivalent : celle de Donald Trump équivaut à celle de Vladimir
Poutine qui équivaut à celle de Kim Jong-un qui équivaut à celle de Recep
Tayyip Erdoğan qui équivaut à celle d’Ali Khameini qui équivaut à celle d’Abdel
Fattah al-Sissi qui équivaut à celle de Mohammed ben Salmane qui équivaut à celle
de Benyamin Netanyahou qui équivaut, chez nous, à celle d’Emmanuel Macron, prince
des microcéphales et grand commandeur des éborgneurs.
Selon que de toutes leurs gouvernances
économico-réfléchissantes, militaro-complémentaires, idéologico-concomitantes,
psycho-interchangeables et autolubrifiantes, ces violences s’attirent, Donald Trump
ferait un parfait président russe, Ali Khameini un président nord-coréen des
plus spirituels, Abdel Fattah al-Sissi un irréprochable président états-unien, Recep
Tayyip Erdoğan un délicat monarque arabe, Vladimir Poutine un président turc
fort distingué, Kim Jong-un un vénérable président égyptien, Mohammed ben
Salmane un révérencieux mollah iranien, Benyamin Netanyahou un subtil président
français et, réciproquement, Emmanuel Macron un authentique spadassassin
israélien.
Leurs violences enlèvent jusqu’aux mots de
la tête et quand je me mets à vouloir me parler je sais d’avance que je ne
saurai pas quoi me répondre. Elles ont travaillé à ce que, faute de questions,
les hommes déglutissent d’abstruses réponses. Sans répit, elles inventent de
quoi les faire chanter. Elles frappent pour enfoncer le clou, accrochent des
lumignons aux pattes des corbeaux, rotent leur hydromel national, prennent les
nuits pour en faire de ces boîtes où l’éternité est stroboscopique. Maintenant
qu’elles ont la possibilité de ne pas nous laisser mourir, elles nous laissent
vivre de faim.
Mon
envie de dormir est pure de tout être fatigué ou de tout avoir
sommeil, pure comme on le dit de la blanche, de la blanche nuit lacérée
d’illuminations, sa sœur de lait. Dormir, dormir justement comme l’engoulevent
sous la ramée. Ô nuit, ô terre promise !
–
Au Tripatouille-moi ça
Au Tripatouille-moi ça, je peux
presque dire que j’y suis né : son baby-foot, son flipper ou plutôt ses
flippers, car il y en eut plusieurs générations, et bien entendu son juke-box
(« High school confidential », « Money », « Time is on
my side » et tant d’autres). J’en ai vu et entendu un max, du subtil comme
du bien poisseux. Place Johnny Guitare il y avait encore, plus racés, Le Rendez-vous des bons copains, Le
Tord-boyau et Chez Claudette, pourtant
c’est ici que nous avons fait nos classes, peut-être parce que le vieux nous montrait
comment nettoyer les carbus de nos bécanes, plus sûrement pour son
« bastringue » comme il l’appelait.
Fief de bien des idiots du quartier,
personne n’a jamais eu l’idée de venir en troubler la quiétude interlope où
l’odeur de friture le disputait à celle du vieux mégot. Quand il était bien
luné, le boss, sorte de tonton macoute du club de foot et tête de con pour
nombre de riverains, offrait non sans ostentation une chope. Un coin oublié
dirons-nous, la Révolution s’y jouait au 421, rien à voir avec le Bronx, ce qui
explique qu’on a eu toute latitude pour y vieillir à petit feu.
Au
Tripatouille-moi ça c’était au coin, là-bas. Ça n’existe presque plus,
« presque » parce qu’en réalité, en catimini si tu préfères, les
aficionados du one more time y ont leur accès souterrain. Ce faramineux
arrière-pays où nos dieux lointains se sont retirés fait qu’ils n’ont plus
le temps d’imaginer quoi que ce soit d’autre, qu’ici faisant désert de tout
bois, le vrai tripatouillage suffit maintenant pour dispenser de la lumière. Et
c’est ainsi qu’on chante. Tu peux essayer toi aussi. Tu passes par la cour qui
est derrière, après le long couloir et une ou deux portes, tu débouches ;
le parcours est initiatique, enfin faut connaître. Sinon, tu demandes, le secret
n’est pas si bien gardé que ça.
–
De la prééminence de la
queue de poisson
Retrouvé tout à l’heure en marchant dans la
campagne environnante le mot « décombres »
dont il m’avait semblé, hier avant de m’endormir, que j’aurais besoin au réveil
pour achever mon précédent écrit. Ne l’ayant évidemment pas retrouvé, je l’ai
quelque peu terminé en queue de poisson, ce qui est sans doute ce à quoi nous
sommes contraints quand nous perdons le fil, le précieux fil.
En écriture, en tout cas, il n’y a pas
d’amour heureux, l’esprit n’est pas un fil, tout au plus un filet. On se
souvient qu’Au Tripatouille-moi ça était
de l’ordre du vestige aussi, dans ma prospection alentour, allai-je m’enquérir
des ruines que je m’imaginais évoquées dans tel spicilège (spicilège, un mot
également tombé en désuétude) reparcouru pour l’occasion et dans lequel je
n’aboutis à aucune ruine en tant que telle, à mon grand regret.
Quant
à dire comment de « ruines » je fis « décombres » avant de
m’endormir, je ne le sais pas. L’un n’est pas l’autre, ne serait-ce que parce
que « décombres » ne prend pas ce singulier qui me permet de trouver
une ruine évocatrice, belle même, chose impossible dans le cas de
« décombres » auquel nulle verticalité, nulle hauteur de vue, ne
laisse de chance. Et la désolation régnante ne permet pas de comprendre à
quelles ruines ou à quels décombres nous sommes voués.
–
De l’amour
La confiance est le substrat de l’amour.
Cette simple évidence, ce sont nos deux chattes qui me la rappellent
quotidiennement. Je sais bien qu’elles m’aiment avec des affects qui n’ont pas
le sens que nous prêtons contradictoirement au mot amour, mais aussi,
quand je leur donne à manger, quand je les soigne, quand je les caresse et leur
murmure des gentillesses, qu’elles ont une absolue confiance en moi. Et cela
m’honore, moi aussi j’ai confiance en elles. Notre infracommunication me permet
d’être un peu moins humain et un peu plus chat, au moins à leurs yeux. À
l’instar des diagonales du losange qui se coupent en leur milieu et sont
perpendiculaires, la confiance est ici la condition nécessaire et suffisante de
l’amour.
Et avec cette mère Patrie à la triste
réputation, avec qui nous sommes censés, et même tenus, d’avoir un rapport de
confiance quasi amniotique : confiance ou défiance ?
Il y a loin de cette patrie à une
république, multa cadunt inter calicem supremaque labra. Cette mère qui a fait sa
pelote depuis Hugo, c’est la Thénardier, une marâtre adoptive doublée d’une
prévaricatrice. Elle n’a aucun lien de parenté avec la majorité des habitants
de la France, aucun lien de parenté avec ceux qu’elle envoie se faire trucider
pour le roi de Prusse, aucun lien de parenté avec ceux qu’elle enchaîne dans
les bagnes industriels, aucun lien de parenté avec ceux qu’elle confine dans
des ghettos ou sous les ponts de la misère. La mère Patrie est la mère de ceux
qui en ont l’usufruit et d’eux seuls. Les autres, français par raccroc, en
sont les ilotes.
Éborgneurs
microcéphales, Junons fatales, gigolos, laquais macroncéphales, ce n’est pas
extrapolation que de dire que, aujourd’hui comme hier, l’œdipe patriotique
nourrit un vichysme viscéral en son sein. Non, je ne les sens pas légions ceux
qui, parmi eux, résisteraient au pire si l’Histoire venait nous rappeler au bon
souvenir de ses turpitudes. L’amour sacré de la Patrie que vante leur hymne
national c’est du pissat pour les écornifleurs, du flan, de la bouillie pour
les chats que nos deux chattes refourguent aux chiens avec l’omoplate de Pierre
Laval, du fond de leur sommeil sans inquiétude.
–
Le Soleil de l’impolitique
Pourquoi la vie s’attache tellement à nous modeler
de façon aussi biscornue ? Pourquoi nous empêche-t-elle avec une telle
insistance de nous voir tels que nous sommes alors que, dans leur perspicacité,
les oiseaux retrouvent en nous les épouvantails qu’ils connaissent si
bien ? Parce que la vie ce sont les hommes et que les hommes ne sont
jamais n’importe quels drôles d’oiseaux.
Imagine-t-on un dresseur de chevaux sans,
ne fût-ce qu’un poney à dresser ? Imagine-t-on un accordeur de pianos
sans, ne fût-ce qu’un mélodica, à accorder ? Imagine-t-on une
esthéticienne sans pubis, ne fût-ce qu’une furtive brésilienne, à épiler ?
Imagine-t-on un grand pêcheur sans appât à son hameçon, ne fût-ce qu’un insigne
vermicelle ?
Sous l’égide de quel mérite les choses
valent-elles d’être assénées à longueur de fumigeantes retapes ? Nous ne
nous leurrons pas, il n’y a de libre clairvoyance que conditionnelle, la
politique ne nous colle à la peau que pour nous assigner à la nécessité de
dépendre, craintifs et tristes, de sa litanie. Peuples à qui l’on prodigue des cours
de désespoir, peuples qui se terrent face contre ciel.
La politique est l’arme tranchante de ceux
qui promulguent l’inéluctabilité du mal imputé aux choses. Huitzilopochtli et
ses prêtres parlent soleil et guerre : la novlangue du pouvoir. Ils enterrent
à tour de bras et régurgitent les morts. Au moins le pas lent du cheval du
corbillard d’antan nous laissait un peu de temps pour méditer sur ce pendant de
nos existences.
Politique/poétique sont, dans toutes les
acceptions du mot réel, deux mots attachés au réel. Pourtant ils ne
s’accordent pas l’un l’autre, le premier désigne une forme avilie du second, le
second — biodégradable — est l’illusion de la forme sublimée du premier. Leur
irréconciliation continue de faire ses preuves, notre schizophrénie est avérée.
De l’idiosyncrasie comme antalgique
Doliprane, Dafalgan, Aspégic, Efferalgan, noms salvateurs,
votre cocktail est inépuisable. Maintenant, quant à dire pourquoi je vous
évoque, je ne vois pas, je n’ai mal nulle part, aucune douleur, rien ! Du
coup, si ce n’était l’empire du quotidien, je prétendrais que la douleur n’est
rien d’autre que son expression la plus dénuée d’existence, La Souffrance, ça n’existe pas pouvant
même faire le titre d’une chanson. Naturellement, on ne nous la fera pas, parce
que, quand même, l’empire du quotidien ce n’est pas de la tarte ! On sait
ce que c’est que d’avoir mal, surtout après avoir cru n’avoir plus mal :
hurler pour un oui pour un non, hurler en se couchant, hurler en se levant,
hurler en s’asseyant, hurler en toussant, en bâillant. Pourtant, qui peut dire
en toute clairvoyance ce qu’est ne pas avoir mal ? Ne pas avoir mal c’est
ne pas penser qu’on n’a pas mal. C’est bête comme chou mais c’est comme ça
depuis que l’homme se retient de parler pour ne rien dire.
Quand
même, en y réfléchissant un petit peu, ne serait-il possible que j’aie
mal ? Mal en me retournant, mal en levant la tête, en me baissant, en
mordant sur une cacahuète... Il ne suffit que d’une quinzaine de kilos de
viscères et de huit bons mètres d’intestin manifestement sens dessus dessous.
En ce cas, il y a sans conteste un rapport entre la pensée et la douleur. Je
pense que j’ai mal, donc j’ai mal, et là, par le plus élémentaire des
solipsismes, la pensée de la douleur qu’éprouvent les autres ne compense rien,
elle peut même aller jusqu’à supposer qu’ils ne savent pas qu’ils souffrent et
dans la foulée suggérer cette réponse à la question « qui sont-ils ? » : ils
sont ceux qui ne souffrent pas. Pour leur accorder une souffrance qui
équivaille à la mienne, il faudrait suspendre la thèse de l’altérité ;
pour qu’ils aient mal, il faudrait qu’ils soient moi. Je ne vois guère
d’alternative, soit ils ne souffrent pas comme « moi » souffre, soit
ils sont « moi ».
–
Cent balles pour un casse-tête
Deux questions que je me suis posées à deux
moments différents : « peut-on se dispenser de parler de soi, ou pour
soi ? » et « est-on jamais si sûr d’exister ? »
D’où est venu que je me pose ces
questions qui sont d’autant moins sans rapport qu’une grande futilité
semble les embrigader ? D’abord, il me semble que parler de soi, ou pour
soi, est unanimement considéré comme un agréable passe-temps, de toute façon
moins préjudiciable que de parler pour les autres. Ensuite, même réduite à sa
plus simple expression et sauf trouble mental particulier, la certitude
d’exister ne fait de doute pour personne.
Peut-on se dispenser de parler de
soi ? Jusqu’à un certain point, oui on peut, mais dans l’absolu, non, on
ne peut pas. Je laisse la subtilité du hiatus à la sagacité du lecteur qui aura
eu l’imprudence de s’aventurer aux portes de ce labyrinthe. Ne convient-il pas
de se demander si je n’existe jamais tant que quand je me mets en scène, par
exemple en parlant de moi, ou pour moi.
Oublions la clause de l’allocutaire —
importante certes mais pas décisive — ne pas trouver à qui parler n’empêchant
pas de parler. Qui n’en a croisé, dans la rue, qui parlaient tout seuls ?
Le comble n’étant plus de parler tout seul à son smartphone. Vous-mêmes dans
votre tête, ne faites-vous pas que ça ? Descartes l’avait déjà dit. Le
contraire serait de parler d’un lieu inaudible, ce qui serait insensé.
Revenant à cette attestation de notre
existence suspendue à sa courbe de réponse. Il faut là aussi insister sur
l’évidence que nous vivons parmi bien plus de morts que de vivants. On
m’objectera qu’exister n’est pas seulement vivre mais vivre dans la conscience
de l’autre. Sauf à négliger que l’autre de la conscience est une instance,
l’objection me semble réfutable.
Donc,
je ne vois pas, et je crois bien que c’est pour cela qu’il me faut écrire et
dessiner. L’écriture est la lampe de poche des aveugles qui voient bien que ce
qu’ils voient n’atteint pas ce qu’il y a à exister.
–
Mortaise
Pour toi, lecteur, les mots ajoutés aux
mots font les histoires que tu aimes, pour moi au contraire les mots
déambulent, se dérobent et souvent se substituent les uns aux autres jusqu’à
s’engloutir dans « les gouffres amers ». Toute pédagogique qu’elle se
veuille, la recommandation faite par les briscards du vers de lire les poètes
pour pouvoir écrire des poèmes a maintes fois démontré à quel point elle devait
être réfrénée, tant il est vrai que ne pas en écrire « à la façon
de » s’avère très vite une gageure. Le poème, on ne peut pas dire que ça
marche fort, mais c’est normal, la vie non plus ça ne marche pas fort. On se
rend bien compte qu’on est en train de ne plus se rendre compte qu’avec la
turbidité idéologique on perd une à une nos boussoles, qu’elles soient mentales
ou biologiques. Combien se rappellent ce que fut qu’être jeune ? Ce que
fut de pouvoir donner libre cours à son énergie ? Jadis, je vouai un culte
à la poésie, aujourd’hui je l’entends dans la mesure où je réprouve toute
croyance à son égard, elle qui n’est même plus capable d’une éruption cutanée.
Il y a beaucoup de choses auxquelles je crois dans la mesure où je n’y crois
pas, mais croire est si abusif, si abrasif et adhésif à la fois : justice,
liberté, bon dieu, amour, beauté... Être dans les mots, dans les mots profonds
que l’on voit flotter avec les matières plastiques, c’est être dans la merde.
Abysses, mots profonds, mots abyssaux, comme on y fait du pédalo ! On ne
peut vraiment croire aux hypothèses que les choses suggèrent que dans la mesure
où ni elles ne nous collent ni on ne leur colle à la peau. Pour croire, si
croire est le bon mot, il faut une mortaise.
–
Mariolle morale
L’écrit, ce cher aïeul, c’était caverne
d’Ali Baba, Afrique, ivoire, manganèse, cuivre, cacao, bisimbi. Entre la face
primesautière des choses et le monde usiné de leur apparence, un fouillis
d’oublis. Et mon écrit qui fait des bulles... La vie hante les sombres couloirs
d’une folie normale, montre patte blanche à la fièvre du samedi soir comme à la
piété dominicale
Elle fait son parergon de tout bois, et non
du radeau de la Méduse ou, parti de Sabratha, de cet esquif que les maîtres
penseurs et leurs passeurs ont le pouvoir de faire chavirer en capitalisant sur
tribord. Elle se garde de ne pas faire de pâtés sur la chose même.
Elle n’est pas dispensatrice de l’épreuve
qui la manifeste, ni la page de la plage où l’écueil veille : elle cherche
ses mots et trouve des mots parmi lesquels l’interposition fera son nid comme
le soleil de l’ombre au sommeil.
Et si jamais la vie, ni tout à fait la même
ni tout à fait une autre derrière son double, se mettait à ressembler à cette
page d’écriture ?... Un décalque total de son immatérialité en dépit / aux
dépens / en vertu / au nom / au bon souvenir du vieil écrit, la trouver ne
serait-ce pas la perdre ?
Un soir, on se figure que ça va quand
aussitôt la foudre révèle le noir de la nuit noire. Une autre fois, on se voit
terrassé alors que les dieux badinent sous la charmille. La vie n’est pas la
belle chalouperie que parraine le déluge. Son sable fait sa plage avec nos
ratures, l’écriture en est le blanc d’essai, l’encre, l’ancrage, le mouvement
perpétuel, la vis sans fin, le trou deux fois perdu.
–
Potlatch-potjevleesch
Et pourtant tout se côtoie, se mate,
s’effleure, se salue, se rencontre, se trouve, se frotte, se pique, se répond,
se superpose, s’effeuille, se déplace, se prend, s’interpénètre, s’enchaîne, se
méprend, s’achète, se vend, s’enlace, se lasse, se laisse, se remplace, se délace,
se perd, se retrouve, se délasse, se dépote, se goûte, se combine, se brasse,
se mixe, se confond... se baise tout simplement.
Et
pourtant la terre et la mer et les femmes et les hommes et les jours et les
nuits et le Levant et le Couchant et la jeunesse et la vieillesse et le noir et
le blanc et le vrai et l’ivraie et le bon grain et la mauvaise graine et la
pluie et le beau temps et le fond et la forme et le beurre et l’argent du
beurre et le salé et le sucré et le doux-amer et le tic-tac et le clair-obscur...
et les fruits de la bête et les bruits de la fête.
–
Tu viens, chéri ?
— Du mot de Vénus à son démon même —
S’il est volage, le mot volatil du
volubile, c’est parce qu’il n’a pas le temps de se faire du mouron. Quel moulin
à paroles sachant mouliner moulinerait sans vis-à-vis ? Sans vis sans
fin ? « Parlez-moi d’amour / Redites-moi des choses tendres ».
J’atteste qu’il n’est bon bec que de pie.
J’ai remarqué qu’un beau parleur aimant
s’entendre parler parle souvent pour vérifier si ce qui lui paraît du plus haut
intérêt est digne de porter ses couleurs. Également, c’est vrai, parce que ce
qui ressortit de la bouche est un plaisir qui ne s’éprouve jamais autant qu’à
table.
D’où l’expression « se mettre à
table ! ». Alors, si on se mettait à table ! La Mise à table
n’est pas un tombeau du Caravage ni postillonner un synonyme de cracher le
morceau, qu’en dis-tu ?...
—
Oui, ce serait cool.
Pour parler il vaut mieux être deux et
avoir de l’ouïe. Parce que, l’âge aidant, la feuille devenant dure et la
mémoire fonction de ses trous, ce qui va entrer par une oreille ne manquera pas
de sortir par l’autre. Ils ne sont pas beaux ces vieux potes qui, assis sur
leur banc, regardant au loin, ont encore du silence à se dire ?
–
Là-bas aux confins
Ni il fait clair, ni il fait sombre :
il ne fait rien.
Ni il fait chaud, ni il fait froid — ni
indifférenciation, ni tiédeur pourtant.
Ni c’est spacieux, ni c’est confiné,
situation d’immobilité irréprochable.
Ni je pense, ni je ne pense pas, avec nette
prédilection pour « je ne pense pas », toute pensée étant vestige d’histoire
ancienne. L’inlassable histoire ancienne...
Ni ne suis, ni ne suis pas, juste un zeste
de « je suis » afin d’estimer à quel point je ne suis pas, mais pas plus ; ce
que j’en dis c’est pour ne pas vous larguer. En vérité, mettre un mot derrière
l’autre m’est devenu gageure.
Du coup, ni rime ni raison, forcément.
Vous, vous appelleriez peut-être ça «
sérénité » si « sérénité » n’était un de ces gros mots qu’invoque le sentiment
d’angoisse et s’il me prenait encore d’être sentimentalement angoissé.
Présentement, c’est idem : ni quiet ni inquiet.
Quiconque, devant une telle mise à ras, en
profiterait pour boire un coup et casser une petite graine, mais ni n’ai faim
ni n’ai soif — et je ne perds pas au change.
Je ne gagne rien non plus, ni l’envie de
vous égayer en discourant, ni celle de m’égailler au lieu de me taire.
Terrons-nous plutôt, je n’ai rien dit et vous n’avez rien entendu ! Du coup, si
vous tendez l’oreille, si cela vous parvient, écoutez... Les confins bruissent,
les confins chantent !
–
Exaspéré
Sans doute avez-vous déjà éprouvé ce qui
s’appelle « sortir de ses gonds », se dégonder, ne plus tenir sur ses
gonds... Cette bouffée d’adrénaline qui vous vient des reins et, tel un
raz-de-marée, vous inonde... Curieuse sensation, si subite... Je ne saurais
plus dire avec précision en quelle circonstance ça m’est venu. Je devais
discuter tranquillement avec je ne sais plus qui — on ne sait pas toujours
quelle tempête couve sous la bonace, le mot de trop n’y suffit pas, il faut que
de l’insidieux passe à travers les mailles de la bienséance et induise. Bref,
tout à coup m’a pris que le chant du rossignol m’écorchait les oreilles, que je
l’abhorrais. Autant je me suis surpris moi-même, autant le ton de réfutation
sur lequel je lui ai signifié l’a positivement interloqué, je l’ai bien vu. Et
maintenant que j’y repense je suis convaincu avoir cru à ce que je disais. Dès
lors, j’en ai profité pour pousser le bouchon, fallait-il qu’il m’ait
gonflé !
Je
lui ai dit que la rose avec sa gamme si ostentatoire de parfums, eh bien je
l’exécrais. Que l’amitié si universellement magnifiée en dépit de toutes ses
roueries, je la maudissais. Quoi encore ? Que j’avais une profonde
aversion pour les vers qu’il venait de m’évoquer. Pour un peu il me les
lisait ! Je n’ai pas caché non plus que j’abominais les enfants si
volontiers sadiques avec leurs dictateurs en puissance et leurs cris.
Normalement je n’avais pas besoin de dire que je détestais la musique qui tout
à coup dut ne m’apparaître que bruits et prétentions mais je le lui ai quand
même certifié. Je ne me suis pas davantage retenu de vouer la beauté et son
cortège de louanges aux gémonies. Dans la foulée j’ai escagassé tous les grands
cacatois de l’esprit et empapaouté Ste Nitouche, St Glinglin et tout le St
Frusquin. C’est comme ça que ça s’est passé. Aucun regret.
–
Notes futiles
Acculé à l’émulsion du monde dans une corne
stridulante, acculé au futur en guise de passé, à n’être qu’histoire, à
l’indicible flageolant, à l’archive de ta maison, aux allées et venues de ces
figures de pensée appelées mots, au bonheur par défaut face à l’évidence
nébuleuse, à la mort en échange du vain désir de disparaître, au catastrophisme
par pangolins interposés, aux dernières infox moyennant pépètes, à cette
imprimante qui n’imprime pas, aux bras qui t’en tombent, aux dents qui se font
la malle, aux pixels de l’image narcissique, à l’enivrante malléabilité du
poème, à l’atrophie d’être, à son rien primordial.
Combien en as-tu vus de ces bretteurs à
gages, toutes pensées dans les talons, cherchant l’ivresse dans les étoiles et
ne décrochant que des confettis ? S’il faut t’en croire, toi qui fus ma
première conquête au sortir du gazouillis, toi qui d’un souple saut de mouton
me convia à la quiddité de l’élan et qui m’appris à pisser ainsi que les hommes
pissent, aucune herbe coupée de frais n’a jamais démenti la mer à boire. Acculé
au sens qui passe du coq à l’âne, principe volatil.
Sauf
à s’interrompre dans le coup de théâtre d’une formule, l’existence, tourbillon
de toi expédié dans les roses, est le surcroît dont se réclame le manque à
être. À cet endroit, le face à face des pensées et des pensées fait son lit, le
chas du sens n’est pas aussi étroit qu’on le dit. C’est la nuit qui l’a fait
venir et, donnant-donnant, c’est lui qui, prêtant à l’effet de revêtir la
cause, met la nuit à jour dans la conscience. La terre doit être sèche pour que
l’homme faible s’en remette à sa faiblesse. Acculé, acculé, te dis-je.
–
La Légende des objets
L’essentiel n’est essentiel que dans la
mesure de ce qui nous en sépare. Avez-vous remarqué qu’il n’y a plus de place
nulle part ? Rues saturées d’automobiles de plus en plus volumineuses,
appartements occupés par des écrans de plus en plus larges, placards, buffets,
consciences même, nos consciences débordantes d’infos et de jacasseries,
déménagées à l’ombre d’elles-mêmes, nos cerveaux déménagés dans leur disque dur
externe. Amours, sommes-nous encore là ?
Quand nous sommes morts, et sans doute
sommes-nous déjà morts, la plupart des choses que nous avons collectées notre
vie durant : choses qui suscitèrent notre intérêt, ou que nous trouvâmes
belles, pièces rares, reliques... finissent chez les brocanteurs quand il leur
reste de la place pour les stocker, mais la plupart du temps aux encombrants.
Est-ce vanité que de rassembler des livres dont Emmaüs ne voudra même plus, des
disques, des films ?
Quand nous sommes morts, et tout atteste
que nous sommes bien morts et enterrés, tout cela échoit à la décharge. La
poubelle en est la luxuriante anticipation, car la poubelle vit, elle vit de
nos rêves, de nos espoirs, de nos conquêtes, et nul ne contestera que nous
vivons dans une poubelle. Chercher à s’approcher de l’essentiel c’est, comme
par un effet d’optique, le pousser à se reculer, l’essentiel ne demeurant
essentiel qu’en ne nous brûlant pas les ailes.
–
Idiot
Si mon petit bonhomme de chemin a la joie
triste, comme on dit avoir le vin triste, c’est à n’en pas douter pour qu’en
insigne réciprocité il y ait de la tristesse joyeuse quelque part. Aucun
ping-pong ici, la tristesse joyeuse comme la douce douleur ou la fraîche
embrasure est le point de repère d’où nous partons. Nos points de départs sont
ce qu’ils sont ; j’ai remarqué que très souvent l’un valait l’autre. Mon petit
bonhomme de chemin je l’aime bien.
Le starting-block qui devait me propulser
était en papier mâché mais il n’avait pas coûté cher. Traduisez, il n’avait pas
coûté cher mais il ne valait rien (paradoxalement ce qui ne vaut rien ne coûte
jamais rien), il a suffi d’une poussée du talon pour rompre l’élan. Il faut
toujours se fier à l’homologation, pas de starting-block digne de la perf’ à
laquelle il te voue sans homologation : NF, NRF, GF, mais non, pas Guy
Ferdinande, idiot : Garnier Flammarion !
Le
commissaire a été au regret, sic, de me dire que j’avais glissé sur mon
starting-block parce que j’avais négligé le fait qu’il était devenu le repaire
d’un tas d’infectes bestioles gluantes. Belle argutie ! Les bestioles gluantes
prisent le basilic, le rutabaga, une petite feuille de tabac lors d’une
échappée dominicale à Harelbeke, mais elles se fichent comme d’une guigne de
squatter le starting-block en papier mâché de G. F. Comme un gros malin, il a
voulu faire porter le chapeau de la prédétermination à l’homophonie repère-repaire.
Mon sacré petit bonhomme de chemin n’est pas un GR mais il a l’œil.
–
Sapience
en patience
Et pourtant, je l’avais sur le bout de la
langue. Quel recéleur que ce bout de la langue ! N’étant pas si pressé (comment
le serait-on en ce cas ?), j’ai laissé pisser, comptant bien m’y remettre
dès que ça me reviendrait. Sauf que, le temps passant, on perd de vue de se
mettre à sauter sur l’occasion en cas de réminiscence, il faut tenir compte de
son refroidissement. Un mot désactivé n’est plus qu’une loque. Entre temps,
j’ai écrit autre chose sans me soucier de savoir si écrire était ou n’était pas
écrire autre chose, autre chose que ce que, de guerre lasse, le bout de langue
suggère et abandonne in extremis à côté de la plaque. La plaque ? Cette
plaque n’est pas un échangeur, n’est-ce pas ! Ni un rond-point ! Ni
un carrefour ! Je m’en doutais un peu, remarque. Bout de langue obstiné, réfuté,
envoyé aux pelotes là-bas, vidé de toute suite dans les idées par l’irrévocable
plaque, ruiné. Un beau jour on écrira avec l’assistance d’un GPS, tu
verras ! On y est déjà.
Je regardais au loin par la fenêtre quand
la quinte de toux de la grosse dame de la table d’à côté me tira de ma
songerie. Effectivement, j’ai toujours cru que je pouvais remettre au lendemain
ce qui me venait à l’esprit, toujours cru qu’il n’y avait pas le feu, que ce
blanc intercalaire revenait à ce que la caisse de raisonance doit fatalement
endurer pour parvenir à l’ombre de son mât de cocagne. Était-ce que je n’avais
pas tout loisir d’envisager les choses autrement ? On ne pense pas comme
on ferait du tobogan, ajouter de la matière consiste à retirer de la matière et
retirer de la matière, la pente fût-elle savonneuse, à laisser du champ au
naturel afin qu’il revienne au galop. Mais qu’est-ce donc que ce naturel si
déterminant ? L’autre chose, appelons-le ainsi. Quelle dérision, alors,
accole au besoin de me recentrer celui de laisser entendre qu’il me faut, pour
ce faire, me décentrer.
–
Quel laconisme des colchiques symptomatisera jamais cet écrit
?
Comme a dit le commentateur :
« Ne m’en demandez pas trop ! ».
Ainsi qu’il faut un début à tout, posons
que pour faire une histoire il lui faut un début : sans début on ne
s’achemine pas, on gamberge, on ne fait rien. Le choix de Camille Marteau,
Dominique de Boulet Rouge et Claude Mesproufès, nos personnages, fonde ici ce
début. C’est Dominique qui ouvre le feu : « Il peut pleuvoir, on s’en
balance ! ».
Trois personnages en quête d’histoire
constituent ce début d’histoire, surtout s’ils n’habitent pas, le premier à
Maroilles, le second à Livarot et le troisième à Roquefort. Mais même en ce
cas, un huis clos virtuel ne serait pas inconcevable, nous ne sommes pas à
l’époque de l’internet pour en faire un fromage.
Ne nous racontons pas de salades,
l’histoire, il faut la faire, c’est-à-dire l’enfourcher comme dans Easy
rider. Le genre « road movie » nous convie d’autant moins à faire
l’économie du sujet que d’un coup de kick il l’entraîne à sa suite, lui et le
sujet écrivant. Concernant la nôtre, nous nous en tiendrons à l’éventualité de
son déploiement.
Camille, Claude et Dominique aiment la
marche, les voici sur le GR 121 B qui, de l’intersection du chemin vert et du
chemin du Moulin, à Verlinghem, mène, un petit 10 km plus loin, à
l’intersection du chemin du Bas Plat et de la route de Linselles, à Bondues.
Les entraînant derrière elle, c’est la
marche qui, tel le fameux cheveu dans la soupe, pose ipso facto la question de
sa chute : comment va-t-il falloir chuter, puisqu’il est écrit que tout
aboutit à cela ? Comment prendre congé de la très fictive hypothèse de
Dominique, Claude et Camille ?
Foin
d’histoires ! Loin de nous de vouloir la bâiller belle au découvreur de
grands espaces. Si le début entend promouvoir une histoire ce n’est jamais que
pour exhiber son indissociabilité avec la chute. Le début est tendu par la
chute, le début c’est la chute. Dès lors, comment faire de la chute une chute
qui soit belle, qui soit notre œuvre ? « Une autre
histoire... », dit le commentateur.
–
Tu ne mentiras point
— 8ème commandement —
Le jour où l’on me mettra en terre, il
serait très malséant que l’on vienne m’affubler d’obsèques religieuses ainsi
que je l’ai souvent vu faire à des amis qui étaient athées ou, s’ils ne
l’étaient pas, n’étaient pas croyants au sens religieux du terme. Pris de court
par la Camarde, ils n’avaient anticipé que l’on pût faire fi de leur conviction
la plus intime.
Non seulement, accepter que cela puisse se faire serait comme consentir à ce que l’on se mente à soi-même mais plus encore ce serait tenter, comme on dit tenter le diable, de mentir au bon Dieu qui voit tout et entend tout.
-
À
contreciel
Dans la réflexivité que je tenais devant moi comme ces joggeurs leur iPod machinal, je me voyais marcher entre brassicacées et cucurbitacées, j’avais mon gilet moutarde des grands soirs et une pancarte sur laquelle était écrit « Ceci n'est pas une manifestation déclarée en préfecture ». Aucune fiction ne se justifiant en soutenant n'être pas un rêve de crainte d'avoir à se métamorphoser en réalité, je ne mentais pas.
Ces choux pommés qui, sur ma droite, avaient pris position sous le couvert de l'observance attestaient la toute proximité d'un monde en furie avec les cimetières qui hantent nos cœurs. Cimetières, vous n'êtes pas des lieux de recueillement ! Il vous manque l'ombre des arbres, des bancs pour méditer un instant et surtout le beau Temps. Ce que nous appelons temps est toujours du temps compressé qui, comme afin de parer au plus pressé sans que ça coûte un sou, congédie la réponse à la question « où trouverions-nous le temps ? »
Sur ma gauche combien de potirons acculés à la becque ? Le temps ne se trouve pas là où nous sommes. Rien n'est rien. Nos légendes ne sont rien à côté de nos énigmes - ni même nos peaux qui peu à peu se détachent du ciel pommelé de Flandre. Rien n'est rien. Quand je serai sous terre, au lieu d'une pierre tombale je vois bien un banc, blanc sous le refleurissement des lilas blancs.
-
Pas de porte
Il ne suffit pas au ciel bleu que d’être bleu pour être
bleu, quand bien même je répéterais cent fois bleu. Qui s’est d’ailleurs jamais enquis de la bleuité du
bleu ? Mon poème, ça ne marchait donc pas. Manque de bleu, manque
d’allant. Fallait que j’aille me faire une petite balade, m’aérer le neurone de
toute urgence. Impression que la marche, naturellement égayante, devait être la
parfaite exécutrice au chapitre, ne fût-ce que pour la lenteur et l’oxygène
censément convoquées pour les citadins que nous sommes. Regardez-les, nos
Socrate, Platon, Rousseau, Kant, Nietzsche, Rimbaud... tous ont marché, et bien marché. C’était manifestement inespéré,
mais dans mon cas ça n’a pas eu l’effet escompté : la marche est une
combine égaillante exclusive de tout poème, pour un pas en avant une syllabe à
reculons. Mais nous le savions, n’est-ce pas, que la syllabe n’est pas le
pied !
C’est
comme vouloir répondre à la question « ça va ? » qui est
moins une question qu’une formalité vernaculaire : « ça
va ? », alors l’allocutaire répond « ça va ! » et chacun
est quitte, affaire conclue, contrairement à la réciproque « ça ne va
pas ? » généralement proférée sur un ton moins badin et à laquelle on
serait tenté, tout compte fait, d’accorder que ça ne va pas tant que ça. Mais
dans mon cas, ça ne marche pas plus qu’avec le recours à la balade. Non que ça
n’aille pas ou que ça aille, là n’est pas la question, la question qui
n’en est pas une est que ça me prend de court et que j’en reste comme deux
ronds de flan. Le « ça va » n’est pas le savon du bain auquel les
pieds du poème pourraient aspirer après leur balade. Celle-ci, infructueuse,
est décidément antinomique de la ballade.
–
Ça en vient, ça y va
La vie, la vraie, celle qui couve, a
beaucoup à voir avec le calepin sur lequel je gribouille mes impressions et
qui, lui aussi, ne me quitte pas. Notules en tous sens, ratures, pages
recommencées, pages arrachées : vrai foutoir. La vie n’est pas un poème
affichant le bel équilibre de justesse, d’exigence, de sens que l’amateur avisé
se plaît à reconnaître : elle vient de la rencontre pas vraiment fortuite
de deux ventres dans un plumard et va à l’hosto par lequel il est dit qu’un
jour ou l’autre nous devons tous passer. Moyennant son content de perfs (de
perfusions s’entend), l’hosto peut même s’évérer prétexte à sourire, sourire
ponctué d’un pouh ! de dérision.
L’hosto, quand au bout d’une bonne dose
d’antalgiques tu n’as plus mal, c’est l’expérience d’une expérience intérieure
aussi bénéfique qu’une résidence d’écrivain à Saorge ou à Mouans-Sartoux.
Ainsi, quand après avoir remarqué que mes t-shirt, chaussettes et babouches
étaient rouges, l’infirmière découvre ravie que mon slip est également rouge.
Je lui dis, histoire d’échanger deux mots, que ce matin au marché de Wazemmes
les vêtements portés par l’ensemble des badauds étaient noirs, ce à quoi elle
répondit : « c’est parce que c’est l’hiver » et fredonna
quelques paroles de la chanson de Jeanne Mas, En rouge et noir.
À
peu près au même moment, le type du box d’à côté lançait à l’infirmière qui
venait de lui demander de faire pipi dans l’urinal un : « Dégagez ! »
rageur. Pudique, Monsieur ne voulait pisser nulle part ailleurs qu’aux
toilettes... De nos jours, les gens ne se font plus hospitaliser sans emporter
avec eux leur smartphone. C’est bien dommage ! Si à Davos en 1911 Thomas
Mann s’était adonné au gadget, la littérature du siècle dernier aurait été
privée d’un de ses plus grands livres. L’hôpital est un giboyeux lieu
d’observation qui mérite que l’on prenne l’expression prendre son mal en
patience au pied de la lettre et que l’on ne se départisse pas de son
carnet de bord.
Une Croûte
Comme nombre d’entre nous je pense parfois
avoir « des choses à dire », comme on dit (c’est comme ça qu’on
appelle le mélange de besoin de parler et d’opinions), bien timidement
d’ailleurs car mon bagage est léger, mais cette nuit je n’ai aucune idée de ce
que je pourrais bien écrire, et pas que cette nuit, d’ailleurs : le plus
souvent ! Dans ma carrée, ça ne manque jamais de commencer par de la
distorsion.
Sans vouloir instiller un sentiment trop
labyrinthique, j’évoquerais néanmoins le désir de me faufiler, ou de me tirer
d’embarras. Laisser venir les obstacles, au besoin les solliciter, les disposer
devant moi, et tâcher de passer entre eux. Un jeu si l’on veut, en prenant le
mot jeu au sens mécanique de fonctionnement, voire de dysfonctionnement
résultant d’un défaut de serrage, ou de langage : mon drôle de jeu à moi,
c’est ça.
Sait-on jamais ce que met de soi celui qui
quotidiennement s’attable pour faire confidence de ses écueils ? S’il faut
qu’il y mette son corps, il faut qu’il y mette aussi de son âme, avec pensées,
chemins détournés et protocoles. Naturellement, on peut discuter de l’âme de
celui qui écrit mais si elle n’est pas ce qu’on attendait d’elle on peut aussi
refermer la lecture. Tant qu’on le lit, ce n’est pas pour son âme.
Le moelleux ne partage pas sa langue avec
la croûte, pourtant si le moelleux c’est sa croûte (tant que le moelleux est
fonction de la croûte qui le revêt), il n’est pas possible de dire de la
croûte qu’elle est son moelleux. Alors, Mister Jésus, dis : quel
enseignement a-t-on tiré de ces arbres que l’on prétendait connaître à leurs
fruits ? Aucun, croûte et moelleux coexistent sous l’œil ronchon du vieux
croûton.
–
Fèyssbouc et Gâlimarre
Fèyssbouc et Gâlimarre sont
deux poèmes et, quoiqu’il n’en paraisse rien de prime abord, deux types de
poèmes : le type roturier et le type noble. Point n’est besoin d’évoquer
la prestigieuse labellisation de l’éditeur pour distinguer la noblesse du poème
Gâlimarre de l’autre, Fèyssbouc, ils ne disent pas la même chose
d’eux-mêmes. Leur langue a beau être identique, leur récit est différent. Gâlimarre
n’est pas, ne peut être, un poème en temps réel, ses coutures n’apparaissent
pas, l’atteste l’indistinction des époques qui permet que se côtoient Christian
Bobin et Lord Byron. L’atemporalité propre à l’élévation artistique est son
affaire : un ciel bien dégagé, un poème sublimant, pur.
La manufacturabilité informatique de Fèyssbouc,
ce n’est pas ça, qui devance tout propos. Certes, la mise à distance conférée
par le support papier lui fait défaut mais, plus avant, ce qu’elle décline dans
un environnement fort peu délimité, c’est son temps. Avec sa ponctualité de
feuilletoniste, sans discrétion aucune, son poète donne à voir
l’arrière-boutique de ce qu’il écrit, la matière première de son ingrédient
poétique, son planning, le substrat de son humeur, sa transparence même. Par
exemple en ce moment, six heures du matin, tandis que dehors il pleut, il est à
sa table en peignoir, rien à voir avec le Sherlock Holmes distancié des
imageries, la chose est là, patente, déjà mémorisée parmi les milliards de
pixels qui lui sont une galaxie.
Faut-il
en déduire que l’Antonin Artaud de l’un n’est pas le même que l’Antonin Artaud
de l’autre ? Et le René Char ? Et l’Henri Michaux ? Comment
peut-on être dans le même lit et en même temps faire chambre à part ? Rien
de plus stupide, n’est-ce pas ! Fort heureusement, la proximité de l’en
soi et du pour soi ne permet pas ici de distinguer deux Artaud, deux Char, deux
Michaux, selon que votre environnement ressortit de Gâlimarre ou de Fèyssbouc.
Un doute s’annonce à l’horizon. Groulera-t-il tel l’abdomen en proie
aux borborygmes ? Borborygmes plats, croisés, embrassés... Ai-je écrit ce texte
pour rien ? Ce ne serait pas la première fois.
–
Dans la peau de l’aventurier
On coupe la poire en deux, j’essaye d’être
concis et toi tu ne me lâches pas d’une semelle. On attaque avec deux entrées,
il faut que tu t’imagines deux entrées, comme ça, fichées devant toi. Mets-toi
à ma place, deux entrées devant toi, devant nous si ça t’emmerde d’y aller
seul. Il y en a sûrement davantage, la vie est une sérénade à tiroirs, mais
comme il faut bien réduire la fraction, c’est avec cette double détermination que
je t’invite. Deux entrées, l’une à gauche, l’autre à droite. Tu les vois ?
D’emblée, l’une des deux occupe ton champ, tandis que l’autre, plus floue, sa
jumelle pourtant, se met à l’écart comme afin de convier par sa présence un
ordre rassurant des choses. Aussi, quand je pénètre dans la première, celle qui
me fait face, c’est, de fait, un choix, un choix non pas en connaissance de
cause mais en ambivalente méconnaissance de l’alternative que suggère la
seconde entrée. Tu me suis ?
À côté de l’entrée que nous allons prendre
se trouve invariablement cette autre qui n’est pas là pour tenir la chandelle
ou pour être franchie, seulement pour signifier à quel point la galerie que
nous avons tirée au sort n’est justement pas la bonne. Et comme on n’est pas
sûr que rebrousser chemin pour aller dans l’autre ne serait pas courir le
risque de se retrouver dans un cas de figure inversement similaire, on
continue. Ça va toujours ? Si tu as des questions, n’hésite pas.
L’embarras du choix est un leurre, il manque toujours dix sous
pour faire un franc. Les saillies de ce passage sont
fonction de l’habitus. Non, on ne s’en échappe pas, dis plutôt qu’on s’y
écharpe.
Si
j’avais pris l’autre galerie, que te dirais-je ? Aurais-je l’intelligence
de la situation que je n’ai pas ici ? Ici, ce n’est pas que je ne sais pas
où mettre les mains ni où poser les pieds, il ne fait d’ailleurs pas si sombre,
mon souci c’est de tenir le cap, or mains et pieds je ne les vois plus,
sont-ils toujours là ? Et la tête ? Pouvons-nous encore affirmer que nous
avons toute notre tête ? Comme déjà je n’ai pas d’idées, il se peut que je
n’aie plus ma tête à moi. Ce qui n’explique pas que je marche. Marcher, comme
écrire, n’est rien, le handicap survient quand les autres, parfaitement au fait
de ce qu’ils attendent de ta performance, n’ont plus qu’une écoute polie à
accorder à tes « Hi-oh hio-i-io ! » à tue-tête. On fait des pieds et
des mains pour que ça marche mais aussi parce que ça ne marche pas. Tu fais
gaffe de ne pas glisser, hein !
–
Lézards poétiques
« Toute la terre avait une seule langue et les mêmes mots.
Comme ils étaient partis de l’orient, ils trouvèrent une plaine au pays de
Shinar, et ils y habitèrent. Ils se dirent l’un à l’autre : Allons !
faisons des briques, et cuisons-les au feu. Et la brique leur servit de pierre,
et le bitume leur servit de ciment. Ils dirent encore : Allons !
bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet touche au ciel, et
faisons-nous un nom, afin que nous ne soyons pas dispersés sur la face de toute
la terre. L’Éternel descendit pour voir la ville et la tour que bâtissaient les
fils des hommes. Et l’Éternel dit : Voici, ils forment un seul peuple et
ont tous une même langue, et c’est là ce qu’ils ont entrepris ; maintenant
rien ne les empêcherait de faire tout ce qu’ils auraient projeté. Allons !
descendons, et là confondons leur langage, afin qu’ils n’entendent plus la
langue, les uns des autres. Et l’Éternel les dispersa loin de là sur la face de
toute la terre et leur donna tous un langage différent ; et ils cessèrent
de bâtir la ville. C’est pourquoi on l’appela du nom de Babel, car c’est là que
l’Éternel confondit le langage de toute la terre, et c’est de là que l’Éternel
les dispersa sur la face de toute la terre. »
Livre
de la Genèse (Gn 11, 1-9)
Le sentiment poétique qui est universel ne
revient pas d’Énoch. Le sentiment poétique qui est universel (et poétique)
n’est pas unijambiste, c’est un sentiment qui ne trompe pas.
Un sentiment qui n’est pas unijambiste
marche à la langue comme tout ce qui y va par quatre chemins.
Pour autant qu’une langue qui point ne
fourchant, ne prête à redire (pour autant qu’on ne puisse insinuer qu’elle
commence à bien faire), il faut lui reconnaître, sinon lui trouver, ses deux
sources : celle qui permet d’être compris par ceux qui ne la parlent pas
et celle que ceux qui la parlent comprennent sans comprendre.
Une langue qui ne fourche pas n’est pas
tenue de commencer à bien faire. Tout risque de partir à vau-l’eau qu’elle
prenne, comme c’est à 15 h très précises le cas, elle ne vaut qu’à se
débabiller.
Le sentiment qui ne trompe pas peut être
sentimental, « encore faut-il le dire avec sa langue » disait l’aède
qui, égrenant les cordes du phorminx, n’était pas rhapsode pour deux sous ni
son verbe de l’hébreu. Sinon, sortir des sentiments battus.
Les évènements de la tour de Babel n’ont
rien perdu de leur actualité.
Pour saisir la portée du sentiment poétique
universel, il convient qu’il soit rapporté à la discrétion d’une langue
transverse. À défaut, le tupi-guarani (“jaguar”, “tapioca”, “agouti”, etc.)
pour la possibilité offerte que je t’accompagne au gong.
Et
puis “amour”, “paix”, “nature”, que propage, dit-on, cette autre réchappée de
Sodome et Gomorrhe.
–
Le Lacéré de la peur
D’aussi
loin que je me souvienne, j’ai toujours eu peur. Peur non pas d’un seul tenant
ni d’une seule couleur, peur diffuse et, si j’entends bien ses excuses,
confuse, toujours prête à faire amende honorable, ce qui, elle le sait, a le
don de m’exaspérer. Mon attachement si souvent réitéré à Wazemmes et à son
marché multicolore m’autorise à prétendre qu’il ne s’agit en aucun cas de la
peur de ce qui fait nombre ni celle de quelque fantasmatique surnombre : seulement la peur de mon ombre.
Par exemple, la peur de devoir prendre la
parole, la peur de ne pas être à la hauteur face au pic du Midi, la peur de me
lever du pied gauche ou d’écraser une crotte de chien avec le pied droit, la
peur que la chasse d’eau se dispense de chasser la fécalité, la peur que la
sénilité me pende au nez, la peur d’en venir à devoir souffleter un
sous-préfet, la peur que mes âneries n’aillent butiner chez les Belges, peur
encore d’avoir à répondre au téléphone arabe, peur que le poulet vindicatif ne
me balance le pruneau qui lui est une bonne cinse et beaucoup davantage, peur
de foncer tête baissée dans la purée de pois matinale, peur de déshabiller
Pierrette du regard pour habiller Paulette, peur de rêver d’avoir à faire une
seconde fois mon service militaire, peur des avaricieuses demi-mesures et de
leurs alter ego les impénitentes démesures, peur que me prenant les pieds dans
mon peignoir je dégringole dans les escaliers, peur de ne pouvoir écrire comme
je le voudrais ce que je voudrais écrire mais plus encore peur que ce dont je
n’ai pas idée ne me vienne pas à l’esprit, peur que la montée des eaux ne fasse
sortir de leur réserve ces poissons des abysses dont les dents sont si longues
et si tranchantes qu’elles les empêchent de fermer leur claque-merde, peur
d’avoir peur, c’est un fait. C’est dire si cette gourde me colle à la peau.
À peureux, peureux et demi ? Je pense
à l’ancêtre qui, malgré toutes les raisons qu’il eut de redouter la nature
hostile, trouva le temps de faire les enfants inhospitaliers que l’on sait.
Depuis, s’il est peu glorieux de passer pour un trouillard, il n’est pas
davantage honorable d’en faire état, la vérité n’a rien à y gagner, n’est-ce
pas ! Foirer dans ses braies ou être frappé dans le dos par le varicella zoster virus à défaut d’une MDCP
calibre 40 ne sont que brouet d’andouille. Rien à écrire, circule !
–
Chassés-croisés
Confortablement assises sur les marches de
la baie vitrée, les chattes, ces membres cardinaux de la vie domestique, à la
fois curieuses et contemplatives, aiment à voir ce qui se passe dans le jardin,
et même si, exception faite du passage du hérisson une fois tous les dix ans,
il ne se passe rien, ce n’en est pas moins des plus distrayants.
Elles n’attendent pas particulièrement que
quelque chose se passe mais elles savent que de cet observatoire rien de ce qui
pourrait se passer de l’autre côté n’échappera à leur hédonisme. Pour nous, le
temps est toujours du temps compressé sans lequel nous ne parerions jamais au
plus pressé, pas pour elles.
Picchu a toujours regardé dehors et dedans
par la baie vitrée selon qu’elle était dedans ou dehors, au point de donner à
penser qu’elle ne demande à sortir que pour mieux voir du dehors ce qui se
passe à l’intérieur. Surplomber, superviser, Don Salluste en arrêt devant ses
piastres d’argent n’est pas autrement intentionné.
Bouboulimic,
la nouvelle venue, s’est très vite adonnée à ce plaisant loisir qui ne s’annule
seulement qu’en été, quand tout est ouvert. Pour l’heure, n’étant pas
nécessairement synchrones, il est courant que l’une est dedans regardant dehors
quand l’autre est dehors regardant dedans. Façon non concertée mais judicieuse
de ne pas se crêper le chignon.
–
Du néant au lasso de la lassitude
Mes amis comprendront aisément que je leur
confie que je ne suis rien ; être rien est une proposition compréhensible.
Je ne suis rien non parce que j’en ai le droit, ou plus littéralement celui de
le prétendre, mais parce que j’ai suffisamment à faire avec ce qui me passe par
la tête.
De la même façon ils comprendront que ce
que dit quelqu’un qui n’est rien ne peut non plus être grand-chose : ce
que dit quelqu’un qui n’est rien n’est ni grand-chose ni quelque chose, quelque
chose étant le contraire de rien, ce que dit quelqu’un qui n’est rien n’est
rien moins que rien.
Ce n’est pas la sagesse qui m’apprend que
je ne suis rien et que ce que je raconte n’est rien, la sagesse est affaire de
vieux chnoques, c’est doublement l’article de la mort devant lequel tous autant
que nous sommes nous bivouaquons et le recours à la langue grâce auquel je puis
m’étonner de ne pas leur dire « n’écoutez pas ce que je raconte ! ».
Si je suis compris par tout, en revanche
j’en comprends fort peu, c’est qu’il en faut des mots savamment combinés pour
en comprendre un peu plus que fort peu, ce disant je saisis mieux ma vocation
de cancre, jadis à l’école.
Donc je ne suis pas quelque chose :
pas écrivain, pas poète, pas dessinateur, pas musicien, pas philosophe, pas
français et pas davantage ce nom de l’identité que la filiation a remis à
l’improbable, mais je tâche de prendre les choses à la coule tant qu’il y a du
bon vin.
–
Bougeant
le petit doigt
ou comment se gratter.
La vie est unique et les choses
innombrables. Que le rapport vie/choses ne soit pas équitable, le petit doigt
s’en balance, le monde est rempli de signes auxquels nous ne croyons pas. Ce
n’est que quand ils se mettent à converger que nous leur prêtons une attention
inquiète.
Désolé ! Que l’auriculaire (parce que
« sa petitesse permet de l’introduire dans l’esgourde ») puisse aussi
tomber dans l’oreille d’un sourd n’est pas précisément ce qui s’entend par
« lever un lièvre », mais entre amis on s’entraide. Ne sais-tu pas
que la profondeur n’est d’aucune invocation, que c’est à la chute qu’il
convient de rapporter sa profondeur ?
L’abbé Leroux nous avait dit de ne jamais
lire La Nausée, « livre
diabolique », à moins que « satanique », je ne sais plus, je
cite de mémoire. Le lendemain, la moitié de la classe était déjà allée
l’acheter au Furet du Nord. Mon père, lui, c’est « il ne faut pas faire
autrement que les autres » qu’il disait souvent... (in Mémoires de la Puce à l’oreille).
Jamais aussi silencieux qu’après l’orage,
le silence n’est jamais de quelque litanie que ce soit, le Temps jamais aussi
beau qu’au plus profond de la nuit, l’herbe jamais aussi verte qu’après la
rosée du matin, l’Essence jamais ce qui se révèle après que la pénultième peau
soit tombée : l’Essence est aussi une peau.
Mon
petit doigt et moi faisons cause commune. Me le mettre dans l’œil est-il le
plus sûr moyen de ne pas oublier ce qu’il m’a dit à l’oreille : me
défendre d’être face à moi-même comme deux ronds de flan et ne pas lui défendre
de faire un doigt d’honneur aux aubergines et aux perdreaux ?
–
La
Fraternité, ce n’est pas une raison pour n’y pas penser
À l’origine,
qui ne s’appelait pas origine alors,
les choses de l’organisation sociale ressemblaient fortement à ce qu’elles sont
aujourd’hui, elles étaient à la fois opaques et très troubles, le monde était
d’autant plus obscur que les hommes ne parlaient de lumière qu’en des termes
fort allusifs, personne ne sachant vraiment de quoi il parlait, ni même ce que
parler pouvait vouloir dire. Faute de comprendre ce que le mot lumière désignait, ils ignoraient qu’ils
vivaient dans les ténèbres et visiblement, si je puis dire, s’en arrangeaient.
Ils ne savaient pas, de ce fait, ce qu’était un visage ni ce à quoi ils
ressemblaient, et quand ils guerroyaient c’était à l’aveuglette, trucidant au
petit bonheur la chance. Le partage de la communauté de destin ne les empêchant
d’ailleurs pas de supposer qu’il y eût de la fraternité quelque part, la chose
n’était pas coûteuse. Pour qu’ils fussent vraiment frères et sœurs il eût fallu
quelque chose comme une matrice, ce qui en l’état actuel de la connaissance
continue de rester des plus hypothétiques. Avouons-le, l’origine, c’est-à-dire
ce que nous y cherchons, est une hypothèse. Que l’on fasse comme s’il y en
avait une — une origine — ou comme s’il n’y en avait pas — d’hypothèse —
n’empêche pas les similaires humains de se massacrer comme s’ils n’étaient pas
frères, ce qui ma foi ne rehausse pas peu leurs traits communs. Cette
communauté ne les a jamais encouragés que ponctuellement à accepter que la
fraternité soit une variable d’ajustement.
À
l’origine, qui ne s’appelait pas encore origine
l’obscurité se fractura et laissa entrer la lumière. Euréka, ou alors alléluia,
sinon Big Bang, l’homme n’eut plus l’excuse d’aller par mégarde dans la couche
de son frère, encore moins de forniquer avec sa sœur pour peupler la terre. Tout
était à revoir, et c’est pourquoi ils substituèrent la parole au grognement, ce
qui ne se fit pas du jour au lendemain ni sans mal : qu’est-ce qu’un
ventre maternel ? Un frère ? A fortiori une sœur ? Mieux
encore : ces père et mère qui les dispensaient de bien des casse-têtes,
qui étaient-ils, quels crimes n’avaient-ils pas commis, eux aussi ? Avec
la lumière s’ensuivit l’invention du miroir et, promu par le lancinant souci de
la marâtre de Blanche Neige ("Miroir, miroir en bois d'ébène, dis-moi, dis-moi que je suis la plus belle "), le succès du film de Walt Disney
auprès des tendres rejetons. Perdant insensiblement ce que le mot obscurité avait désigné, ils
s’accoutumèrent peu à peu à ce que la lumière totale dans laquelle ils vivaient
devînt le retournement des antiques ténèbres, ne craignant que du bout des
doigts qu’un jour, à son tour, elle ne se fracturât. En ce sens qui est n’est
que celui de l’hypothèse susdite, il pourrait n’être d’origine que devant nous.
–
L’obscure limpidité
Et tout à coup m’a pris une
incompréhensible colère, une rage indescriptible sans cause apparente qui
n’était imputable à personne et qui ne s’adressait à personne, une pulsion
d’emportement comme celle qui fait les grands crimes : une colère pure. J’aurais
pu les démolir, tous ces temples de l’esprit. Il ne me manqua que de hurler,
mais ça c’est parce que je n’ai jamais pu ou su joindre le cri au geste. Si
j’avais eu du cri en moi, ç’aurait été comme crient les banquises. Une de ces
choses venues des fins fonds des pôles que seuls connaissent les possédés. Les
dépossédés, eux, ce n’est pas ça. D’abord ils crient et font crier les leurs,
et puis ils s’attaquent aux plus exposés des monuments, ceux à qui on ferait
dire qu’ils sont historiques parce que leurs pierres sont déjointoyées, ce
faisant ils crient en l’air et ne parviennent à leurs fins qu’à force de
pichenettes. Je ne saurais témoigner de ce qu’est leur plaisir en ce cas. Le
plaisir c’est comme la colère, quelque chose de subit qu’on ne peut pas dire.
Si on le pouvait on le dirait, le problème c’est qu’on ne sait pas où est le
problème. L’imprécision de la raison, l’effectuation cristalline et son absence
d’agrégats, c’est en substance ce qui fait redoubler cette ire qui casse
souverainement trois pattes à un canard.
–
La Nuit du loriot
C’est une affaire entendue, nous n’avons rien de si impérieux à communiquer qui n’ait à maintes reprises été dit, les limbes de la communication non verbale recèlent d’autres aplombs, mais nous pouvons toujours revenir à la pluie et au beau temps qui, outre les tubes qu’ils ont inspirés, ne sont pas de sots sujets de conversation, d’eux notre sociabilité n’en finissant pas de dépendre. Et puis n’avons-nous pas toute latitude pour passer du coq à l’âne ? Le chas n’est pas si étroit, il y a place pour de belles digressions. Ainsi du loriot qui par cette nuit sans lune du 23 octobre est passé par l’antichambre. C’est la nuit qui l’a fait venir et c’est lui qui, prêtant à l’effet de revêtir la cause, met la nuit à jour dans la conscience. Il y a deux nuits, celle que confère le mouvement circulaire de la terre autour du soleil pour que les hommes puissent suspendre les impératifs diurnes et celle qui résulte de l’éclipse émise par leur inconséquence, le loriot apporte la première, efface la seconde.
–
De la concordance
— des gaz lacrymogènes aux gaz à effet de serre
—
J’ai sur ma table de chevet du papier et un crayon afin de griffonner mes derniers sursauts de langue avant de céder aux bras de Morphée, chose d’ailleurs fort rare, préférant ordinairement abandonner sur le champ ce que la nuit de toute façon se charge d’effacer, quand bien même je me le serais répété cent fois. La raison en est que pour ne pas gêner Dan en allumant il me faut écrire « à tâtons » et que de toute façon, à ce moment-là, j’ai la flemme. Au saut du lit, des mots redevables à l’automatisme psychique viennent aussi m’interpeller, mais sans aucun rapport avec ce que je m’étais promis de retenir quelques heures plus tôt.
Dans la nuit d’hier j’ai cependant pris l’« à tâtons » à deux mains et ai écrit : « Ne pas confondre être entassé les uns sur les autres et se serrer les uns contre les autres », ce qui à brûle-pourpoint n’est pas forcément des plus évocateurs. Je pense que ce qui m’était venu à l’esprit c’est que dans la déplorable situation mondiale qui est la nôtre actuellement je ne voyais d’autre alternative que de se serrer les uns contre les autres, un peu comme on dit se serrer les coudes, ou tout bonnement pour solidairement faire corps, je rappelle que j’étais déjà dans un quasi sommeil. La veille ou l’avant-veille, toujours « à tâtons », j’avais écrit « Ce qui est fou est flou ». Rien à en dire, il suffit que l’activité cérébrale du soir invite.
–
In p’tit prout
Avec lui — le mot, non la chose —, nous
entrons dans le monde litigieux des évocations bruyantes et odorantes, aux
antipodes de la bienséance, sans parler de sa morphologie onomatopéique qui
nous ramène au temps des colonies de vacances si profus, l’heure de la sieste
venue, en déflagrations et détonations diverses, et pour ne rien dire de la
communale où le coupable était toujours le premier à affecter une indignation
censée l’innocenter. C’est pourquoi j’affirme que ce mot d’enfance, d’enfance
de la langue tout autant, est un mot poétique savamment observé. La contiguïté
gutturale des « p » et « r », suivie du glissando ad
libitum du « ou » aboutissant à l’irrévocable « t » est
millésimée ; c’est que « prout » n’est pas « proue »
qui moins modestement fit le nom inversement suggestif d’une revue de poésie
qui pour rien au monde n’aurait lâché Médor.
Envisagé sous l’angle de la broutille, « prout »
est non seulement acceptable mais également affectueux quand une locution comme
« min p’tit prout » s’y prête ainsi que je le présume et malgré le
silence des dictionnaires à ce sujet. Pourtant, quoiqu’un mot n’ait jamais été
qu’arbitrairement le signe de la chose, celui-ci est le type même du mot qui,
prononcé lors d’agapes, vous jette un froid durable. La table est plus sûrement
l’occasion de petits mots mis dans les grands, de mots qui délimitent les
genres, de mots qui fédèrent les joyeux drilles ou au contraire qui auront eu
le temps d’attiser les occasions de se prendre aux cheveux avant le
dessert ; mais la sensation olfactive que notre « petit p... »
véhicule à son corps défendant reste plus prégnante que l’odeur qui, par une
malencontreuse échappée, s’immiscerait dans les conversations.
–
La Langue et moi
Il y a évidemment des enjeux
politico-linguistiques derrière tout ce que nous écrivons et publions, et il
m’arrive de sentir passer sur mes pensées la turbulence produite par cette
tectonique des plaques qu’on voudrait nous faire croire d’opposition entre anciens
et modernes, classiques et avant-gardistes, hommes et femmes, occidentaux et
orientaux, et qui m’abuse d’autant moins qu’il ne m’est pas permis de me
dispenser d’être tour à tour ici et là et tout à la fois, points de friction
inclus.
Comme il ne m’est pas loisible de me
départir de la complexité du monde des langues, je crie : « Trou la
la itou ! » à quoi j’ajoute « You kou tra la la ! »
compréhensibles dans toutes les langues.
–
Le Dit de l’appétit
Le fait est là,
faire sa vie c’est comme en cuisine, et ce n’est pas pour rien qu’on y passe
tant de temps : faire comme on peut avec ce qu’il y a dans le buffet.
Ce n’est pas le
sentiment d’échec retiré de la chose ratée qu’il faut interroger — avec un peu
de goût on arrive à faire des ratages de succulents ratas —, c’est au contraire
la violente conviction d’avoir réussi quelque chose qui blouse le simple
contentement.
Bien sûr, s’il y a
trop peu on va faire les commissions avec ce qu’il y a dans l’escarcelle, quand
bien même le pécule n’y serait que ce qu’il est. Et comme le temps de cuisson
n’est pas infini, on se garde d’oublier ce qu’on a mis à cuire et quand on l’a
mis à cuire.
Que la chère,
alors, ne soit pas triste ! Que le contentement soit simple et le goût
savoureux !
–
À toute chose bonheur est-il si néfaste que ça ?
L’homme n’est pas un animal, ou s’il en est
un — on peut toujours rêver ! — il n’est pas un animal comme les autres,
au contraire du mille-pattes qui est un
animal comme le dindon est un animal, du bulot qui est un animal comme
l’orang-outan est un animal ou de la tique qui est un animal au même titre que
le pékinois.
J’en déduis, faut-il être gamin ! que
le cachalot n’est pas son frère en cannibalisme.
–
Un mot pour un rien
Ce qui, pour d’évidentes raisons de
méconnaissance, ne peut être nommé et que les hommes aiment à personnifier
(Dieu pour les intimes) n’appelle rien, ni de croire (de croire qu’il est lui) ni,
subséquemment, de l’aimer.
L’Incognoscible n’a de figure d’empathie
pour les hommes que dans la mesure de leur puissance de subjectivation qui est
infinie : le loup y vaut l’agneau, le bourreau la victime, le pervers le
saint, le vivant le vivant. Sans distinction et sans jugement.
Ce qui ne peut être nommé ne vaut qu’à
faire langue.
Chez les Agosils (septembre 2019)
AU-DELÀ J’Y SUIS J’Y RESTE
... ce monde s’est assoupi avec acharnement
... où il
apparaîtra suffisamment vite que ce qui nous importe, nous qui atermoyons
coquecigrues et ratiocinations, c’est de faire cavalier seul pour ne rien dire.
Nous ne prétendons pas tirer notre épingle de la botte de foin en ne nous
joignant pas à la cohorte des bons et loyaux diseurs d’aventures, quoiqu’il y
ait deux façons indémêlables de ne rien dire : la façon poétique et
l’autre, non moins poétique mais ravalée, comme la colère, comme le glaviot,
comme le loriot de la galère.
–
... en
voiture avenue de l’Hippodrome, je rentre à la maison. Il pleut. Avec son
trafic routier en tous sens, Lille, Lille ville natale, Lille tourneboulée,
pléonastiquement conforme à toutes les villes et à la périphérie de laquelle je
demeure, n’en finit pas d’être, ne nous hasardons pas à dire : challenger.
Au fil du temps, ses rues congestionnées, barrées, déviées sont devenues trop étroites.
Y stationner se fait au terme d’aberrants tours et détours. Les garages des
maisons particulières n’ont plus ce qu’il faut de largeur pour garer autre
chose que des tondeuses à gazon... L’aberration pouvait être rationnelle ou ne
pas être, elle l’est. Ah, mince ! j’aurais pu profiter de cette place de
parking pour rapidos aller acheter des fleurs, loupé ! l’hypercirculation m’en
a retenu. La conduite automobile s’applique à l’art de haute volée à quoi
Renault, Peugeot, BMW, Ford, Volkswagen, Audi, Nissan et tant d’autres apposent
leurs marques de noblesse. Conduire ou écrire, il faut choisir. Si j’avais pu,
j’aurais écrit : « on devrait partir plus tôt ». Ai-je senti
qu’une fois rentré je l’aurais oublié, de même que ce à quoi engageait « on
devrait partir plus tôt » ? Mais peut-être est-il temps, enfin, que
je me présente, je ne l’ai jamais fait jusqu’ici et, face à la prémonition de
ma disparition, je me rends compte que pour quelqu’un qui aurait pu faire
carrière, carrière... sans rire, la négligence allait être de taille. Je
m’appelle Guy Ferdinande, je suis né le 2 février 1950, ce qui me fait
soixante-treize ans, français de nationalité sans que j’y sois pour quelque
chose, retraité, habitant à Lompret (commune huppée de la banlieue lilloise) dans
une maison qui glougloute des borborygmes. Je n’ajouterai pas que ne suis pas
sorti 1ère classe à l’armée, que je n’ai obtenu ni le BEPC ni le
baccalauréat, que je ne suis pas vacciné... Que n’ajouterai-je pas
d’autre ? Que notre maison n’est pas hantée ? Nous sommes le 26
janvier, et toujours la pluie. La nappe phréatique lui en saura gré.
–
... cette
porte qui donne sur le monde des autres n’attend pas qu’une clef, elle requiert
aussi la préscience de l’événement originaire-légendaire campé loin derrière
elle ; c’est toujours comme cela qu’on cherche ce qu’on ne trouve qu’à
demi. Ce n’est pas qu’on ne puisse pas déceler quoi que ce soit d’instructif,
d’éloquent, nous savons bien que l’objet cherché n’appelle ni claquement de
doigts ni euréka, seulement sa reconstruction imaginaire. Faute de porte, on
pourra toujours ouvrir la fenêtre, la ténébreuse clarté passée à la limpide
obscurité diffusée de façon voilée accordera la joie de danser devant ce large
buffet sculpté de chêne sombre, si vieux en effet.
–
... œillet de poète (Dianthus
barbatus) et souci des champs (Calendula arvensis) ne se concertent pas
pour délivrer au poète une condition, ni non plus pour l’en soulager. Comme
celui du fou de ne pas être fou avec tous, le souci du poète (quand bien même
la poésie par tous) n’évince pas la déraison, l’invite.
–
...
s’élever, maître-mot de toute aspiration, se dépasser, cultiver de la grandeur
comme si c’était du blé, devenir grand — plus grand — prendre de l’épi, de la
hauteur. C’est ainsi que, se hissant sur ses deux pattes arrière, le quadrupède
se fait homme, ou bipède, costaud du bestiaire, malabar des deux hémisphères,
la suite n’incombant plus qu’au vertueux exercice d’élongation quantique devant
exhausser la verticalité. Tout le convie au sommet, l’invite des remonte-pentes
au va et vient zélé notamment, car l’esprit réchappé des vices de forme de la
matière, des vicissitudes du vulgaire et des abjections qu’elles enfantent, est
émanation des cimes. C’est un fait que personne n’a jamais cherché à diminuer
ou à rapetisser que sous l’emprise d’une inclination morbide. La petitesse est
antinomique de la multiple splendeur où l’âme se concrétise, la petitesse comme
son nom l’indique est minuscule, mesquine, débilitante, médiocre,
insignifiante, pas même amie de l’insignifiance car l’amitié est un sentiment
trop haut pour elle : plagiaire de l’insignifiance.
–
... mon
bureau n’est pas le point culminant de la maison, le point culminant, qui doit
d’ailleurs être celui du village, c’est la chambre. C’est à l’ombre du point
culminant (à l’étage en dessous) qu’il se situe. Pousse la porte, je t’en prie.
Dans mon bureau, tu vas trouver des revues et des recueils de poésie, des
livres de philosophie, des romans français, des romans américains, des romans
anglais, des romans russes, des biographies, des ouvrages sur la peinture et
des dictionnaires. Dans mon bureau il y a aussi des vinyles, des CDs, des
K7audio et d’anciennes bandes magnétiques : musique baroque, musique
classique et musique moderne ; des vinyles, des CDs et des K7audio de
rock, de pop, de blues, de jazz, de chanson française et de musiques du monde.
Également, ici en VHS et là en DVD, des films français, des films américains,
des films anglais, italiens, japonais, iraniens. Dans mon bureau qui est
davantage un atelier qu’un bureau se trouvent les textes que j’ai écrits et les
poézines que j’ai publiés, aux murs et dans des cartons mes dessins et
collages, d’autres cartons encore de journaux, d’albums photos de nos soirées
de lectures. Dans cet atelier qui ne doit être mon bureau que dans la mesure où
il est le plus beau des fourbis il y a des instruments de musique qui veillent
sur la musique que je n’ai jamais jouée, des bibelots, des souvenirs. Des
souvenirs dans l’insignifiant au-delà de mon souk, tout y est...
–
...
au-delà du plat dans lequel je mets les pieds, dès que les copains de la
neuille se mettent à se crêper le chignon, il y a le four. En respectant
scrupuleusement le temps de cuisson, un gratin de pieds, de porc, de grue ou
simplement plats, est un mets de roi. En casserole c’est beaucoup moins bon,
évidemment ! rien de tel qu’un bon grand plat émaillé ! Il fut un
temps où j’aurais pu me soucier de la raison des si habituels pugilats de ces
lascars mais c’est fini, j’ai compris que ç’aurait été comme mettre la charrue
avant les bœufs. Pour s’en abstenir et peut-être aboutir à une trêve, d’aucuns
auraient été prêts à faire demi-tour, ignorant que le sens inverse ne renverse
ni la vapeur ni ce qui ne tombe pas sous le sens. Mais les frangins, eux,
préfèrent se tomber sur le paletot, et comme le monde refait surface
alors !
–
... si je
n’avais été si ambitieux, ou si peu ambitieux, à vrai dire j’ai oublié ce que
je n’ai pas été, ma méditation, c’est ainsi que je l’appelais, aurait pu
déboucher, voire aboutir si une idée de destination rencontrée chemin faisant l’avait
accompagnée. Même une mauvaise route, même une mauvaise idée — mauvaise fortune
contre bon cœur, dit-on — auraient fait l’affaire. Si ma méditation avait assumé
la méditation sans rime ni raison qu’elle était, ou sans envers ni endroit, ou
sans enfer ni paradis, et même sans langue française, une méditation à mains
nues à laquelle ne manquaient pas les mains, elle aurait accepté d’être
manchote. Mais là, sans les mains dans cet oubli, il n’est resté d’elle que sa
nudité toute riquiqui, toute menue.
–
... cela
fait très longtemps, très longtemps, et même plus, que nous attendons de la
vieille métaphore une lumière papier hygiénique qui dira que la partouze au
goût de cendre a meilleur appétit que bon dos, elle qui nous écarquille les
yeux, pauvres de l’âme que nous sommes, quand la lumière remballe ses
mirobolantes myriades. Aussi nous ne nous risquons plus à mettre dehors ce nez
que l’on crut creux et qui ne le fut jamais que quand il dit : « Encatanés
de tous les pays, tirez les premiers ! » Mais, n’insistez pas, il ne
l’est pas ! S’étant fait fort de décréter la mort du coup de dés face aux vers
peu reluisants de la recluse, la vétille met maintenant son phore où le cœur
n’est de mise que pour faire écho à la sourdine. La source, concierge du
mutisme océanique total, ne se jette pas à l’eau. Et nous, à croupetons dans
notre conscience, nous restons suggestibles comme les loups à l’orée du bois.
–
... on ne
devrait jamais dire « on fait ce qu’on peut », cette excuse qui solliciterait
vite une sorte d’apitoiement mais qui n’en prête pas moins à sourire a au fond
ce quelque chose de bovin qu’elle dénie. « Je fais ce que je
peux » où le degré zéro du dire vrai. Quand j’en viens à me dire que je
fais ce que je peux c’est que dans les minutes qui suivent, soucieux de faire
plus que ce que je peux, je vais me faire un tour de reins ou un de ces trucs
genre coccygodynie ou tendinite de l’aine qui prennent des années avant de se
remettre. Il n’y a évidemment pas qu’au physique qu’on aimerait être capable de
faire davantage que ce qu’on peut. La possibilité et la puissance sont
incommensurables. Voler un œuf ne se paye pas d’euphémisme.
–
... nous
sommes dans un film. Indépendamment de l’indécidabilité générale entre rêve et
réalité, ce film tour à tour réaliste et onirique est réel. Pourquoi un
film ? Pour camper cette matérialité à l’œuvre là où nous comprenons si
mal les choses, entendez là où nous sommes. Pourquoi réel ? Parce que
c’est, dans la mesure de cette matérialité, un film dont nous ignorons tout de
la production, du script, de la réalisation et du reste. Où sommes-nous ?
Nous sommes là où nous avons la perception de ce que nous sommes, dans le film
naturellement, avec une langue arbitraire, mais pas seulement car si nous
sommes les malélocutionnants, les malparlants, nous sommes aussi les
malvoyants, les malécrivants, les maldessinants, les malbaisants, les durs de
comprenure, les durs à cuire de la feuille de vigne, les insomniaques, les
malguéris, les malvivants... Film où il fait tantôt chaud, tantôt froid et
tantôt conjointement torride et glacial, c’est dire si l’irréconciliation des
pôles tient la route. Quelle dérive aurait pu suivre un pays où il fait
toujours beau ? Ce beau pays a fui avant que la question ne se pose. On
peut toujours déblatérer et c’est pourquoi, nous les approximatifs,
malfigurants, malreconditionnés, malrecyclés, nous déblatérons en marchant à
petits pas, ne souhaitant même pas être lus pour ce qu’en toute ignorance nous
sommes si peu.
–
... 31
janvier 2023, tout à l’heure la France va manifester son opposition à la
réforme des retraites. Le soleil qui pointe le bout de son nez grossira-t-il le
nombre de participants que la précédente manif, déjà importante, compta il y a
quinze jours ? Oui,
répondront en fin de journée les chiffres du Ministère de l’Intérieur, ce qui
n’augurera en rien d’un infléchissement de la détermination gouvernementale,
nous le savons. Faudra-t-il alors que le nombre de manifestants passe à trois
millions à la mi-février ? Non, trois millions de manifestants ne
suffiront pas. Que faudrait-il, combien de manifestants faudrait-il, pour faire
une masse suffisamment incidente ? Six millions ? Certes, six
millions de Français constitueraient une coupe suffisamment pleine pour que le
Ministère des Forces de l’Ordre sorte ses fanatiques. C’est certain, arrivé à
ce nombre — à ce chiffre dirait la presse — la répression relaierait la mise en
abstraction libérale trempée dans l’huile prétextée par Macron, Borne,
Darmanin, Martinez, Véran, Chabanier, Pannier-Runacher, Berger, Roussel, Bergé,
Rousseau, tous noms mis en exergue de ceux, politiciens agréés, chargés de
vider le pot de chambre. Mais pour l’heure, tout est tellement vague que ce que
j’en dis c’est seulement pour causer. C’est qu’ici on ne parle pas pour dire,
on sait bien que les diseurs ne sont pas les payeurs. À toutes fins utiles on
pourrait encore esquisser un dit pour s’entendre parler — parler est si peu
dire ! — parler pour tenter le coup, pour jauger, voir venir, s’aventurer,
oser la fraternité, l’amitié, comme du temps du fond de la classe : pas
pour dire. Mais
non ! des masses pop à la messe non moins pop, il ne reste que la
désespérante consolation de communier dans le doute induit qu’elle ne soit
dite. Que faire alors, continuera d’interroger Vladimir Illich ? Pour moi
qui étais tenant que l’on parlât pour mettre son grain de sel dans le plat,
vivre sans partager son petit grain restera chose tellement insensée que j’en
disparaitrai, j’en suis disparu déjà.
–
... la
révolution appelée de nos vœux n’est jamais bien loin, n’a jamais été bien
loin, n’attendra rien pour n’être jamais aussi proche.
–
...
l’inexcusable babillard ne s’insupporte pas d’obtempérer aux tempêtes qui dans
l’innervation font leur charivari maisonné. Il faut ce qu’il faut, a dit
l’Ancien après avoir suffisamment rançonné la mansuétude des tournesols – le
deuil des primevères aussi, naturellement cher Francis Jammes ! – ce qu’il
eût fallu c’est, bris selon bris, déconstruire l’ordonnancement du décorum. Ce
filet de langue ressorti de tes campagnes battues jamais conquises, jamais
vaincues, tu le files comme cela s’entend avec la peau du tombak, en charnelle
incantation.
–
... la vérité en poésie, entre fil du rasoir et fil de l’eau comme entre
guerre et paix, comme entre ce qui coule de source et ce qui coupe de source
sûre, en deux mots : entre deux. La poésie, ses mots, ses entremots, on
ajoute « à la vie, à la mort ». Foin d’alarmes cependant, la vie
aussi c’est entre la vie et la mort, entre ce qu’elle est et ce qu’elle n’est
pas, y allant même de toutes ses forces « le plus tard possible ».
Tenue, tendue par la vie et tirée, soutirée, par ce qu’elle n’est pas, la souricière
en sous-main. S’il n’y avait pas de vie, la mort ne te tirerait pas obstinément
par les pieds, la poésie en vérité n’est ni entre poire et fromage, ni entre
les deux mon cœur balance, c’est entrenous. Dire de quel objet précis je te
parle au fond ? Ta question est bien indécidable. Des heures entières nous
avons longé les vieux chemins de halage, nous les longeons encore, les
souvenirs ne nous pressent pas, « nous avons le temps », comme on
dit. Dans sa prévenance un esprit des eaux les retient de nous rattraper.
–
... si les
causes de déception n’ont pas manqué, elles sont dorénavant désactivées, la
résolution du chou blanc qui eût pu faire croire à la frustration a fondu dans
son autocuisson. La prétention de l’insatiable actualité d’ajouter son écot à
la déroute, l’excuse était belle pourtant, a fondu elle aussi. Toute lassitude
bue, la disparition de l’insolence des choses est tenue au basculement. Eau
cette neige dont la fonte se revendique ! Mais comme rien n’est
incompréhensible que l’absence d’interlocution (on se rappelle que, du temps où
perdre son temps rendait sourd, c’est le plombier de Fernand Raynaud qui
trouvait à qui parler), il faut laisser à l’équivocité du sujet le soin de
faire son deuil des ecchymoses de l’image narcissique.
–
...
d’abord introduire, ensuite développer, et puis la chute (chuter ? en tout
cas se réceptionner, retomber sur ses pieds voire, pourquoi pas, boucler),
est-ce que ce schéma en forme de saut qu’on dirait périlleux s’applique à toute
chose ? Mais de quoi est-ce que je parle, au fait ? De l’expérience telle
qu’elle prête à confusion ? De la vie telle qu’elle donne à penser ?
De la vie telle qu’elle se prête ou se donne à vivre ? On a beau dire
qu’on ne fait qu’entredire, on ne devine pas tout. On cherche, dit-on, mais
cherche-t-on vraiment ? Chercher c’est un métier. Et s’il arrive qu’on trouve,
par exemple le mot qui tombe pile-poil, ce n’est pas parce qu’un sacro-saint pot
aux roses a mis les pieds dans le plat, c’est tout bonnement parce qu’on s’est
lancé et que se lancer c’est convoquer. Trouver, mot trop grand, trouver une
pépite n’implique pas de trouver un filon. Du point de vue du filon, qui entre-trouve n’entrouvre
aucune veine. 5 h 00 du matin, est-ce se vider de son sang qu’entre-trouver et
entrouvrir boulottent ainsi ma déambulation idéale ?
–
... que des
silences en disent long, qu’ils soient évocateurs ou trompeusement parlants,
quel héliconiste en a jamais douté ? Depuis la lapidation d’Étienne on sait que
parler comme on respire aux toupies, aux oreilles des murs, à toute girouette
dissipée, a un coût. Être silencieux pour en faire entendre plus ne disculpe
pas. Les silences parlants sont ce que nous leur laissons dire et, comme nous
nous gardons de nous plaindre, ils ne disent pas ce que nous dirions à leur
place. Sur l’autre rive, des voix blettes qui sollicitent, elles aussi, l’accès
au chapitre ; rien qui contrevienne à la procédure courante pourtant. Et
puisqu’au silence Bobin à qui je dédie ces brimborions ajoute la présence, il
faut redire que les farfadets entrent toujours en scène — que quantité
d’absences sont des leurres. J’ose imaginer que Bobin ne l’aurait pas contesté
mais il est utile de se prémunir contre tout éblouissement, contre toute
transcendance lardée de migraines : je me promène dans la nature,
au-dessus de moi un rouge-gorge chante, une feuille tombe en tourbillonnant et
voilà qu’une grandiloquente présence transfigure ma perception jusque-là
négligente. Maintenant que je n’attends plus de la source qu’elle se jette à
l’eau, suggestible comme le loup à l’orée du bois, j’acquiesce à
« autosuggestion transcendante », oxymore de ce clair matin.
–
... ruines
du monde, s’y croisent les mouvements contraires ou ondes froides avant la
fermeture des portes. Ce sont ces mouvements contraires pris pour des corps
dont la réflexion dans l’ordre du visible est nulle qui composent, parfaitement
vectorisée, la péremption. La nuit on restaure l’ombre que fait la souffrance à
l’unité ; le jour nul n’entend, ne voit, ne parle, ne comprend « de
la même façon », autrement dit la même chose. Au grand dam de toute pensée
réfractaire, la réverbération de notre visibilité sur la réverbération de
toutes les visibilités devient présomption de fantômes à la sortie du cimetioche.
–
... il ne
s’est rien passé, tu n’as pas vu la ruine du monde changer fondamentalement de
place, nos latitudes sont ses latitudes, aucune nature morte n’a perdu de son
éclat vespéral, l’ombre sait toujours ce qu’elle doit à la lumière, l’hiver ce
qu’il doit au printemps, le bruit ce qu’il doit au silence, le fruit ce qu’il
doit au ver, la guerre ce qu’elle doit à la paix, Satan ce qu’il doit à Dieu,
la duplicité ce qu’elle doit à la droiture, la corruption ce qu’elle doit à
l’intégrité. Rien ne doit rien à rien, la moralité des uns et l’immoralité des
autres se doivent tout, si tu n’as rien vu, tu n’as encore rien vu.
Chez les Agosils (octobre 2019)
... ai-je
dit qu’il aurait fallu un fil ? Un de ces vieux fils qui traînent derrière
eux un résidu de souvenir, une possible évocation ou qui, éventuellement pris
par le bon bout, peuvent encore provoquer un relent, convoquer la bonne
évocation ? Ça pourrait être tout moi, en effet, déjà que je n’arrive pas
à trouver les livres que je cherche dans ma bibliothèque, comment trouverais-je
les lignes qui végètent dans ma mnémotête ?... Allez, chers Gaston Criel,
Michel Ohl, Armand Olivennes, Michel Valprémy, Louis François Delisse qui voyez
combien je n’ai toujours pas fini de bafouiller, c’est à nous, soyez les
bienvenus. Puisque nous sommes entre nous, je suggère que nous laissions de
côté tous protocole et considérations sur les choses névralgiques dont vous
n’avez pas entendu parler et en venions à nos moutons. Nous nous sommes
entendus sur le fait que l’écriture, puisque c’est elle qui prétexte ici, se
distingue de celle qui assume le nom galvaudé de littérature, nom qui,
s’il fallait le garder, ferait appel à une acception plus charnue que ce à quoi
l’inconsistance marchande le réduit. Je n’oublie pas que cette outre-écriture
placée au fronton de mon fabularium depuis votre départ, vous l’avez conçue de
vos mains sans boule de cristal, que l’addenda des chroniqueurs, des critiques
et des philosophes aurait pu la combler de motivantes considérations qui
auraient promu la diffusion. Mais ce n’était pas vraiment le but, même si...
Pour l’heure, au nom de la sourdine historiale qui est la nôtre, je vous remets
les clefs du Prime Abord sans fin sous l’égide duquel nous nous
trouvâmes et que dessert le fil constricteur qui n’en finit pas de tenir serrée
autour de cette table notre assemblée d’antan.
–
...
l’important serait, sera, de continuer de se parler, de continuer à ne pas se
comprendre même, voire d’apprendre à moins en entendre, et de ne pas désespérer
des dernières gerçures que l’esprit percevra dans le ciment des campanules.
–
...
alors qu’une main gauche eût pu tendre au sein qui fait la caresse,
les
nuages que l’on voyait par la fenêtre se contentaient de passer. Les plus
proches, d’un gris léger, filant vers la droite tandis que derrière eux la
toile de fond des blancs faisait mouvement en sens inverse. Le va et vient se
suffisait à lui-même. Aucun rapport direz-vous. Les nuages passent comme moi je
ne pense pas, ou comme moi je pense que je ne pense pas, ou alors comme je ne
sais pas à quoi je pense. Allez-y, les nuages ! J’arrivais au terme d’une
journée occupée à ne pas trouver ne fût-ce que l’ombre d’un premier mot.
Occupée, mal occupée. C’est ça aussi l’écriture et, quand c’est ça, le résultat
est ce que tu es en train de lire ici. Même le mot vide dut être
suffisamment superflu pour ne pas me venir à l’esprit. On n’imagine pas les
hôtes des émissions TV apothéotiques où les Belles Lettres
lècheraient le gras du cornet de frites avec ce genre de souci. Ils viennent
avec les réponses aux questions qu’ils attendent qu’on leur pose, le firmament
de leurs pensées n’attend pas d’être trait pour trait le reflet d’un accord
parfait, il accueille plus volontiers la billevesée. Ce sont les plumitifs du
théâtre à machines de Jean-Baptiste tentés de dire qu’un rimailleur sachant
musarder ne rimaille jamais sans sa muse. Trouve le sein.
–
... le
monde des hommes jadis labellisé par les croyances et les connaissances est
devenu un igloo de glace et de feu. Il suffit d’approcher la main pour le
sentir. Avec le dérèglement climatique, le pilonnage du martyrologe planétaire,
les pollutions, la faim, la dernière pandémie en date et le capharnaüm de
toutes les misères, tandis que le sol de la raison se dérobe sous son lent pas
à pas, celui sur lequel se sont érigées les villes est devenu instable et c’est
pourquoi les maisons ont commencé à s’effondrer. L’invariant est mort, un
inexorable tremblement de la pensée en fait foi. Je ne scrute pas le ciel, je
n’écoute pas la radio, je perçois confusément les voix innombrables de ceux qui
crient qu’ils ne comprennent plus rien. À peine rescapée des dix plaies
d’Égypte leur langue déglutit la conjuration du ciel et du fiel.
–
...
ça m’a pris le lendemain ou le surlendemain, après qu’il m’ait dit qu’il
fallait bien que ça arrive un jour. Pourtant, bien avant, je n’avais déjà pas
été sans flairer une faille dans sa façon de diagnostiquer, j’aurais eu beau
jeu de lui renvoyer la balle, mais je ne l’ai pas fait. On compose avec ses
échecs, les échecs n’ont d’issue qu’à être ce qu’ils sont, le monde vivant n’en
demande pas plus. Au contraire, je me suis senti curieux. Et c’est curieux
comment en ce cas la curiosité, en effet, peut se substituer à l’inquiétude. Ça
a commencé avec les jambes devenues cotonneuses ; ensuite, en adéquation
avec les jambes, la tête, elle-même fonction des vertèbres, a suivi. Une
question de verticalité, de centre de gravité. Au lit, une inflexion
sensori-motrice s’est fait sentir au niveau des bras : où les
fourrer ? Quelle que soit la place que je leur dénichais ça me tirait, ça
ne leur convenait pas. Ah, ma chère vieille amplitude, par quel besoin, peu à
peu, de me recroqueviller, de me rabougrir, de me ratatiner, d’être dans mon
ratatin comme dans un lit bien chaud, loin de tout superflu, de tout bavardage,
de toute ébriété, être dans mon là et y demeurer. Mais pour pouvoir y être il
faut pouvoir y entrer, rétrécir, se racornir, et pour y parvenir sécher, sécher
sur pied comme le vieux chou miséricordieux des contes qu’on arrête de
rapetasser, auquel on donne quartier libre. Mû par une outre-force je me suis
enroulé sur moi-même au point de devenir circulaire. Pauvres civilités si
empêtrées dans un lointain décorporé, dans leurs feux de tout bois, qui
n’imaginaient pas ce qu’est se dessaisir de la quadrature de l’être.
–
... les
mots sont comme les animaux, à tel point qu’il serait tentant d’écrire animots.
Entamant ce que vous avez projeté d’écrire, vous attrapez par le colback un anima
qui ferait l’affaire, vous le pesez, le mesurez, le retournez en tous afin de
voir s’il ne détonera pas, si animots et animus l’accepteront. Pour aller dans
le sens du poil il n’est pas nécessaire qu’il se présente nu, d’autres à
écailles ou à plumes se sont insérés sans difficulté. Cependant, comme les
bêtes, les animots se combinent en dociles animots domestiques et en animots
sauvages, indomptés. À condition d’être prudent, on peut toujours entreprendre
d’amadouer ces derniers, leur sauvagerie sera très vite fonction de la relation
que vous établissez avec eux. Outre qu’il n’est pas rare que les animots
domestiques mal tenus en plume tournent casaque. Prudence toutefois, aucune âme
charitable ne manquera d’y aller de son antienne pédagogiste. En écriture, qui
n’aimerait déconner plus qu’il ne déconne, qui n’aimerait considérer le monde
avec une ironie farouche, ne pas se laisser embringuer dans le laborieux
secrétariat de l’âme, prendre les choses de façon différée, passer à un
néo-dadaïsme combiné à un post-surréalisme, à un pro-lettrisme et à un pan-oulipisme ?
Nous pouvons nous souhaiter de douces choses tant que nous voulons, ce ne sont
que courtoises civilités. Loin de nous de laisser entendre qu’elles n’ont pas
leur importance, nous sommes un peuple après tout, seulement que cette importance
est creuse. Nous savons bien le peu de poids de ce que nous pourrions laisser
tomber dans ce puits sans fond. S’il y avait un fond que l’on puisse toucher
nous y descendrions, mais comme il ne faut pas nous faire de dessin nous nous
abstenons de toute initiative inconsidérée et comptons les moutons avant que de
n’y plus penser.
–
... alors,
c’est vous les célèbres vivants, les vivants qui parlez aux vivants ?! Ah,
ah ! Et nous, les morts, à qui croyez-vous qu’on parle ? Au Pape
peut-être !... Avec leur perception des sons infinitésimaux, les
chauves-souris pourraient vous dire de quel rire nous rions. C’est un fait que
pour ce qui est de parler, vous êtes prolixes, mais vous entendez-vous ?
Vous êtes imbus de progrès mais votre surdité est consternante. Et affliction
pour consternation, nous ajoutons à vos dialogues de sourds et à votre
artillerie lourde l’affligeante myopie des taupes. Les ombres animées sur les
parois de vos galeries vous les balayez du regard et, indifférents au fait que
tout ce que vous lisez et écrivez sera illisible dans moins d’un siècle, vous
vous empressez de recommander le film à vos petits-enfants et
arrière-petits-enfants. Si vous saviez lire les signes, c’est-à-dire les
interroger, vous comprendriez que mettre du bitume sur du bitume, ce que vous
appelez maintenance, n’engage qu’à ce que plus rien ne circule :
vos véhicules sont des cages. Vous faites le choix délibéré de ne pas voir que
la terre ne tourne plus et donnez de la culture aux cochons pour leur
sucer l’os du pied.
–
... aux
heures d’affluence, il y a toutes sortes de mondes censés converger vers la
compréhension au fil des axes de grande circulation de la langue qu’il leur
faut emprunter pour aboutir aux autres. Tu dis qu’il faut que ça te
parle ! Je comprends... Moi, je n’ai pas de problème avec ce que je
m’entends te dire. On dit « ça roule » pour répondre à la question
« comment vas-tu ? » ou « tu vas bien ? », une petite
variation pour ne pas redire les sempiternels « ça va ! »,
« on fait aller ! », « ça marche ! », « ça
boume ! », « ça baigne ! » parfois même « dans
l’huile ». Tu imagines le patinage si on répondait « ça roule dans
l’huile ! ». Autant pédaler tout de suite dans les choumettes. Et
comme tout ça se croise et s’entrecroise sans avoir le temps de
s’entendre ! Les uns viennent par ici, les autres vont par-là, ensuite se
dispersent et se redispersent jusqu’à aboutir à eux dans l’infinitésimale
subjectivité où il n’est d’ailleurs pas dit qu’une bonne étoile leur parlera de
façon compréhensible.
–
... ils ne
seraient pas faits tant que ça pour s’entendre ? pour se comprendre ?
pour s’aider ? s’entraider ? s’aimer ? s’entraimer ?... Le
poète qui voit plus haut que le bout de son nez n’avait-il donc pas toujours
raison ? Quoi qu’ils se veuillent, ils n’en sont pas moins faits pour
s’agripper jalousement aux choses dont ils réclament la propriété et
revendiquer ce qu’ils estiment être libre de droits, pour s’encolérer, crier,
se détester, se déchirer, s’entredéchirer, se haïr, se détruire,
s’entredétruire, s’entretuer, s’accaparer ce que d’autres ont construit. Du
point de vue de leurs crottes, ils sont indécrottables, du point de vue de
leurs étrons ils sont indétrônables.
–
... c’est
vous, innervés de la meurtrissure et du plein emploi, énervés de Be-bop-a-lula
qui, après-guerre, avez dit : « Poussez pas, on arrive, on est
là ! ». On vous entendait de loin. Le choix ? Sans doute ne
l’aviez-vous pas tandis que le productivisme vénal labellisait déjà ses trente marrons
du feu. Délégation avait été faite aux machines de trafiquer des homoncules à
visages dociles. Longtemps durant personne ne prit garde à la confusion,
négligeant que la part du pauvre a un prix. À mesure que ce que l’on faisait n’importait
pas davantage que ce que l’on ne faisait pas, ces homoncules devinrent les
chiens des humanoïdes qui leur enseignaient l’aboiement. Je me souviens que
tout cela semblait vieux comme le monde !
–
Toute chose, depuis des temps immémoriaux, s’effondre.
... de la
porte d’entrée à la porte de sortie, seulement quelques pas, trois fois rien si
ce n’est cet avorton héraut des cent mille pelletées de cellulose requises pour
que resurgisse le vieil aède bayant aux corneilles sur son tas de feuilles
mortes. Qu’il n’y eut plus d’après, cela continue de faire écho aux oreilles
des malentendants. Dans la cambuse, j’ai entrepris de substituer le cri à
l’écrit, l’absence de double vitrage permet qu’on m’entende de la rue où
parfois un passant s’impatiente. Les villes délaissées ne savent pourquoi elles
ne se sont pas vidées de leur sang d’encre. Ce n’est pas parce que je lui dis
que j’habite un désert que le piéton ne m’entend pas. Ni lui ni moi ne sommes
chameliers et pourtant nous nous sommes parfois croisés. Le solitaire que je
suis, n’y est pas si seul. Il ne m’entend pas comme notre exode exsude les mots
perdus d’une pauvre mémoire où ma folie ressemble à la folie.
–
... le ciel
bas et lourd pèse comme un couvercle. Je n’ai pas envie de sacrifier au poème cette
nuit. S’il te vient que je n’ai jamais dû en écrire, c’est que tu as égaré ce
que je t’ai confié. Mais tu as raison, la précision commande de ne pas négliger
ce que la fédération du fleurisme doit aux fleurs du bon aloi. Qu’il se
présente vinaigre sur l’ongle ou wingsuit sur canapé, gardons tel quel notre
délire. Autant il fut raisonnable à une époque mortellement disciplinée
d’insuffler ce qu’il fallait de chambard pour ne pas sécher sur pied, autant il
serait néfaste pour soi d’ajouter du chaos au chaos. Il a suffi que l’ordre et
le désordre, l’attraction et la répulsion, la vie intérieure et le souk
mondialiste, tour à tour hostiles et solidaires, fassent tourmente de tout
bois.
–
... on
n’apprend pas grand-chose, ni à l’école, ni de ses père et mère, ni de l'irrécupérable mémoire, à peine quelques
titres de livres de chevet après dissolution. L’astreinte au blettissement de
la peau observée à son corps défendant ne s’apprend pas. Le filet d’air
convoyeur, son nom ne s’apprend pas : Charon. Le truchement du rapport des
signes acoustiques et concepts qui le constituent est fort peu différent de
celui de nos ancêtres il y a 300 000 ans. De ce qu’on m’a dit de retenir,
j’ai, d’une part, peu retenu, d’autre part bien désappris.
–
« Homme, souviens-toi que tu es poussière et que tu retourneras en
poussière » (Genèse
3, 19)
« Homme
libre, toujours tu chériras la poussière ! » (L’homme et la poussière)
... certes,
car la poussière sera infiniment recyclable. Elle l’est déjà. Avec elle nous
nous chaufferons, nous vêtirons, mangerons et boirons (l’eau de poussière sera
excellente alors), voyagerons, pêcherons le poisson poussiéreux, penserons
poussière dans une vallée de larmes poussiéreuses, aimerons en poussière la
femme empoussiérée, rêverons poussière, nous raserons gratis et si tout cela
fait beaucoup de poussière, cela fera aussi un beau pactole : asphalte, air du
temps, tricots de peau, jus de fruits, romans de gare, missels, bonnes pensées
du matin, justes causes, car bien évidemment nous continuerons à guerroyer en juste
désespoir de cause.
–
... par
contre il est très rare que la compréhension, l’entente, l’harmonie, la paix en
somme, ne reposent pas sur une insoupçonnable part de malentendu. On entend et
on voit comme on ne capte pas tout, comme on subjective à défaut de comprendre,
comme on fait comme on l’entend, c’est-à-dire comme on peut, au bénéfice d’une
part d’incertitude. La musique est imparfaitement affaire d’écoute, l’écriture
arbitrairement affaire de lecture, la peinture incidemment du ressort du regard, en art, œuvrant avec,
accrochée aux basques, une part décisive de déraison que d’insignifiants démons
s’arrogent sans vergogne, l’approximation déjouée porte le nom de science.
–
... c’est à
son élocution, à sa diction, à sa vocalisation, qu’on reconnaît celui qui sait.
Il aime à faire savoir que sous couvert de ce qu’il sait il a le droit de
parler. Ô son éloquence ! Déjà ça, l’éloquence, et la voix. Le cocasse, si cocasse
est le paradoxe qui convient, c’est quand d’aucuns, dont on comprend bien
« qu’ils savent », se penchent vers vous avec cette inimitable
humilité qui n’appartient qu’aux gens ayant longuement pratiqué la conviction
pour vous confier qu’ils ne savent pas. Que ne savent-ils pas ? Qu’ils
nous ressemblent ? Qu’ils sont comme nous ? Ils se gardent bien de le
divulguer, mais ce vilain petit secret vaut amplement acte de contrition.
–
... du blé
en herbe au grain à moudre, il y a, à croupeton sur une duplicité qui ne se
décline qu’en s’amenuisant, la vie provisoire, la vie labellisée par la
suprématie sacrificielle des notes intimes auxquelles on s’astreint sans raison ;
le titre qu’on leur donne et qu’exténue chaque mot ne se rhabille pas, il
babille tel ce fil retors qui se tord et se retord. D’ores et déjà la
liquidation des biens bat la campagne : mouron pour les p’tits oiseaux, toison
d’or des Mélisande, colifichets. L’assortiment des passe-droits, des idées
reçues et des révolutions n’a jamais manqué de bifurquer à l’ombre des micocouliers.
Héraclite d’Éphèse, lui, se mouche bien du pied. Le journal intime n’a pour
toutes lunettes de vue que des lunettes de soleil insubmersibles, de celles qui
dispersent la petite culotte des antiques effluves au soleil couchant. Le
tribunal des lieux communs à son silex, le grand luxe consistera à continuer de
se parler, à continuer au besoin de ne pas se comprendre. Ce ne sont pas
funestes brèches que ces ultimes fleurettes sur lesquelles nous sommes invités
à nous tordre la cheville.
–
... si avec ma Monkey j’avais vadrouillé aussi large autour de
Lompret (Longo Prato) que Bernard autour de Vaduz, j’aurais rencontré des Flamands, des
Wallons, des Artésiens et des Picards ; aucune lecture ne se serait
contentée d’une aussi mauvaise pioche. Pour pouvoir justifier de noms
autochtones rapportés de mon périple autour du nid d’aigle où je demeure, il
m’a fallu tourner serré. Suis le guide, c’est par ici !... Tout autour de
Lompret, terre d’écueils et de trouvailles, il y a des Verlinghemois, des
Pérenchinois, des Lommois, des Lambersartois, tout autour de Lompret il y a des
Frelinghinois, des Houplinois, des Prémesquois, des Capinghemmois, tout autour
de Lompret il y a des Andrésiens, des Marquettois,
des Wambrecitains, des Quesnoysiens, tout autour de Lompret il y a des Deûlémontois,
des Warnetonnois, des Ploegsteertois, des Bizetois, des Armentiérois, tout autour de Lompret il y a
des Chapellois,
des Ennetiérois, des Englosiens, des Sequedinois, des
Loossois, tout autour de Lompret
il y a des Lillois, des
Madeleinois, des Marcquois, des Bonduois, des Linsellois, tout autour de Lompret il y a des
Cominois, des
Houthemois, des Heuvellanders, des Erquinghemmois,
des Grenésiens, il y a des Radinghémois, également des Escobecquois, d’autres
Erquinghemois, il y a tout autour de Lompret des Hallennois, des Haubourdinois,
des Emmerinois, des Wattignisiens, des Faches-Thumesnilois, des Ronchinois, des
Lezennois, des Hellemmois, tout
autour de Lompret il y a des Monsois, tout autour de Lompret il y a des Wasquehaliens, tout autour de Lompret il y a des Mouvallois, des Roncquois, des Wervicquois, des Bousbecquois, des Maisnilois, des Beaucampois, des Santois, tout autour de Lompret
il y a d’autres Houplinois, des Noyellois, des Templemarois, des Vendevillois, tout autour de Lompret il y a des Lesquinois,
tout autour de Lompret il y a des Villeneuvois, tout autour de Lompret il y a des Croisiens, des Roubaisiens, des Tourquennois, des
Neuvillois, des Halluinois, des Meninois, des Fromellois, des Fournois, des Wavrinois, des Gondecourtois, des Seclinois, des Avelinois, des Fretinois,
des Péronnais, des Sainghinois, des
Anstinois, des Chérengeois, des Tressinois, des Forestois, tout autour de
Lompret il y a des Hémois, des Lannoyens, des Lyssois, des Fleurbaisiens, des Saillysiens, des Aubersois, des Herlilois, des Wicrois, des Sainghinois, des
Donois, des Allennois, tout autour
de Lompret on trouve des Chemynois, des Phalempinois, des Attichois, des
Avelinois, des Ennevelinois, des Louvillois, des Cysoniens, des Bouvinois, des Grusonnois, des Basiliens, des Willemois, tout autour de Lompret il y a d’autres Saillysiens, il y a
aussi des Toufflersois,
également des Leersois, des Wattrelosiens, des Estaimpuisiens, des Mouscronnois, des Illilois, des Marquillois, des Hantayeurs, tout autour de Lompret il y a des Basséens, des Saloméens, des
Billy-Berclausiens, et toujours avant que
de s’égailler en pays minier, des Bauvinois, des Provinois, des Annœullinois...
–
... fin de
règne, fin de rêve, fin de non-recevoir, fin de siècle, fin de vie, fin de
confinement, fin du sacré, fin du monde, fin des haricots, fin de la pensée,
fin de la réalité, fin de la jeunesse, fin de la poésie, fin de l’amour, fin de
l’histoire, fin de la tchatche, fin de la paix, fin de l’espoir, fin de la fin
— fin du fin ? Non, efface ça, c’est mauvais ! Quand même, Kriemhild vient à nouveau de frapper Hagen de Tronje
avec l’épée de Siegfried avant d’être à son tour abattue par Hildebrand : nous sommes imbus
de fins. Etzel va ordonner que sa
dépouille rejoigne celle de Siegfried auquel elle appartient toujours —
terminus.
–
... ou ça
raconte quelque chose ou ça n’en raconte rien. C’est un fait. Rien que
ça ! Quoique ça ou rien ce soit déjà ça, déjà puisqu’incontestablement, et
d’ailleurs rien ne raconte rien si ce n’est ça ou presque qui ne veut rien dire
d’autre que ce que seules tant de choses dissimulent... comment se
permettrait-on de chanter si les fleurs n’éblouissaient pas ? Comment
fleuririons-nous nos élans si les oiseaux ne chantaient pas ? Et que dire du
feu aux fesses des cocotes en papier ? des poissons d’avril qui barbotent
dans l’aquatinte ? Comme si l’insatiable malamour soucieux de tenir bout à
bout la vie et le vivant allait divulguer les trous de sa trésorerie !...
Aujourd’hui, c’est la pluie et le beau temps en guise de sous-bois qui
obscurcissent la boule de cristal. Vivre a beau être un récurrent défaut de
fabrication, une faute nécessaire, fatale en effet, le déchant continuera de
s’éventer avec la houle pour briser là le mot de la fin.
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