D’un
bleu tendre le ciel ce matin-là pourtant décembre finissait
Sur la
branche dénudée d’un abricotier un rouge-gorge
Elle
convoqua ses amours leur donna rendez-vous là dans ses yeux dans son
cœur
Et tout redevint lumineux
L’amoureux
réveil
La
forme de sa vie tiendrait alors aux seuls mouvements de ces fils
fabuleux ondoyant tout autour et ce serait à elle de les deviner et
de les animer
Elle
prit cette chose en elle apportée peut-être par la lumière
mordorée d’un soleil encore bas glissant le long du tronc moussu
des arbres
~
à
l’Esprit de la Nuit...
L’enveloppe
grise de l’amande
est
douce au toucher
sous
ton doigt elle devient velours
si
tu l’approches de ton oreille
et
la frottes entre tes doigts
elle
devient sonore
sonorité
veloutée de l’amande
volupté
sonore de l’amante
posée
dans le creux de ta main
une
nuit...
~
Les
jours où délaissant la plume la feuille les mots les figures de ton
désir
tu abandonnes ta quête tu te livres nu
c’est à moi alors
de veiller sur toi
D’un
seul trait de salive ma langue déroule un ruban sinueux
de tes yeux
à tes paumes ouvertes des veines de tes poignets à celles de tes
chevilles
Je
t’enrobe d’un cocon translucide Je te ceins d’une gaine soyeuse
Ensuite
je guette une nuit étoilée
Avec
précaution je te roule précieuse chrysalide jusqu’au pied d’un
arbre un olivier
Là
j’attends ta naissance
Dans
le bruissement des feuilles grises dans l’herbe rêche parfumée tu
commences à remuer doucement
Je
serre dans ma main une pierre lisse prise dans le paysage ocre-rouge
— lieu de passage des flux gri-gri par lequel je convoque les
forces de la terre
Quand
tu murmures le mot convenu je deviens ton abri
pour la nuit
~
Brusquement
une fulgurance pâle vient de fendre le paysage et me cloue à la
terre
Toujours
cette même blancheur de ton corps qui me surprend à chaque fois
—
paroi abrupte d’un rocher lumineux tronc laiteux d’un arbre
dépouillé de l’écorce sur lequel ma main propage sa brûlure
C’est
toi que je vois passer dans mon paysage
toi
que je regarde vivre de près ou de loin
Il
me reste toujours assez de temps pour mon voyage solitaire — seule
et pas seule
Je
te rencontre dans mes parages pourtant les retrouvailles n’entament
jamais le voyage intérieur
L’air
est doux dans le jardin envahi de feuillage sa voûte enserre
étroitement le fil de la rêverie
J’avance
non loin de toi vers l’imprévisible bouillonnement des jours à
venir
en retenant mon souffle
~
Les
buissons épineux griffent résille pourpre sur le tissu tendre du
ventre des seins des jambes sur le blanc veiné des bras
Ils tentent
d’arrêter ce qui veut s’insinuer au creux du monde clos refermé
— sentier effacé pour qui ne l’aurait jamais emprunté
Appartenir
à cette colline d’un monde ancien
Retourner
à elle
Se laisser reprendre par elle et recouvrir de sa terre chaude
de ses brindilles de ses insectes
Se laisser envelopper rouler dans
ses sucs ses fils argentés
Se laisser imprégner de toutes ses
essences
Devenir plus semblable à elle disparaître dans ses plis
et
vivante encore respirante se laisser déglutir par elle lentement
Qu’elle s’incruste sur le corps tout entier
Qu’elle y trace ses
marques
Qu’elle l’immobilise ce corps détaché d’elle oublieux
trop longtemps
Et qu’il se mette à osciller au gré des souffles
comme l’arbre à la résine odorante si souple si léger si haut
tendu
Finir
par ne plus exhaler qu’un parfum au lieu de la voix du bruit humain
~
Volets
ouverts sur les étoiles j’attrape la nuit
Elle ne brillait pas
volets clos
ni ne rythmait la brise légère le souffle régulier des
insectes
Je me blottis contre toi avant que la terre ne nous recouvre
Je te touche mes doigts contre tes lèvres mes jambes nouées aux
tiennes
Qu’est-ce que je tiens plus sûrement que ton corps ?
La
terre s’effrite s’éboule en avalanche pas de prise (la terre n’y
est pour rien)
Qu’est-ce qui me retient plus fermement que tes
mains ?
Le monde afflue par bouffées — vents doux vents aigres les
souffles emportent ou déroutent
Au cœur des zones d’ombre quel
peu nous tient ?
Le désastre gît et croît en nous depuis l’origine
des temps
Mais par un chemin de crête obstiné je parcours chaque
pli d’une contrée claire et tiède
Par un étroit chemin de crête
tu inventes des passages
et je passe avec toi
~
à
Salif Koné, sans-papier
Par
quoi commencer ? comment peut-on commencer ? tout n’est-il pas en
perpétuel devenir ? y a-t-il un commencement à une seule chose ?
tout ne découle-t-il pas de tout ? Les événements s’enchaînent
les uns aux autres en un glissement infini de particules sombres ou
lumineuses et nous entraînent le long des jours en cahotant
Dans
le fond du jardin des violettes ont percé la croûte de janvier —
on sait qu’il peut encore neiger pourtant Les choses affleurent ne
se laissent pas saisir dans leur forme définitive mais on les sent
bruissantes tout autour
Exultation
sourde (déjà le grain de sable a enrayé la lourde machine)...
Vous
soleils imprévus astres superbes nés d’épousailles du hasard
amants magnifiques de la vie jusqu’en la mort approchée — goûtée
du bout des lèvres pincées (goût aigre) — vous amants obstinés
quelle frontière vous arrêterait sinon la toute ultime
~
Dans
le champ ouvert de leur chimère ces deux-là se nourrissent de
bribes ôtées de la trame qui entrelace les heures sombres les
heures claires
Des
jours et des jours à se savourer insatiables des yeux à se
becqueter voraces du bout des doigts à se dévorer goulûment à
croquer les mots qui sortent de l’un de l’autre
Et plus ils se
mangent plus ils se donnent à manger
Ça n’en finira pas
Des
fois elle s’étonne de se retrouver hors de lui déconcertée ne
comprend pas qu’ils ne fassent pas qu’un encore
Ils
s’ennuieraient ! dit-il
Une
nuit il murmure qu’il l’attendra quand il sera mort
Emporte-moi
avec toi plutôt
Non, elle continuera de vivre, elle le rejoindra
après
Dans les limbes ?
Quelque part... le néant ça n’existe pas
Alors
elle se met à rêver de cette errance à travers l’univers
Elle y
croit puisque c’est lui qui le dit
Et ils finissent par se donner
rendez-vous à la lisière de l’infini
Le
vaisseau grince et les emporte
Pour elle il siffle le bruit du vent
et pousse le cri des mouettes.
~
Un
soir elle perçoit le bruit régulier d’un vrombissement Quel
moteur de quel engin dans la nuit noire ? Elle tend l’oreille du
côté du jardin... rien Du côté de l’autre chambre... rien non
plus Alors elle monte dans la pièce où il travaille... Allongé sur
le dos à même une couverture dépliée sur le plancher fenêtre
ouverte béat dans la brise nocturne il dort nu
ronflement...
ronflement... ronflement... ronflement... ronflement... ronflement...
Sans
doute l'aura-t-il attendue et se sera-t-il endormi en l’attendant
~
tuit
tuit tuit tuit
poivrier poivre sec
poivrière tu dors
l’air sent la
fumée
feu de feuilles deuils cruels
d'un œil je veille sur ton
sommeil
fourmillante couvaison
inconsciente cueillette
amassée sur
ta feuille
au réveil
~
Cet
après-midi-là d’écume mousseuse et de verts remuements nouveaux il hasarda une caresse sur l’un de ses seins comme ça imprévu ni
vu ni connu
Mais elle l’avait vu et d’un élan fut contre lui
Il
lui donna sa chaleur Elle en échange se délecta de passer ses
lèvres et sa paume arrondie sur la tiédeur de l’aimé
Plus
tard elle s’en alla se mêler aux arbres du Mont Kemmel — glissa
du singulier à l’universel de l’universel de cet enlacement à
ce bois en particulier de la sève qui courait en lui à la sève qui
montait et descendait dans le fût des longs arbres de sa peau
moelleuse et claire à l’écorce grise et délicieusement rugueuse
des troncs effilés glissa de sa danse joyeuse au balancement
tranquille qui mouvait le sous-bois
Cette
fin d’après-midi-là elle eut une surprise
Un
voile inattendu d’un bleu étincelant flottait au-dessus du tapis
épais de feuillages qui rampait sur l’humidité noire du sol Elle
se demanda comment le ciel avait pu s’insinuer jusque là
Blottie
contre un arbre au cœur de cette ondulation azurée nouvellement
surgie elle attendit les souffles et les grincements familiers
~
Ovale
(le
portrait manquant)
d’où
tu te glisses floraison luxuriante
Ovale
la conque de tes doigts
autour de ta féminité
tiède
par où s’extraire et naître au
monde
par où prendre le large
et
se réjouir
Dans
le bois du Percot liévinois l’exubérante silhouette se faufile
aux abords de la fabrique désaffectée — antre de l’innocent
lieux sombres peu rassurants des jours ordinaires À petites lippées
gourmandes elle s’applique à savourer près de lui la lente coulée
du temps comme on goûte des épices nouvelles Pour elle c’est la
porte du monde invisible ce bois Les heures se passent à regarder la
lumière ruisseler à travers les feuilles à écouter grincer les
arbres et certains feuillages bruire ou gronder comme la mer à
s’arrêter quand il a plu devant une flaque d’eau pour voir un
nuage y entrer prendre toute la place et disparaître sans avoir fait
une seule petite vague à gratter la terre à la humer à en extirper
des pierres — la tête d’un chien le corps d’un dromadaire un
visage... Elle essaie dans l’air des constructions — fragiles —
et lui l’innochint il invente d’étranges histoires dans de
drôles de dessins
Ils
s’arrangent avec le monde comme ça
( sur un dessin de Guy Ferdinande)
~
Quand
ça se resserre un peu trop dans le paysage des hommes elle change de
paysage se met pour un temps (quelques heures) à l’abri Puis à
nouveau la tempête de jour en jour plus forte le tourbillon d’un
mouvement brutal — trouver alors des galeries inventer des passages
par où se rejoindre se toucher du bout des doigts du bout des mots
des images gestes d’amour d’attention dans la déroute Peut-être
qu’ils n’ont jamais été aussi essentiels ces signes peut-être
qu’ils rivalisent de force avec la violence de la force qui
s’applique à les étouffer — bonheur pris en dépit de la
tourmente aiguisé par la colère qu’elle fait naître ravi au sort
Lui
n’a pas besoin de s’éloigner il s’écarte en plein milieu et
ne s’en tient que plus près de l’épicentre C’est à travers
lui à travers les impulsions de son corps à lui que lui parvient le
plus fort le monde Les pierres la terre l’herbe les arbres le chant
des oiseaux le ciel lui parviennent encore mieux filtrés par son
corps son regard sa voix — son corps à portée de sa main à tout
instant qui pulse son flot de sang comme un message vers elle
Il
la touche sans cesse elle pose ses mains sur lui comme sur les arbres
ou contre la terre (s’assurer qu’ils sont bien vivants saisir
avant que tout ne s’efface de leur trace à tous deux tenter de
réfuter l’éphémère !...)
~
Ça
ressemble à une danse dans la pluie le vent fort Le chemin est
désert faufilé du Mont des Cats vers Berthen — un tel cadeau
offert... et pris
Devenir sur l’instant barque à voile —
parapluie jaune tordu dans tous les sens (le parapluie de Maud !) —
Ça tangue ça vire ça roule à la moindre rafale Se retrouver à
tournoyer au beau milieu des prés d’un vert frais des terres
ouvertes du bois enveloppé d’une brume violette sous l’éclair
doré des flèches de l’abbaye seule au cœur des éléments
déchaînés Éclats de rires mains cramponnées au parapluie cris
joues tendues vers le rideau de pluie
S’abandonner ici à sa vie de
végétal (quotidiennement méticuleusement gommée) S’essayer à
cette terre nouvelle — les frênes les hêtres les charmes
approchés touchés Prendre cette trouée — ces passages dans ces
monts minuscules qui rythment l’espace presque jusqu’à la mer
Esquisser les prémices d’un retour à la terre se rentrer
doucement apprendre à se glisser comme un insecte dans l’élément
originel
~
L’altra
donna esiste non esiste esiste non ...
existe
l’autre femme
zolle
nere umide molle
mottes de
terre noire affleurent
ombrent
les sillons de neige
dans
le val radieux de Cassel
entre
Noordpeene
et
Zuytpeene
au
cœur du champ de bataille
l’autre
femme
glisse
ses doigts dans la trace
d’un
sabot et se fait biche
sur
la colline de Tom
passe
le bout de ses doigts sur l’empreinte
neige
légère d’une patte d’oiseau
et
devient oiselle sur le Tom Veld
Tom
le cerf l’oiseau
et
moi-toi-l’autre femme
sautillant
sur
le chemin qui craque
s’entrouvre
sous les pas
~
Ballade
des moulins de Watten
Moulin
lunaire
visites
: uniquement sur rendez-vous
les
nuits de lune de miel au printemps
Moulin
solaire
visites
: uniquement sur rendez-vous
au
treizième coup de soleil en été
Moulin
stellaire
visites
: uniquement sur rendez-vous
à
la belle étoile en automne
Moulin
ventaire
visites
: uniquement sur rendez-vous
contre
vents et marées en hiver
(Niania et ses Nénuphars, 1999)