Janvier 2015
Il
y a dix ans, c'était le soixantième anniversaire, aujourd'hui c'est
le soixante dixième anniversaire.
Auschwitz
est bien utile. Encore une fois, la commémoration de l'un des plus
grands crimes de l'histoire va permettre à certains des Grands de ce
monde de montrer leur belle image. Auschwitz devient ainsi le grand
exutoire qui permet, en magnifiant l'un des plus grands crimes de
l'histoire, de minimiser les autres.
Il
est vrai que Auschwitz a eu lieu en Europe et qu'il marque
l'aboutissement extrême de siècles d'antijudaïsme chrétien et
d'un siècle d'antisémitisme racial ; dans ce cadre la commémoration
permet d'occulter ce qui l'a précédé, comme si Auschwitz était un
phénomène singulier, sans autre histoire que lui-même.
Il
est vrai aussi que commémorer un crime commis en Europe par des
Européens contre d'autres Européens permet d'occulter d'autres
crimes commis hors d'Europe par des Européens contre des non
Européens. La bonne conscience est toujours utile.
Dans
son ouvrage, La
violence nazie, au
sous titre significatif, "une généalogie européenne",
Enzo Traverso rappelle que la violence nazie s'inscrit dans la
violence coloniale pratiquée par les Européens contre les peuples
qu'ils colonisaient. Mais cette violence s'exerçait hors d'Europe
contre des populations considérées comme barbares ce qui la rendait
invisible ; tout au plus se développait la légende de ces courageux
Européens qui allaient s'affronter à la barbarie dans de contrées
lointaines hostiles.
Les
nazis avaient osé importer cette violence en Europe, c'est ce crime
qui était impardonnable et qui n'est toujours pas pardonné. C'est
cela qu'écrit Aimé Césaire dans son Discours
sur le colonialisme :
"Ce
que le très chrétien bourgeois du XXème siècle ne pardonne pas à
Hitler, ce n'est pas le crime en soi, le crime contre l'homme, ce
n'est pas l'humiliation de l'homme en soi, c'est le crime contre
l'homme blanc …, d'avoir appliqué à l'Europe des procédés
colonialistes dont ne relevaient jusqu'ici que les Arabes, les
coolies de l'Inde et les nègres d'Afrique"1
Il
est vrai qu'après le massacre de six millions de Juifs, ces derniers
ont accédé à la blancheur européenne. C'est ainsi que cet enfant
de l'antisémitisme, l'Etat d'Israël, est devenue un morceau
d'Europe en terre barbare et qu'il participe à la lutte contre la
barbarie. Les commémorateurs peuvent être contents d'eux.
Il
est vrai que c'est au nom de l'entrée dans la blancheur que le culte
de la Shoah inventé par les nouveaux Blancs de l'Etat d'Israël et
repris pas les Européens permet, sinon d'occulter, du moins de
légitimer les crimes perpétrés par les nouveaux Blancs contre
leurs ennemis restés barbares. C'est ce culte qui permet à un
philosophe européen Habermas de proclamer :
"Quel
Européen pourrait, après la Shoah, contester à Israël son droit à
l'existence ?"
oubliant
que l'Etat d'Israël s'est construit contre les habitants de la
Palestine.
Rappelons
cependant que toutes les victimes du nazisme n'ont pas eu cette
"chance". Les Tsiganes, massacrés en même temps que les
Juifs et pour les mêmes raisons de sous-humanité, n'ont pas
"bénéficié" du même "privilège". Ils restent
toujours des parias de l'Europe et les commémorateurs ne ressentent
pas le besoin de se montrer commémorant le massacre des Tsiganes.
Ainsi
l'Europe sait choisir les crimes dont elle doit se repentir et les
crimes qu'elle peut oublier.
Ainsi
l'Europe substitue à l'antisémitisme un philosémitisme qui ne vaut
guère mieux. Tout cela ne peut que conduire à la concurrence des
victimes, entre celles qui inspirent le repentir et celles que l'on
peut négliger, concurrence qui ne peut que conduire à des tensions
entre les victimes "privilégiées" et les autres, celles
qui n'ont que le choix de rester victimes. Une forme d'Apartheid
pourrait-on dire, Apartheid de la mémoire qui permet de distinguer
parmi les victimes, une forme de
mépris envers toutes les victimes, les unes servant à lutter contre les autres.
1. Aimé
Césaire, Discours sur
le colonialisme, cité
par Marc Ferro in Histoire
des colonisations
(1994) p. 12-13
*
Rudolf Bkouche est professeur émérite à l'Université de Lille, membre de l'Union Juive Française pour la Paix (UJFP).
In Wikipedia : "L’Union juive française pour la paix (UJFP) est une organisation juive laïque, universaliste s'opposant à l'occupation des territoires palestiniens, qui milite, notamment dans le Collectif Palestine, pour la reconnaissance du droit du peuple palestinien à un État, pour la reconnaissance du droit au retour des réfugiés palestiniens, pour le démantèlement des colonies en Cisjordanie, pour le retrait des colons israéliens de tous les territoires occupés, Jérusalem-Est compris. Politiquement située à gauche, voire à l'extrême-gauche, elle est affiliée au réseau Juifs européens pour une paix juste. "
In Wikipedia : "L’Union juive française pour la paix (UJFP) est une organisation juive laïque, universaliste s'opposant à l'occupation des territoires palestiniens, qui milite, notamment dans le Collectif Palestine, pour la reconnaissance du droit du peuple palestinien à un État, pour la reconnaissance du droit au retour des réfugiés palestiniens, pour le démantèlement des colonies en Cisjordanie, pour le retrait des colons israéliens de tous les territoires occupés, Jérusalem-Est compris. Politiquement située à gauche, voire à l'extrême-gauche, elle est affiliée au réseau Juifs européens pour une paix juste. "
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