Michel Valprémy, Journal 2 |
LA FORME D’UNE
VIE
Art de
vivre, art d’aimer, art d’écrire, sont inséparables dans le
Journal de Michel
Valprémy, à la fois éthique et traité des passions sous forme
romanesque et théâtrale : portraits et scènes composent une
comédie humaine observable dans le prisme de « petits noyaux »
certes différents de celui des Verdurin mais le Narrateur du Journal
peut rappeler celui de Proust, ce « Pétrone ingénu »
selon André Maurois.
Le diariste
se savait romancier : « Je relis quelques fragments de mon
Journal. Je me suis
presque toujours attaché à l’évolution anecdotique de
l’histoire. Je ne me le reproche pas, les notes quotidiennes
"conservaient" le fait, le "p’tit geste".
Clichés, diapositives, garde-souvenirs, réservoir de notes pour les
textes plus élaborés » (juin 83). Loin de tout épanchement
complaisant, le Journal
recèle le meilleur des premières années d’écriture : « En
fait jusqu’à trente ans je n’ai fait que très mal écrire, à
quelque(s) exception(s) près (le Journal
peut-être) » (mai 84).
Un seul
exemple de portrait : « Clo défait ses sacs et l’Asie
se répand dans la pièce » (janvier 82). « Avec Clo on
s’éveille à Goa, on déjeune au Népal, on fait la sieste au
Kazakhstan et dîne dans le Cachemire » (septembre 80).
Autrui
devient personnage, le diariste narrateur, parce que Valprémy, dans
l’observation comme dans l’introspection, valorise la
singularité : « En fait l’introspection chez moi c’est
ce qui dure, le comportement par contre tend à s’adapter aux
impératifs de l’autre jusqu’à la défigure. Quand l’analyse
est niée ou trop affaiblie pour valoriser la singularité, c’est
la cassure, ce qui m’est arrivé » (juin 81).
Il s’agit
bien d’une éthique, de l’effort de persévérer dans son être
que Spinoza appelle le « conatus », et qui chez Valprémy
distingue l’orgueil de l’ambition : « Je ne suis pas
suffisamment ambitieux (on me l’a souvent fait remarquer) mais j’ai
l’orgueil de croire que chaque jour (au présent) je dois et peux,
anonyme, me prouver que je suis » (août 83). Cet effort se
traduit en particulier dans l’ « effort au style »
par lequel Mallarmé définissait le vers. Art de vivre, art
d’écrire : l’un passe par l’autre. « C’est bien
dans la littérature que j’ai le moins triché ou, pour le mieux,
que j’ai, seul, touché à la plus grande honnêteté, intégrité.
Ce que j’ai renié, la presque totalité de dix années de travail,
n’étaient que des "phases de brouillons" qui me
permirent, plus que d’arriver à une certaine maturité d’écriture,
à m’accepter dans mon corps, dans mes relations, dans ma vie »
(mars 84). Forme d’une vie et temps d’écrire tentent de se
rejoindre. « Midi. Je sais. Importe la forme. D’une vie. La
mienne. Se souvenir de l’île, de la cellule de l’ascète. Noces
des rigueurs et du poème. Comme un instinct. À trop diffuser on
brouille les ultimes pistes —Certitude. Le temps de l’autre sera
choisi en privilège (ou dans l’appel). Ô vigilance du silence ! »
(mai 82). « On ne me séparera plus du temps d’écrire »
(juillet 82).
Passion
d’écrire et passion amoureuse se conjuguent dans la valorisation
de la singularité : « Pierre est l’une des rares
rencontres importantes de ma vie, davantage que d’autres passions
puisqu’elle engendra des possibilités de joie, d’exaltation en
elle-même, par elle-même (…) il me révèle à moi-même, à la
vie » (décembre 81). On pense aux proustiennes
« intermittences du cœur » en lisant : « Quel
est le rouage de nos attachements ? Quand s’emballe-t-il ?
Quand s’enraye-t-il ? Qui jette du sable ? Qui graisse
les poulies ? ». La « force de séduction »
qu’on reconnaît à Michel, vécue comme une revanche, provoque une
jalousie, proustienne elle aussi, face à laquelle il se sent, comme
il le dira du peintre Luc Lauras, « coupable de son
innocence ». La machine infernale de la jalousie est celle de
la dévalorisation de soi. Valprémy considère plutôt la passion
comme un projecteur, qu’il déplace : « Éviter
l’illusion du "tout l’un pour l’autre" car la passion
n’éclaire jamais toutes nos facettes, même si la soudaine mise en
lumière de l’une d’entre elles nous fait croire à la révélation
globale, exhaustive, de notre être. Pas de pactes, de serments, de
promesses, qui tracent par avance un chemin. Aimer, c’est rendre
l’autre plus libre, plus aventureux aussi, qu’importe si
l’horizon, le grand large, nous échappent, n’est-il pas plus
vrai de se situer à la source ? ». Conclusion :
« Martin, vous êtes le roi des cons. Arrêtez de porter les
stigmates. Vous avez tout pour vous (…). Alors, brûlez votre
navire désespéré, posez vos pieds sur la terre, marchez, regardez
à droite, à gauche, retrouvez le sourire et l’on viendra à vous.
Vous n’avez de compte à rendre à personne, surtout pas à moi »
(juillet 82).
« Je
crois à la vie déliée » (mars 82). Cela nous ramène à la
danse, aux « scènes de la vie théâtrale » comme dirait
Balzac, et aux cours donnés à l’amicale laïque d’Eysines. « Je
crois qu’avec l’âge j’ai appris à mesurer mon travail,
c’est-à-dire à concentrer mes forces et qu’un meilleur élan
peut surgir » (janvier 83). Mais « Au théâtre en 85, je
partirai au bon moment. Les finales des opérettes (les mêmes depuis
11 ans), concentrés de débilités, ne sont plus accessibles à
bientôt 37 ans. Et puis les prouesses techniques n’ont jamais été
mon fait, encore moins désormais. Il n’y a plus rien à jouer, là
était, je crois, mon meilleur » (mai 84). Mais parmi ses
élèves il observe encore une comédie humaine, et s’efforce
encore à valoriser la singularité : « On remarque déjà
les vieillards prématurés, les princesses intouchables, les
commerçants, les séducteurs. Donnons et n’attendons rien »
(novembre 84).
Y a-t-il de
la chorégraphie dans la pornographie ? « Toujours surpris
par l’élégance des gestes les plus osés » (mai 82). Mais
« Si je rends ces détails du "commerce extérieur"
d’une manière systématique et en fin de compte banale, c’est
parce que la trouille est là, trouille de ne plus connaître cet
accord spontané dans l’histoire d’amour. Trouille et sans doute
résurgence d’une ancienne culpabilisation. Trouille et manque. En
exprimant ces fragments d’une sexualité frustrée je me donne
l’impression, sans me convaincre vraiment, d’une plénitude »
(1983).
La seule
supériorité du Journal
de Léautaud sur celui de Gide est sa plus grande crudité :
« Cette causticité me plaît ainsi que ce qu’il ose dire de
son corps, de son sexe, à la différence de Gide, celui qui fait un
pas en avant puis deux en arrière ». Léautaud parle de
littérature et de lui-même « avec cette ironie, cet esprit
chers à son idole (le mot n’est pas exagéré), Stendhal »
(avril 84). Mais « Ce Journal
n’aura jamais la valeur de celui de Gide parce qu’il touche
rarement à l’universel et se contente pour la plupart de petites
histoires de l’édition, de ragots et de potins » (mai 84).
Autres lectures où s’exerce l’art d’écrire, Petits
métiers de Tony Duvert : « Quelle
nostalgie de l’enfance, recomposition des rêves, sketches, jeux
dans l’imaginaire. Des fables, et le moraliste en filigrane,
presque insidieusement » (octobre 81). Les
aventures singulières de Hervé Guibert :
« Beaucoup apprécié (…) L’anecdote au sens strict, pas de
grandes esquisses, une gravure de détails, du rien. Toujours la
présence de celui qui écrit. Un critique se demandait, dans le
Nouvel Observateur, si Hervé Guibert était
un écrivain. Encore faudrait-il définir ce qu’est réellement,
objectivement un écrivain, ce qui est sûr c’est que chez lui le
fait d’écrire est la preuve que l’événement, l’histoire sont
vécus. Nécessité suffisante » (août 82). Michel, qui a
publié dans la revue Minuit,
rencontre Mathieu Lindon et Hervé Guibert à « La Machine à
lire », librairie bordelaise : « leur tolérance est
exemplaire, aucune théorie pontifiante » (avril 82). Le
professeur de Michel, Monsieur Saint-Girons, vise juste quand il lui
écrit : « C’est surprenant, ces deux aspects,
l’expression poétique résolument moderne qui m’est étrangère
et la prose claire et expressive que vous réussissez si bien ! ».
Michel précise : « Je tiens à cette ambivalence qui
n’est pas une dualité » (octobre 84). Il rencontre Didier
Moulinier : « Mes collages paraissent dans la
Poire d’Angoisse, hebdomadaire gratuit. Ça
m’amuse beaucoup. Je l’accompagne jusqu’au studio de "la
vie au Grand Ertz" où il présente son émission "l’oreille
cassée". Ce soir la Beat Generation. Entre deux séquences
pornos sonores (il les a enregistrées dans un cinéma) on entend
Burroughs chanter » (novembre 84). Une autre aventure commence.
In Wikipedia : Michel Valprémy est un poète français né le et mort le . Il vivait et travaillait Bordeaux où il enseignait la danse.
Sa poésie, métaphorique, ample par ses images, parfois cruelle, vise à saisir certaines parts d'innommable dans le réel.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Michel_Valpremy
Pour toute commande s'adresser à :
Editions Les Amis de Michel Valprémy
2200 route des Acacias
33141 Villegouge
Tél : 05 57 84 41 88
Email : p.valpremy@orange.fr
Journal 1 (1965-1980), 430 pages : 24 € (port compris)
Journal 2 (1980-1984), 473 pages : 24 € (port compris)
François Huglo
In Wikipedia : Michel Valprémy est un poète français né le et mort le . Il vivait et travaillait Bordeaux où il enseignait la danse.
Sa poésie, métaphorique, ample par ses images, parfois cruelle, vise à saisir certaines parts d'innommable dans le réel.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Michel_Valpremy
Editions Les Amis de Michel Valprémy
2200 route des Acacias
33141 Villegouge
Tél : 05 57 84 41 88
Email : p.valpremy@orange.fr
Journal 1 (1965-1980), 430 pages : 24 € (port compris)
Journal 2 (1980-1984), 473 pages : 24 € (port compris)