Parution de revue : Comme un Terrier dans l'Igloo dans la Dune n° 96


Comme un Terrier dans... L'Igloo dans la Dune !
n° 96






Editorial

« Vous venez dresser contre moi votre misérable logique humaine, 
quand je suis celui qui est au-delà, quand c’est d’elle que je vous délivre ! 
Ô prisonniers, comprenez-moi ! 
Je vous délivre de votre science, de vos formules, de vos lois, 
de cet esclavage de l’esprit, de ce déterminisme plus dur que la fatalité. 
Je suis le défaut de l’armure. Je suis la lucarne dans la prison. 
Je suis l’erreur dans le calcul : je suis la vie. » Saint Exupéry

L’idée de ce numéro m’est venue suite à une série d’articles concernant les champs de torsion. Ça a été les champs de torsion comme ça aurait pu être autre chose, notre présence au monde s’adosse à un outre-réel où phéromones, atomes crochus, rêves nocturnes, courants telluriques, énergies cosmiques, perceptions extrasensorielles, symboles, symptômes, divination, etc., font une telle sarabande que les prétextes ne manquent pas. Tant pis pour Descartes qui ambitionnait de domestiquer la nature, pour ce numéro ce sont les champs de torsion parmi bien d’autres phénomènes qui rappellent que la nature nous enterrera tous.
De quelque façon qu’on prenne le terme au-delà, que ce terme soit de l’ordre du physique ou au contraire chose abstraite, qu’il incombe à notre crédulité ou soit dédaigné par notre incrédulité, bref qu’il nous concerne ou non, l’au-delà passe par nos signes. Littéralement il les traverse. Si nous le supprimions nous serions dans une sphère de perceptions immédiates d’où les souvenirs, la songerie, la méditation, toute recherche, seraient bannies, mais également la conscience d’avoir affaire à l’espace, au temps et au fil du rasoir de l’existence. Nous ne serions pas des êtres vivants mais des choses. Que le monde des immédiatetés usuelles ait un au-delà est aussi vieux que l’inconscient collectif : le rêve, le surnaturel, la folie, l’ésotérisme, l’occultisme, le spiritisme, le merveilleux chez les surréalistes, le mystère chez les symbolistes, le fantastique chez les romantiques, également ce que questionne la science, de la physique à l’astronomie, etc., tout nous y rapporte.
Les immédiatetés usuelles essentiellement remplies d’objets, de messages et de représentations substitués aux besoins constituent la surface sans aspérités de la réalité qu’il faut appeler marchande, réalité marchande d’autant plus exclusive qu’elle ne tient qu’à notre dépendance. À côté d’elle, les réalismes qui parsèment l’histoire et jusqu’au réalisme socialiste finalement si ingénu n’apparaissent aujourd’hui que comme de pâles ébauches. Les immédiatetés usuelles ne sont pas des illusions parce qu’elles font l’éloge d’une félicité trop facile pour être vraie mais parce qu’elles mettent en valeur les murs dont nous avons besoin pour que le monde ressemble à ceux que l’argent a élu, pour que les enfants des villes, les enfants des ZUP, les enfants des HLM ne sachent jamais ce qu’est un coucou, un cheval, un chêne, un champ de blé qui ondoie, pour qu’aucune vibration ne leur apporte le goût du ressenti, pour qu’ils se disciplinent à l’école d’un monde expurgé de tout ce qui n’est pas astreint à résidence.
Tout ce qui est ou serait présences autres ne nous parvient plus que par fragments, bribes, échos qu’il nous faut lire comme Champollion les hiéroglyphes pour en reconstituer le sens. Ces présences autres ne sont pas des satellites de la réalité marchande, en aucun cas elles n’appellent le nom de réalité ou alors il faudrait de façon impropre parler de vraie réalité comme les enfants parlent de vraie vérité, ce qui serait négliger que la réalité n’est jamais qu’une constitution synthétique du monde, or là il s’agit d’éléments d’un puzzle infini transitant par notre sphère cognitive.
Jadis les hommes avaient toute ignorance de cette chose, ce principe dit la psychanalyse, qu’on appelle réalité et qui est d’autant plus occulte qu’une fois sa polysémie épuisée seule la sommation la légitime. La réalité, mandatée par la nécessité qui est mandatée par la réalité qui, etc., est la compréhension clef en main d’un monde résolu : un cercle vicieux. C’est négliger que sans la subordination à ce monde tel qu’il ne saurait être autrement nous ne disparaîtrions pas physiquement, sauf à nous liquider, le fusil restant le joker des puissants. Nous n’avons pas oublié que jadis les hommes étaient liés physiquement et métaphysiquement à la nature, à une dimension cosmique de la nature, et entretenaient avec elle d’étroites relations symboliques établissant un équilibre entre ce qu’ils ne savaient pas et ce qu’ils sentaient. Jadis les mots communiquer et communier pris séparément n’avaient aucun sens. Une profonde intelligence avec leur milieu naturel prêtait un langage aux énigmes, l’arbre ne cachait pas la forêt et pour coexister ils se faisaient crocodiles, léopards ou serpents à plumes. Coexistons-nous encore ? Ayant transformé la nature en une pauvre campagne industrielle ceinturant la planète, comment la reconnaissance d’un monde familièrement énigmatique nous serait-elle encore possible ? Il n’en demeure pas moins que derrière les choses il y a toujours d’autres choses, que sous les choses il y a toujours d’autres choses, et c’est à cause du tort que nous leur faisons que tant de choses n’osent plus s’écarter pour révéler ce qu’il y a derrière elles. Les choses ont les mêmes réflexes que les bêtes, elles ont peur de nous !
La notion d’au-delà telle qu’elle m’apparaît n’est pas d’essence religieuse et je n’en ai une perception ésotérique particulière : elle est liée à une porosité qui m’est propre et à la projection imaginaire. Ce n’est pas au titre d’un aval opposé à un amont que l’infraréel se justifie, l’en deçà est un au-delà tout comme l’au-delà est un en deçà ; il n’y de frontière qu’en fonction des miradors que les gens ont dans la tête, il s’agit d’un entour. Le poète et philosophe mystique Rûmi a dit bien avant Nietzsche qu’il n’était donné qu’à des êtres exceptionnels (cf. le « il faut se faire voyant » de Rimbaud) de voir au-delà de l’apparence que le commun des mortels désigne comme étant sa réalité, les signes qui la rapportent substituant toujours leur propre réalité. Que le monde soit une illusion ne signifie pas qu’il est immatériel, seulement que sa représentation est oblitérée par sa suture. Le royaume des signes par lesquels l’au-delà passe est irréductible à la dictature des signes dont la réalité se fait un miroir. Ainsi, ce n’est jamais tant l’extralucide, le paranormal, la poésie, qu’il faut questionner, suspecter ou congédier d’un revers de la main que le normatif qui réduit les êtres à l’état de choses, choses qui ne sont d’ailleurs plus des choses depuis des lustres mais des consommables programmés pour ne durer qu’un temps très limité. Les êtres aussi sont des consommables et les gestionnaires de la paupérisation rient bien sous cape quand ils s’indignent que Staline ait dit que l’homme est le capital le plus précieux : l’homme en tant qu’homme est le capital le plus dispensable qui soit !
Guy Ferdinande


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