Julien Carré - Poèmes




Elise Carré - Montagne et aurore boréale







Alors nous avions vieilli
et nous regardions nos visages.
Nous n'avions pas peur
ni même de regrets.
Simplement ces regards échangés
qui disaient
Est-ce possible
Est-ce vraiment nous
Nous qui marchions l'âme
et savions sourire.

 

 *




Quand il mit pied à terre, il ne fit évidemment pas de signe de croix. Il ne prit pas non plus possession. Il s'avança sur la plage. Son radeau disloqué faisait prière de la mer au ciel. Prière, poème, une chose de ce genre, disons. Il s'avança sur la plage. Il n'y avait rien, juste un vent. Un vent du Nord. La barbe avait mangé ses joues, il avait vieilli, sans doute, et ne serait-ce son regard bleu, on l'eût cru venu d'une autre époque. En noir et blanc. Sur le sable, ses pas faisaient ligne d'écriture. Des mots, toujours les mêmes, penser aux mots "litanie" et "mélopée".
Il franchit les dunes et pénétra dans les lourdes terres grasses de labour. Des paysans vinrent voir le naufragé. Ils le livreront à la police, mais pas encore. Ils veulent d'abord entendre ses histoires. Ses récits de batailles, de tempêtes, de naufrages. Et s'il est parfois question de mer calme, cela ne les gêne guère, cela fait une pause. Une respiration, comme on dit.
Lui les observe, étonné. Il regarde leurs figures d'anthropophages et se surprend à parler leur langue.
Il se raconte donc, sans jamais cesser d'inventer, sans mentir une seule fois, comme se raconte un naufragé à des inconnus. Comme on se raconte. Il dessine des visages, des pays, des corps, des nuages. Il trace des charges héroïques aux étendards rouges, des embuscades au drapeau noir. Il esquisse des villes. Et colorie, avec précipitation - peut-être un peu de honte - les mers et océans.
Les autres se taisent. La nuit vient, ou plus précisément revient. Ils prennent en silence la décision de le laisser partir.
L'un lui offre une lanterne, en échange du récit, explique-t-il.
Puis tous s'éloignent.
Alors, il souffle la petite flamme et poursuit sa route.




 *





La croisée

Singulièrement, il n'avait plus peur. Il connaissait maintenant la croisée. Des chemins. Il portait une vie rapiécée. Pièces des désirs des autres. Manches élimées. Le froid qui l'entourait n'avait de gris que l'odeur. Il paraissait plutôt bleu, presque serein. D'ailleurs, il n'avait plus peur. Un poids en moins, pensa-t-il. Comme on desserre les doigts agrippés. Au cou. Respiration nouvelle. Nulle vapeur forestière, pas de hautes futaies. Respiration de plaine. Ciel lavé, voici venu le temps mon amour, écrivit-il, d'abord. Puis il songea. Sous les ongles, la terre brune dégageait une odeur de dahlias. Des jaunes et mauves. Venu le temps mon amour. Une vie rapiécée. Le neuf n'existe pas, il faut faire avec. Coudre du vieux, c'est toujours coudre. Que n'ai-je écrit plus tôt. Il soupira. Voici venu le temps mon amour. Les désirs des autres, les envies des autres, qui font une brume dans laquelle l'on avance. Dans la brume des autres. Leurs rêves pour nous. Pensait-il. Et ce costume, trop grand, trop petit, s'use, jusqu'à n'être plus qu'une trame qui laisse apparaître la peau. Fleurir. Ce qu'il faudrait apprendre, c'est à fleurir. Pas à se vêtir des certitudes, angoisses, craintes, ambitions des autres. Fleurir. Tu trouverais cela idiot, mon amour. Te demanda-t-il. À la croisée des chemins. Il y eut ton sourire pour réponse, cela le tranquillisa, un instant. Cet instant où il n'avait plus peur.




 *





Deux têtes de plus

Mon chagrin avait bien deux têtes de plus que moi. Mais poli et discret. Il n'avait - et ce n'était pas le moins étonnant - aucune envie d'exubérance, sobre, il se fondait dans le paysage, s'excusant quand par mégarde - je remarquai assez vite sa propension à l'étourdise, une maladresse charmante qui donnait envie de le serrer dans vos bras, pour tenter, malgré tout, de lui apporter une consolation (un apaisement, ai-je envie de préciser) - il bousculait un objet, un animal (de nombreux moineaux couraient entre ses jambes) ou une passante.
Il me cédait toujours la place, les rares fois où je prenais le métro, et me tenait la porte - comme avec galanterie, car on ne me retirera pas de l'idée qu'il s'agissait aussi de cela.
Il s'effaçait pour ne pas paraître sur la photo, me laissant croire à son absence, ou à la possibilité que je puisse, un jour, l'effacer.
Il avait parfois disparu. Je me retournais, saisi par le silence de ses pas, le cherchais du regard et ne le trouvais plus. Peut-être avait-il pris de l'avance, je pressais mon chemin, arrivais au coin d'une rue, regardais d'un côté puis de l'autre. Nulle trace.
Le temps passait, celui que l'on mesure.
Puis par le souffle d'un matin de mars, aux odeurs mêlées d'hiver jamais tout à fait sorti de l'automne et de printemps qui ne sera jamais vraiment l'été (l'odeur de mars de mon pays), par l'air empli d'attente qui ressemble tant à l'espérance de n'importe quelle gare, par la grâce de quelques notes-clés envolant-ouvrant les trésors de la mémoire, par quelque petit geste, il rappelait sa présence, ne m'oublie pas, et de ses signes, aux allures de myosotis, je guettais la venue.
Son visage, jamais je ne parvins à le distinguer nettement. Impressions étranges, ombres. Une fois, tout de même, j'osai. Je m'approchai de lui et lui ne fuyait pas. Mais ce que je vis, je ne le compris pas.
Ses mains exprimaient peu et il n'était pas facile de deviner s'il venait pour embrasser ou étouffer. Mais je n'avais pas peur, quoi qu'il advienne - on me reprochait alors cette apparente soumission à la fatalité, comme si cela avait la moindre importance. Je marchais comme je l'avais toujours fait, les semelles s'usant invariablement aux mêmes endroits, le soleil aux doigts de blé glissés dans ma barbe, y laissant ses empreintes, la pluie renouvelant sans cesse sa miraculeuse tâche, le vent pareil aux souvenirs, et lui dans mon sillon.
Il me dépasse de deux têtes et sourit comme je t'écris.





 *






Le monde n’est pas une sale maladie.
Il y a des jours où il purule, je te l'accorde, avec des enfants déchiquetés et du mensonge plein les mains. Mais il n'est pas une sale maladie.
Il n'est pas nécessaire d'aller très loin pour s'en convaincre. Une sale maladie créerait-elle des aurores aux doigts de rose ? Et les visages aimés ?
Une sale maladie aurait-elle tes yeux ?
Le monde n'est pas une sale maladie, il est une beauté singulière, il est la somme des souvenirs et je retiens un, il est au centuple et se multiplie à chaque instant, il s'écoule dans l'avenir et c'est aussi un murmure (pareil au tonnerre !).
Le monde n'est pas une sale maladie, il est à la mesure du regard que tu lui portes. Il est ce que nous en faisons. Il est exactement ce qu'il est, une prophétie, une promesse, une ligne d'écriture. Le reflet du soleil qui s'égoutte du barbelé.




 *





Ne cesse

Il avait laissé ses camarades le distancer. D'abord en ralentissant le pas. Puis en cessant. Carrément. C'est bien plus tard qu'ils s'aperçurent qu'ils l'avaient perdu de vue. Ils appelèrent, un temps, puis reprirent leur route, qui n'était plus guère qu'un mauvais chemin, sort des armées en déroute.
Il entendit, vaguement, les voix de ses compagnons, portées par des vents inquiets, mais il se contenta de soupirer. Il était assis sur une souche, sèche, lumineuse au milieu des graminées. Le barda à ses pieds. De sa poche, il sortit un vieux cigare, une boîte d'allumettes. Il fit le nécessaire.
Il fumait, sans trop savoir. Depuis longtemps ses doigts n'avaient été aussi calmes. Du sac trop usé qui gisait à ses pieds, il tira un livre. C'était un missel. Il ne se rappelait plus pourquoi il avait ce missel avec lui. Mais là n'était pas le problème. Juste que "missel" lui évoquait le prénom de son père. Et la découverte par celui-ci de la merveilleuse absence de Dieu, à douze ans, au soleil d'après la pluie. Un soleil aux relents de vert, éblouissant.
Oui.
Au loin, ses camarades s'étaient tus. Ou le vent avait tourné. Aucune importance. Il passa la main sur son visage, s'arrêta sur la barbe et songea qu'il ne la reconnaîtrait pas, peut-être. Qu'il l'avait croisée, sans doute, au plus fort de la bataille et qu'il ne l'avait pas reconnue. Que dans le train qui les avait ramenés sur la capitale, c'était elle, qui longeait le couloir, qu'elle l'avait frôlé et que lui n'avait su que faire. Si seulement il avait murmuré son nom, se serait-elle retournée. Savait-elle qu'il était là.
Sa main retomba, il toucha le bois mort sur lequel il était assis. Relief cartographique. Il reconnut la forme, le dessin, de quelques îles grecques et le visage rêvé d'Ulysse.

Plus tard, je ne sais
s'il repartira.
Il s'endort dans les bras
de la femme.

La suite lui échappe.

Une mésange interrompit sa rêverie. Charbonnière, pensa-t-il et qui eût pu le contredire. Il lui jeta de grosses miettes de pain dur. Elle dut s'y reprendre à plusieurs fois avant de s'enfuir avec son butin. Entêtée et belle, la vie.





 *





Plus tard
à l'heure exacte
où le passant
sera saisi d'un doute
et portera ses mains à ses poches
à la recherche de ses clefs
tu apercevras
une chaussure,
et tu penseras au mot "soulier",
abandonnée sur le trottoir.
Une chaussure de femme.





 *

 

 

La fatigue lui perlait au visage et souvent il s'asseyait sur une souche, ou une lourde pierre. Parfois une borne kilométrique.
Sa trajectoire se perdait au cœur des montagnes.
Des traces, plus loin.
Il faudrait respirer calmement et longuement. Sentir le corps revenir à la chaleur.
Mais la pluie reprenait.
Un ruissellement le long des flancs. Le creux d'une caverne.
Jambes noueuses et âme trempée.

Allumer un feu, lumière tremblante des brindilles, odeur de la résine.
Des cascades, à l'Est.
L'étrange forme des nuages ⎼ comme autant de souvenirs.
Le murmure à soi-même, un chant.

Les légendes, il faut construire et raconter les légendes. Les siennes. Toute mythologie est propre à soi.

Puis la neige tourbillonne comme le silence. 
Et sans doute le soleil.





 *






Les dernières lueurs, à l'Ouest, éclairent les nuages qui moutonnent, dans la Presque Nuit.
Les bruits du jour s'éteignent et dans l'entre-chien-et-loup d'autres naissent.
À ces heures incertaines, le monde retrouve des traces de magie et de possible. Du flou se dépose sur les choses et leur donne nouvelle consistance, nouveau relief.
Il neige quelques flocons de peupliers et les blés, encore verts, ondulent.
De toutes mes forces je m'accroche à cela.
À cela et à l'espoir, même ténu, que j'ai quelque chose à écrire.
Je baisse le regard.
Il fait chaud, je t'écris couché nu, à la lumière d'une lampe de poche, pour ne pas attirer les moustiques.
Je songe à toi.
La lune est à son premier quartier. On distingue ses cratères. Je n'y planterai aucun drapeau.
Juste mon regard. La lune.




 *






Parfois je n'étais pas bon. Je manquais d'empathie.
Ses sandales, usées, le portent avec courage mais ne rendent guère justice à sa virilité. Il a l'air d'un vieux moine, ou d'un moinillon. Non, la vérité c'est qu'il ressemble à un moine entre deux âges, aux sandales grises de poussière, s'avançant vers Jérusalem ⎼ il a encore de la route, sa carte indique qu'il frôle les faubourgs de Vienne.
Parfois j'étais juste là. Da-Sein et pas Sein (lui susurre sa mémoire, sans qu'il sache si ces concepts sont pertinents ici. Ces mots résonnent en lui comme comptine, dont on aurait oublié le sens).
Le temps a passé et il s'approche du but. Il a fini le voyage à pieds nus, les sandales l'ont abandonné à l'approche de la Palestine. Les premiers jours, il a souffert, il avait les pieds fragiles, puis la route les lui dégrossit et il progressa heureux.
Parfois j'étais si dur, en moi, contre moi, que j'étais dur aux autres, à toi. J'étais le feu et rêvais la cendre.
À l'ombre de la Croix, il se repose enfin. Il sourit comme on embarque.

Il n'y a pas d'autre voyage que celui-là. Chaque pas est un monde, devrait être un monde.
Là où je suis arrivé, ce n'est que le début.

Peut-être commençons nous seulement.






*






échanges de regards inquiets. Que faire ? Voilà près de trois jours révolus qu’Il n’a pas donné signe de vie. Les anges chuchotent. Puis l’un est désigné, ou se porte volontaire (sur ce point les avis divergent) et, délicatement, sur la pointe des ailes, monte au Perchoir - c’est ainsi qu’ils désignent l’Endroit, entre eux - puis toque. Pas de réponse. Toque à nouveau. Écho qui n’illustre que l’absence. L’ange pousse la porte. Avec déférence et - il faut bien l’avouer - une pointe d’agacement. L’Endroit est vide. Vide de la Présence, car sinon c’est à peine si l’on peut poser le pied quelque part (d’ailleurs, l’ange bat des ailes), des livres, des milliers, de lourds fauteuils en cuir, des nuages, des tasses de café (bues) et un immense bureau. Le beau fauteuil (il pense "le trône" mais en réalité il s'agit bien d'un fauteuil) (un fauteuil confortable et de grande classe mais juste un fauteuil, pas un trône) encore tiède. Un encrier, une plume - d'ange ? s'interroge-t-il. Une feuille, à l'écriture reconnaissable entre toutes. "Car Je n'existe pas" est-il écrit.
Perplexe. Puis effrayé. D'une peur d'homme libéré - ce qui est nouveau pour l'ange.
Il s'éloigne du bureau, quitte la Pièce, sans prendre la peine de repousser la porte et redescend. Une larme coule et heurte un sourire, si bien qu'à l'œil nu l'on ne peut dire s'il est triste ou s'il se réjouit.
Que dois-je comprendre, que dois-je leur dire… Voguant sur ses pensées, s'aperçoit-il que le vent l'éloigne ? On pourrait imaginer, même, qu'il s'éloigne à dessein. Qu'il pense que chacun devra à son tour monter jusqu'à l'Endroit, constater l'Absence… ou non, lire le mot et en tirer ses propres conclusions… Peut-être - mais sait-on jamais - se reproche-t-il l'instant où juste après la lecture de la Phrase il a cru détenir la Vérité (?).
Voilà. Il a touché le sol. Il aperçoit un églantier (et songe à toi), abandonne ses ailes et n'en conserve qu'une plume (il me faudra dénicher un encrier, énonce-t-il à voix haute).
Puis il avance.





*





Le commissaire Maigret fume la pipe. Madame tricote. Julien Carré boit une bière.
Il parle au commissaire, qui tire sur sa pipe. Ne dit-on pas une bouffarde ? Le commissaire l'écoute. Un mélange d'attention et de distraction. Et ce vent du Nord. Le commissaire fume la pipe et écoute. Julien Carré boit la bière et parle. Madame tricote.
Les mots s'enroulent dans la fumée et fondent en mousse blanche. Un mot comme une larme. Un mot comme un sourire. Innocent et gêné tel un nuage.
Dehors il pleut. Gouttes aux carreaux. Le commissaire écoute, parfois il y a silence, juste le bruit d'une calme partie de dominos, au fond, deux hommes assagis par tant de vie qu'ils ont le souffle court.
Puis, reposant la bière, Julien Carré parle. Au commissaire, à Madame, aux deux hommes, à la patronne, aux dominos, à sa bière, aux volutes de fumée… et disparaissent ses mots, et au loin les nuages… paroles du vent du Nord…
La voix est haute, posée sur une terre brune de labours. Le commissaire fume la pipe, Madame tricote, Julien Carré parle.
Puis se tait.
Pipe à la main, le commissaire va parler, à son tour. Car il est temps.
"Je ne sais pas, dit-il."





*





Quant au navire


Le capitaine n'avait même pas consulté sa boussole. Pourtant il était midi. Le vent brisait les voiles et au mât pendait une mouette. Une mer étale, pensa le capitaine. Il vira de bord et on verrait bien.

Les yeux de la mouette roulent. Se mêlent les veines du bois, le bleu du ciel, les reflets sur la mer, du soleil et des voiles. Un étourdissement. Puis elle s'envole. Et se rêve albatros.

La mer n'avait pas conscience d'être mer. Elle était là. Diverse et diffuse. Minuscule. Immense. À l'étroit.

L'aiguille, invariablement, marquait le nord. Nulle fantaisie. Ce qui désespérait le capitaine. Une boussole, pourtant, de premier ordre. Gravée aux initiales d'un ancêtre. Mais le nord.

Le mât indique midi. L'heure qu'il est, précisément. Plus tard, le regard changera. Le nôtre, aussi. Du vide et du temps. La perte.

Et le vent, de si loin, s'emplit de poussières de désert et sable le pont, mémoire de la terre. Le monde existe, soupire le capitaine, dont le doigt compte les grains. Et lui-même ne sait s'il en est soulagé.

Quant au navire.





*





Vous prendrez votre plus belle écriture
et des feuilles trop blanches.
Vous écrirez lentement, vous concentrant sur les pleins et les déliés,
vous pèserez chaque mot et mesurerez chaque virgule,
vous tremblerez un peu à des mots difficiles,
vous retiendrez votre main
mais saurez que les mots viendront quoi que vous fassiez,
il y aura peu de larmes
et peut-être seront-elles douces,
cela dépend de vous.
Puis vous relirez
plusieurs fois,
délicatement,
à voix haute
sans vous presser.

Enfin, vous l’enverrez.
Ou ne l’enverrez pas.







*




Julien Carré vit près de Montreuil-sur-mer, dans le Pas-de-Calais.
Il écrit de la poésie et publie la revue L'Oiseau rouge.




Parviz Lak - Poèmes - Création d'objets

Exposition collective virtuelle mais néanmoins bien réelle en temps de confinement









POUR TOI


Pour toi
Je nouerai
Mes mains
Aux arbres
Et du haut
Du foisonnement de la verdure
De l'horizon
J'écrirai des messages de clarté
Et je sais
Que dans ta mémoire
Tu les liras


Pour toi
Je planterai
Dans mes yeux
Mille étoiles
Et je le sais
Elles s'accroîtront


Pour toi,
Du haut des cimes
Des âmes brûlées
Dans l'ardeur du feu de l'amour
Je construirai un temple
Et j'en confierai la garde
À la lune

Pour toi
J'allumerai
Le feu de l'abnégation
Dans le foyer matinal
Et je sais
Qu'il brûlera
À jamais

Pour toi
Je fabriquerai
Des débris du cœur
Le pot du temps
Et je le planterai
Entièrement
De moi-même
Je boirai le sang
Je prendrai racine
Et je sais
Que je germerai

Pour toi
Peu à peu
Je répandrai
Le soleil dans la nuit
Et je sais
Que tu aimeras

Pour toi
Je demanderai  à Samad (1)
Qu'il fasse appel
À tous les poissons rouges
S'opposant à la routine
Et je sais
Qu'il les appellera

Pour toi
Je remplirai de voix
L'espace
Et je sais
Qu'il explosera

Pour toi
Je convierai
Les oiseaux du monde
À la fête de l'envol
Dans le ciel bleu infini
De mes pensées

Pour toi
 Je verserai
L 'eau des mers
Dans la fourmilière
Et je secouerai le sommeil
Des yeux fatigués des dormeurs
De ce siècle corrompu
Je sais qu'il y aura des vagues
Ils seront réveillés

Pour toi
Je pendrai le désespoir
À la fête de l'espoir
Je congédierai la tristesse
À l'anniversaire de la joie

Pour toi
J'aurai de l'espoir
Je chanterai
J'écrirai des poèmes

Pour toi
Je me pends
À la potence de l'amour
Et mes derniers mots sont
"Liberté !
Je t'aime pour toujours !"



(1) Samad, écrivain révolutionnaire du XXème siècle



(Extrait du recueil Avec l'amour en exil)




























D'origine iranienne Parviz Lak vit à Lille. 
Il est artiste plasticien, poète et metteur en scène de théâtre.
Artiste bricologiste il crée des objets avec des matériaux de récupération.

Jean-François Declercq - Poèmes : Couleurs, suivis d'Aphorismes

Exposition collective virtuelle mais néanmoins réelle en temps de confinement










I





Vibrations d’oiseaux :
Le rouge
gorge déployée époumone sa joie
Le col vert lourd dans son vol
de plumes serrées passe en zébrant le ciel
L’oie blanche est un flocon de neige
qui glisse sur les nuages





COULEURS





Dans nos yeux, toutes les mers du monde, un concentré de bleu. Dans nos cheveux, tous les champs de blés, jaunes, craquants de vent. Sur notre peau, la senteur et la chaleur du grain. Dans nos larmes, les armes de la colère. Dans notre bouche la langue pleine des peines égarées.
(dans nos yeux toutes les mers du monde un concentré de bleu dans nos cheveux tous les champs de blés jaunes craquants de vent sous le soleil sur notre peau la sueur collée à la sueur dans nos larmes les armes de la colère notre peine farouche toute fraîche égarée dans notre bouche la langue pleine des peines égarées)
Enfourchées, sur le chariot du vent







ROUGE




Tu ne sais du rouge que le coq qui chante,
Il chante rouge dans le ciel bleu du matin.







VERT



Ronde, une colombe, comme un petit pois vert, luit dans le ciel bleu







ARC EN CIEL



Notre main,
Notre main sont deux poissons
d’argent.
Dans l’eau claire
Ce matin,
Une truite « arc en ciel »
dans le silence de nos yeux.





ORANGE




Dans le nœud de l’arbre la sève est rouge de silence. 
L’oiseau y dort à poing fermé.


Le ciel brûle orange - comme un orage de grêles - comme un sucre d’orge 
- qui chante dans la gorge.








BLANC



tu ne sais du blanc que le flocon de neige qui tombe
du lilas
ou de la blancheur nacre de ta robe
ou de celle de l’aube que tu portes sur les épaules
une fleur de croix
une fleur de prière
lourde,
qui te tire vers la noirceur grasse
de la terre.





JAUNE


Bouton d’or, tu ne connais du jaune que la fleur déboutonnée de l’or.










II




APHORISMES DE LA JOIE





Même, si nous malmenons nos rêves
Ils surnagent dans nos yeux



*




Écrire, c'est toujours dire l'amour avec les mots qui ne sont jamais les mêmes



*




Les mots nous meuvent et nous émeuvent
Comme l’épreuve nous prouve et nous éprouve





*




La parole palpite aux bords des lèvres closes
Le corps, rien que le corps, murmure
Étrange est le ressac, nuée de muettes nues




*




Ma bouche est un long corridor où les mots s’entassent comme des cartons vides





*




Ta main, toujours aussi légère que le frisson des fougères





*





C’est dans le silence de sa main
serrée la nuit dans la mienne que la
vie s’éveille





*





Je connais le sexe des fleurs sur le bout de la langue
bouton de rose, rose
 perle d’éternité





*





Déjà,
des traces de pas sur la neige du
parquet
Le chat dort sur son rayon de lumière
Il est midi





*





Ce sont nos pas qui tracent le
chemin
Le mystère est dans le sourire des
étoiles qui l'éclairent





*




Échange :
Une boîte de murmures
Contre un litre de vent





*





S'il nous faut mourir quand le ciel
se lève
C'est que le ciel se lève sur une
autre vie













*



Jean-François Declercq vit à Lille
Il écrit des poèmes
Il est bassiste dans le groupe Les Malades depuis 1981
De profession il est papouillothérapeuthe




"[L]es textes, Couleurs, sont pour l’instant inédits et devraient être publiés cette année sous la forme du recueil que je lis * et qui devrait s’appeler « Silences Verticaux » . Mes dernières publications sont « Des Mots Justes – Juste des Mots » 2019 et « Blancheur d’étoiles » 2016, aux éditions Accents Poétiques. Sinon, s'il faut aller un peu plus loin, j’ai pas mal œuvré pour la poésie avec « Contagion » dans les années 70-80 en éditant deux recueils personnels, en vendant surtout la production du Castor Astral sur les Facs et surtout en réalisant une série d’affiches poétiques que je collais sur les murs des villes du coin. (Conseils, Les coccinelles, Kaki Kaka, Le cris, Savoir dire non, etc.) J-F D.


Voir ses lectures sur Facebook : https://www.facebook.com/poemesjfdeclercq

Voir entre autres vidéos cette lecture à Lille filmée par Guy Ferdinande en 2019