Haleine
Pointer le jour dans un lent fondu
enchaîné surgir de cette latence sous la friction d’un vigoureux matin retrouver soulier à son pied le liège de préférence au plomb qui pourtant
se plie chercher le chemin que nul ne connaît fortifier
un grondement bourru en soi prendre haleine au vent dans la
ramure s’avancer dans le demi-jour
entrouvrant les forêts sans merci
pour le carabe sous la dalle du pied
s’abattre sur un lit de feuilles noircies défaire ses humeurs
Sang
Partir tout de suite la route bombe le jour neuf te soulève la lumière te presse fait reluire ta peau vite t’en aller muscler cette envie de
t’affranchir du carcan de te quitter l’air a le goût sucré des prémices le silence en ces minutes prélude au défilé des heures est ciselé de pépiements partir avant le grondement du train
faire le premier pas celui qui
brise le sang sera bon conducteur des
suivants l’enfilade des pas ira d’elle-même l’arrière-plan de la pensée reculera
Souffle
Tu portes ton existence en bagage le long
des sentiers tu essuies une bruine de
sueur au front parfois un fruit blet
tombe aux pieds déjà tuméfiés bientôt
une colonne d’arbre flanque tes chairs
palpitantes mais de très loin
là-bas monte le galop d’une foule qui laboure le sable dans une lumière aveuglante où les obstacles n’entravent la marche que
de leur miroitement ta vie funambule
jusqu’alors tenue dans un halètement
se sent emportée dans la respiration universelle
Peaux
Peaux ravagées de ciel froid ou brûlées au
plomb de l’été visages cuivrés dos tatoués d’étoiles les exilés fendent l’air obéissant à une faible lumière en eux qui les mène là où ils ne savent rien passent les eaux avancent en houle sur la piste vers les confins hérissés de barbelés auxquels resteront suspendus des chiffons
gris floutés dans le brouillard empalés sur les grillages enserrant les territoires interdits qu’ils s’acharnent à déplacer avec eux
Oreille
Loin devant les yeux fuit le tracé tortueux
des chemins la distance
parcourue pèse en kilomètres se mesure au lest des heures dans la jambe l’allure se relâche peu à peu jusqu’au
dernier cran tu puises de quoi
poursuivre au plus secret de ta force
la butée d’un caillou serait un défi à la vie que l’exténuation
entame tu avances tête inclinée vers
le sol où se déploie la population
des minuscules et voilà que ton
oreille se mouille de sons mimant un
vol d’insectes une petite musique te
sillonne le corps aspiré s’allège
Versets de la marche, Annie Wallois
Paru en juillet 2017
aux Editions Henry
Collection La Main aux poètes
F 62170 Montreuil-sur-Mer
71 pages - 8€