Julien Ferdinande, Longtemps j'ai suivi...

  Longtemps j’ai suivi un enfant entre les tables d’un immense parc où des gens sans âge étaient assis à qui il ne fallait pas parler. L’enfant voulait me faire voir où on lui avait brûlé le visage, et je pensais il m’emmène vers ce crépuscule béant où mon propre cœur crame, vers cet autre drame où je sais qu’il faudra peut-être prendre des barques vermoulues pour accéder aux trois questions personnifiées. Tous ces êtres dont les corps se fondaient dans le fer forgé des chaises ne nous regardaient jamais et je crus comprendre que si je leur demandais s’ils savaient qui j’étais (c’est moi qui jadis passais avec un chapeau pour qu’ils me donnent des pattes de perroquet), ils ouvriraient tous leur bouche et cracheraient une belle langue verte lépreuse. En vérité je peux marcher sans l’enfant puisque l’enfant c’est moi maintenant, je peux vivre éternellement avec mes propres tours de magie internes, les tablées d’hôtes mornes ne sont que des bouquets de fleurs carnivores dans des vases éteints. Je peux me mettre en colère, on ne m’en voudra pas. Je peux devenir putride. Tyran. J’ai mon propre labyrinthe. Le sable de dix pyramides sous-estimées. Je sais qu’on ne me regardera plus jamais. Ni jour ni nuit pour les rois cassés en mille morceaux et les trois seuls angles morts demandent votre vie. Longtemps j’ai suivi un enfant dans mon isolement mais c’est à moi de détruire mon propre beffroi bruyant où qu’il soit. C’est à moi d’éparpiller ce qu’il reste des grandes villes cassées en moi. Le droomgezicht. Je ne retrouverai d’ailleurs jamais mon chemin quelles que soient les tulipes entre lesquelles je marche. Le monde entre les putréfactions terrestres et les feux d’artifice. Le charbon des châteaux ratés. Est-ce que je préfère les allégories au souvenir de la brûlure ? C’est à mon visage que venaient tous les flambeurs ; je leur racontais ma vie. J’ai interdit aux gens de me regarder. Je passe entre leur mutisme comme une paix accablante. Des buissons où l’on peut refaire les corps. Des milliers d’enfants courent pour moi et entrent dans des tours qui vont s’écrouler ou dans lesquelles des bêtes vont les manger. Ce n’est pas moi qui peins le décor. Vos cornes ont poussé toutes seules. Restez assis. Je ne suis pas une libellule dans votre rêve. Il y a tellement de chaises vides, je ne sais pas où m’asseoir. Autrement je serais venu vous tirer les cartes à tous. Après tout je peux arpenter la pelouse par moi-même. Le béjaune. Je peux raconter l’histoire tout seul. Devant moi l’immense labyrinthe du bien-dire et des feux de camp. Les danseuses ont une beauté fusible que je n’ai pas envie de capturer. La nuit habite une de ces pagodes, je ne sais pas encore laquelle. L’enfant là-bas se ressert plus qu’il ne faudrait en champagne. Il a sa propre décadence maintenant. Je ne sais pas ce qu’il raconte au steward. Il a ses propres fantômes à accrocher aux fils télégraphiques avec des épingles à linge.








Texte paru dans L'Air du Temps, recueil collectif, juin 2012
Contact : anniewallois@gmail.com


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